Présidente du Cercle Montesquieu depuis juillet 2019, Laure Lavorel use d’un style innovant forgé au cœur de la culture d’entreprise américaine. Toujours dans l'action, la directrice juridique internationale du groupe américain Broadcom formule le vœu – et s’emploie à le réaliser – que l’ensemble de ses homologues français accède au statut de general counsels.

Élue en 2019 parce qu’elle est convaincue que "le changement est bénéfique”, Laure Lavorel, qui tient les rênes de l’incontournable association des directeurs juridiques français, souhaite que le métier de juriste d’entreprise en France évolue. “Cette présidence est une course de relais avec mon prédécesseur Nicolas Guérin, j’essaie d’apporter ma pierre à l’édifice même si l’impact est parfois invisible”, indique-t-elle modestement. Pas si invisible que ça. Choisie par ses pairs pour son programme ambitieux, elle s’est fixé plusieurs objectifs pour les professionnels du droit en entreprise.

Le droit comme une arme de conquête

Le premier est celui de la digitalisation, une thématique chère à cette spécialiste des nouvelles technologies. “C’est une nécessité aujourd’hui que d'accélérer la transformation numérique des directions juridiques. On est dans une période de rupture, de rétractation du droit globalisé autour de nouvelles réglementations plus nationales ou régionales, dans les domaines bancaire, des télécoms, de la compliance ou de protection des données par exemple.”

De nouveaux métiers sont créés – elle cite ceux de contract manager et de legal operation manager –, qui renouvellent la filière juridique en entreprise. Le juriste doit plus que jamais devenir l’"éminence grise", de l’organisation dans laquelle il opère, ce qui inclut la nécessité d’utiliser les outils numériques pour le rendre plus efficace. En 2018, la directrice juridique de Broadcom avait déjà amorcé le mouvement en créant La Factory au sein du Cercle Montesquieu, une plateforme d’échanges destinée à concrétiser les projets de digitalisation des directions juridiques aux côtés de la legaltech française en proposant des guides et des ateliers pratiques à destination des membres du Cercle.

Le second chantier de son mandat a pour but de remettre le droit au centre de l’économie. Pour Laure Lavorel, historiquement, la matière juridique se conçoit en France de manière autonome. “Il faut au contraire envisager le droit comme une arme de conquête des marchés et développer de facto la place du juriste dans la vie de l'entreprise, par exemple au sein des conseils d’administration”, mais aussi aux côtés des opérationnels. L’association vient pour cela de démarrer un programme en collaboration avec l’agence de communication Image 7, programme qui permet de rencontrer les décideurs français publics ou privés et d’échanger avec eux pour les initier à cette notion de juriste comme business partner “pourtant évidente dans les pays anglo-saxons”.

De quoi poursuivre notamment le combat visant à rapprocher les avocats des juristes d'entreprise. La distinction de statut est une exception française que la présidente voudrait aujourd'hui voir disparaître, grâce à la création d’un legal privilege, ce secret professionnel dont les juristes français ne bénéficient toujours pas. Si depuis le rapport Gauvain, rendu public en juin 2019, et les promesses de la Garde des Sceaux Nicole Belloubet de travailler sur l’instauration de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, la question semblait être mise de côté une nouvelle fois par la Chancellerie, elle ressurgit pourtant aujourd'hui, comme le confie la directrice juridique : "La voie vers la création d'un avocat d'entreprise est ouverte, encore fragile mais bien présente."

Le progrès par la mixité des modèles juridiques 

Laure Lavorel veut que son mandat permette également de servir des causes qui lui tiennent à cœur. Fière de diriger une association paritaire, elle s'investit dans les questions d'égalité femmes/hommes, consciente de son "destin particulier" lui ayant permis de mener de front une vie de famille et une carrière internationale à un poste de haut management. Pour y parvenir, elle milite pour la généralisation de l’utilisation des quotas durant "une période de transition, comme un outil parmi d’autres pour que l’égalité devienne la norme". Elle nourrit également l’ambition d’améliorer l’intégration des personnes handicapées dans les métiers juridiques. Déjà ambassadrice du handicap chez CA Technologies, elle porte aujourd’hui ce combat au sein des entreprises membres du Cercle. “Nous devons prendre en compte le plus grand nombre possible de situations de handicap. L’insertion des personnes handicapées doit être promue. Pour cela, je cherche à développer des programmes awareness, similaires aux techniques anglo-saxonnes plus anciennes qui font pour l’instant leurs preuves.” N’importe qui en effet peut se retrouver en situation de handicap à la suite d’un accident de la vie. La filière juridique se doit d’être inclusive dans son ensemble.

En France, les juristes s’imaginent souvent uniquement comme des experts, ce qui est une erreur à mon sens. Il faudrait au contraire faire des juristes des business people.

Cette volonté de rapprocher les conceptions françaises et anglo-saxonnes du métier de juriste, cette résidente suisse la tire de son propre parcours, ancré dans le multiculturalisme. Après ses études de droit, Laure Lavorel rejoint le barreau de Paris et développe rapidement son savoir-faire en droit des nouvelles technologies au sein de cabinets internationaux tels qu’Archibald Andersen avant de rejoindre Oracle, l’un des leaders mondiaux de logiciels, puis CA Technologies, dont elle devient la directrice juridique. En 2019, l’entreprise rejoint Broadcom au cours d’un rachat surprise mené par le géant américain de l'industrie de l’électronique. C’est donc toujours sous pavillon américain que Laure Lavorel poursuit son activité de directrice juridique, un parcours intense au plus haut niveau qu'elle ne regrette pas aujourd’hui. “J’aurais du mal à quitter les américains, il y a une telle reconnaissance du juriste, de notre travail”, confie-t-elle, traçant des parallèles avec ses confrères français. “En France, les juristes s’imaginent souvent uniquement comme des experts, ce qui est une erreur à mon sens. Il faudrait au contraire faire des juristes des business people, des atouts pour les stratégies commerciales des entreprises, suivre la conception américaine du métier qui participe à créer des entreprises leaders au niveau mondial”

Une vie au service du progrès

Son parcours international ne rompt cependant en rien les liens que Laure Lavorel conserve avec la France, par sa famille, sa nationalité mais également son attachement à la communauté, qu'elle manifeste en se mobilisant au sein d’associations de réseau comme les Œnologues du Palais, ou plus récemment au sein du Barreau en entreprise. "J’ai aussi développé mon sens du service public en acceptant d’être un temps juge au tribunal de commerce de Paris, un poste que j’ai dû quitter avec regrets”. En parallèle de son poste de directrice juridique et des quelque vingt heures hebdomadaires qu’elle consacre à son mandat de présidente d’association, cette travailleuse acharnée transpose dans ses centres d’intérêt sa vision du juriste. Danseuse classique depuis de nombreuses années, elle trouve dans cet art la même rigueur que dans son métier, s’amusant à observer que “la danse est le meilleur sport pour quelqu’un comme moi : il faut être un parfait technicien mais aussi apporter un supplément d’âme, une créativité qui fait d’une personne un danseur étoile ou un grand juriste”. L’aisance avec laquelle cette amatrice de théâtre porte ses multiples casquettes repose sur sa relation au temps : celle qui ne remet jamais quoi que ce soit au lendemain n’est pas perfectionniste pour un sou, préférant les principes de Pareto qui veulent que 80 % d'un résultat provienne de 20 % de notre travail. Le nécessaire pour le maximum, l’efficacité anglo-saxonne.

Louise Tydgadt

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