Par Julien Aunis, avocat, Capstan Avocats

En 2016, la Cour de cassation confirme sa volonté de réduire aux seules situations exceptionnellement anormales[1] la notion de Co-emploi[2]. La Cour d’appel de Paris, un temps réfractaire à ce revirement, vient récemment de rejeter la qualification de Co-emploi, s’alignant ainsi sur la position de la Cour de cassation[3]. L’île de la Cité n’est définitivement plus un terrain fertile pour le Co-emploi.

 

Le Code du travail ne définit pas la notion de Co-emploi. C’est la jurisprudence qui est venue en fixer les contours. Si ce concept a longtemps souffert d’une définition trop large, tel n’est plus le cas depuis le coup d’arrêt initié par l’affaire Molex[4].

 

Les actions sur le fondement du Co-emploi ont pour but, dans la grande majorité des cas, de faire reconnaître la qualité de Co-employeur entre la Société mère d’un Groupe et l’une de ses filiales en proie à des difficultés économiques. L’objectif pour les salariés licenciés par la filiale est de trouver un débiteur solvable sur qui faire porter les conséquences des licenciements économiques.

 

Selon la jurisprudence, deux voies peuvent être empruntées afin de caractériser une situation de Co-emploi.

 

La voie « historique » articulée autour d’un critère « juridique » : la preuve des éléments constitutifs du contrat de travail et, en particulier, la preuve d’un lien de subordination individuel entre un salarié et une société qui n’est pas son employeur de droit : « [la salariée avait] en fait travaillé dans un lien de subordination avec la société Groupe Envergure de sorte que les deux sociétés avaient la qualité d’employeur conjoint»[5].

 

La voie « moderne » articulée autour d’un critère « économique » selon lequel une Société est co-employeur des salariés d’une autre Société lorsqu’elles sont unies par une confusion d’intérêts, d’activités et de direction[6]. Ces critères sont cumulatifs.

 

C’est précisément autour de cette triple confusion que se sont cristallisés les débats judiciaires, tant devant les juges du fond que devant les magistrats de la Cour de cassation.

 

L’arrêt Molex, rendu le 2 juillet 2014 par la chambre sociale de la Cour de cassation, a marqué le premier vrai infléchissement de la jurisprudence en matière de co-emploi reconnu entre une société mère étrangère et sa filiale française.

 

 

La Haute Cour exige dorénavant la démonstration de l’immixtion de la société mère dans la gestion de sa filiale. Par une analyse scrupuleuse des cas d’espèce, la Cour de cassation, empruntant notamment aux règles du droit des Sociétés, confirme ce qui relève du fonctionnement normal des relations au sein d’un groupe pour exclure le Co-emploi.

 

Ainsi, la Cour de cassation retient que la notion de co-emploi doit se situer « au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer ».

 

La position prise par la Cour de cassation dans cet arrêt a par la suite été répétée comme un leitmotiv visant à donner un coup d’arrêt à l’utilisation extensive du concept de Co-emploi[7].

 

Ce profond et salvateur travail de redéfinition se poursuit aujourd’hui, notamment par la Cour d’appel de Paris. Par deux arrêts, rendus en janvier et février 2016, la Cour d’appel exclu le Co-emploi, notamment en précisant dans l’une des espèces que : 

le seul fait que les activités soient complémentaires n’entraîne aucune confusion des deux sociétés dès lors que l’intérêt commun n’engendre aucune disparition de l’intérêt économique propre de la filiale ; que les sociétés qui ont chacune un siège social distinct, justifient également par leurs extraits kbis avoir une direction distincte ; que l’approbation des comptes consolidés au niveau du groupe ou l’adoption de projets d’apports partiels d’actifs à la filiale ne correspond qu’au fonctionnement institutionnel au sein d’une société mère et de sa filiale ; qu’enfin, cette confusion, peut entraîner une situation de Co-emploi qu’à condition qu’elle soit poussée à un point tel qu’elle fait disparaître l’indépendance de l’employeur juridique à l’égard d’un employeur économique de fait.

 

Ainsi le juge n’entend pas ajouter d’obstacles nouveaux aux coopérations inter-entreprises au sein des Groupes, en particulier dans une période où la crise économique rend plus que jamais ces solidarités nécessaires. Ce mouvement doit se poursuivre afin que les Groupes de Sociétés puissent continuer à fonctionner normalement, notamment par pure application des règles de droit des sociétés, sans crainte d’effets « boomerang » injustifiés en droit du travail.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Le Co emploi : une situation exceptionnelle, Pierre Bailly, La semaine juridique Social n°46, 12 novembre 2013, 1441.

[2] Cass. Soc., 4 février 2016 n°14-20584 ; 14-24051

[3] Cour d’appel de Paris – Pôle 6 Chambre 5, 7 janvier 2016 n°15/00275 et Cour d’appel de Paris – Pôle 6 Chambre 1, 5 février 2016 n°13/07219

[4] Cass. Soc., 2 juillet 2014 n°13-15208 à 13-21153

[5] Cass. Soc., 12 juillet 2005, n°03-45.394

[6] Nombreux arrêts en ce sens dont notamment : Cass. Soc. 2 juillet 2014 n°13-15208 à 13-21153 ; Cass. Soc. 4 février 2015 n° 13-22322 ; Cass. Soc. 4 mars 2015 n° 13-28141 ; 13-28142 ; 13-28143 ; 13-28144 ; Cass. Soc. 18 février 2015 n° 13-22595 ; Cass. Soc. 12 mars 2015 n°13-25364 à 13-25413 ; Cass. Soc. 9 juin 2015 n°13-26558 à 13-26566 ; Cass. Soc. 22 octobre 2015 n° 14-15780 à 14-15786 ; Cass. Soc. 10 décembre 2015 n°14-19316 à 14-19474.

 

[7] Cour d’appel de Paris – Pôle 6 Chambre 5, 7 janvier 2016 n°15/00275

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