Par Stéphane Leplaideur, avocat associé, Capstan Avocats

Les lois de financement de la sécurité sociale ne cessent, année après année, de renforcer les outils de lutte contre la fraude sociale et de sanctionner plus sévèrement encore les contrevenants comme leurs cocontractants. La « LFSS » pour 2016 n’y déroge pas. Cependant, et à trop vouloir agir rapidement, certains principes cèdent progressivement le pas à une politique répressive certes légitime mais qui, stigmatisant toutes les formes de fraude, y compris les plus banales, aboutit au traitement de l’entreprise comme celui d’un présumé coupable.

 

Les décisions de nature administrative qui résultent d’un simple procès-verbal de constatation d’infraction et avant même tout jugement sont une illustration de cette perception. Or, au-delà du seul débat juridique, c’est parfois l’avenir même de l’entreprise qui est en jeu. Son éventuelle innocence, reconnue quelques années plus tard par le juge, pourra-t-elle effacer les effets des mesures prises antérieurement ? Deux exemples permettent d’en douter.

 

Lorsque l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant une des infractions constitutives de travail illégal, elle peut, eu égard notamment à la gravité des faits constatés, refuser d’accorder, pendant une durée maximale de cinq ans, certaines aides publiques à la personne ayant fait l’objet de cette verbalisation. Elle peut également ordonner la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois (articles L.8272-1 et L.8272-2 du code du travail).

 

On peut supposer que dans sa grande sagesse l’administration ne mettra en œuvre cette procédure que dans des situations extrêmes de travail dissimulé manifeste mais est-ce rassurant de s’en remettre à cette seule considération ?

Le refus de délivrance par l’URSSAF de l’attestation de conformité ; dite « attestation de vigilance », est encore plus inquiétant. Tout cocontractant doit en effet remettre au donneur d’ordre pour l’exécution d’un travail, la fourniture d’une prestation de service ou l’accomplissement d’un acte de commerce et dès lors que l’engagement porte sur un montant au moins égal à 5000 euros hors taxes, cette attestation d’une validité de 6 mois. Directement téléchargeable sur le site netentreprise.fr, elle constitue un véritable sésame sans lequel une entreprise n’est pas en mesure de répondre à des marchés qu’ils soient privés ou publics. Les URSSAF en sont tellement conscientes qu’elles n’hésitent pas à bloquer l’accès, parfois même au-delà des seules hypothèses prévues par la loi.

 

En matière de travail dissimulé et en vertu de l’article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, une entreprise qui aurait été suspectée de travail dissimulé par le passé et aurait fait l’objet d’un procès-verbal de constat par un inspecteur URSSAF suivi d’une mise en demeure ne peut plus bénéficier de cette attestation pour l’avenir, même si elle conteste la créance et alors qu’elle n’a pas fait l’objet d’une condamnation définitive. Pour lever ce blocage, il lui faudra accepter de payer, à titre provisionnel, l’ensemble des cotisations que lui réclame l’organisme de recouvrement. Parfois et dans leur grande mansuétude, certaines URSSAF accepteront la délivrance mais sous la condition préalable d’un paiement échelonné de la dette et précédé lui-même du paiement de la part des cotisations ouvrières. Comment, dès lors, expliquer à une entreprise à qui l’URSSAF réclame des cotisations pour un montant dépassant parfois le million d’euros (au titre par exemple d’une requalification de tous ses contrats de prestation de service en contrats de travail) que pour obtenir ses futures attestations et continuer à exister, il lui faudra payer ces sommes, même si, quelques années plus tard, un juge déclarera le redressement non fondé ?

 

Immédiatement vient à l’esprit la question de la conformité de la loi à différents principes constitutionnels. Mais ce doute apparent n’est pas partagé par la Cour de cassation pour qui le refus de délivrance de l’attestation peut être contesté, y compris par voie de référé (Cass. 2e civ. QPC, 5 juill. 2012, n° 12-40.037). Mais sur quel fondement puisque la loi elle-même subordonne la délivrance de l’attestation, non pas à l’absence de condamnation, mais uniquement à l’absence de verbalisation. A-t-on une possibilité sérieuse de recours au juge ?

 

Tous les outils doivent être étudiés pour empêcher et sanctionner le travail dissimulé mais c’est à la condition que les réflexions menées prennent la mesure des effets et acceptent de reconnaître qu’un procès-verbal de constat de travail dissimulé n’est qu’un acte de poursuite qui n’entame pas la présomption d’innocence.

 

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