Trop souvent assimilés à des affairistes peu soucieux de l’intérêt de leurs joueurs, les agents souffrent d’une mauvaise image. Pourtant, la réalité du terrain est tout autre. Ces intermédiaires, qui évoluent dans un environnement hostile, sont loin de faire la loi.

105 millions d’euros pour la star planétaire française Paul Pogba, 80 millions d’euros pour son compatriote Anthony Martial, 90 millions d’euros pour l’Argentin Gonzalo Higuain… À la manœuvre de ces opérations hors normes, des agents tels que Jorge Mendes, Mino Raiola ou encore Jean-Pierre Bernès en France. Œuvrant dans l’ombre, ils endossent l’image d’un milieu opaque où l’argent coule à flots. Mais ces agents qui font la une des magazines sont l’arbre qui cache la forêt.

 

Une profession mal encadrée

 

Selon la Fédération française de football, on dénombrait 384 agents en 2016. Pour avoir une définition précise de ce métier méconnu du grand public, il faut se tourner vers le code du sport. L’article L.222-7 indique que l'activité « consiste à mettre en rapport, contre rémunération, plusieurs parties entre elles (joueurs, entraîneurs, clubs, organisations sportives) en vue de l'exercice rémunéré par un sportif ou un entraîneur d'une activité sportive ». En France, il s’agit d’un métier très encadré comme le précise l'agent Christophe Hutteau : « Il est important de rappeler qu'il existe deux législations : celle de la France qui fait office d'exception et celle de la Fifa où la licence n'est pas nécessaire. » Depuis le 1er avril 2015, l’unique prérogative est l’enregistrement des contrats entre les parties auprès des fédérations. Un changement fondamental opéré par l’instance mondiale qui n’est pas sans conséquence et qui constitue une aubaine pour les intermédiaires non licenciés, considérés, en France, comme les plaies de la profession.

 

Résultat, malversation ou encore transferts douteux continuent d'être monnaie courante, comme le prouve les récentes affaires de l’Olympique de Marseille ou encore celle des "Football Leaks". La principale magouille consiste à gonfler le prix d'achat d'un joueur et à verser à la chaîne d'intermédiaires des rétrocommissions. Ces faux agents interviennent de manière illégale dans des transactions de l’ordre de dizaines de millions d’euros avec à la clé d’importants profits. Une concurrence difficile à gérer pour les nombreux professionnels licenciés.

 

Car en théorie, la rémunération, qui prend la forme d’une commission, est encadrée par la loi. « Il faut se référer au code du sport, insiste Christophe Hutteau, président de l’agence CH Conseil & Management. Un agent ne peut pas légalement toucher plus de 10 % hors taxes de la rémunération annuelle du joueur ou du montant du transfert. » Par exemple, pour un joueur payé un montant d’un million d’euros, l’agent va recevoir jusqu’à 100 000 euros. Dans les faits, ce taux oscille entre 5 % et 7 % en fonction des négociations, selon Mamadou Diawara agent de joueurs licencié auprès de la FFF.

 

Contrairement à une idée répandue, l'agent n'a pas le droit d'intervenir à la fois sur le montant du transfert et sur la rémunération. Il s'agirait en effet d'un double mandat, puni par la loi. Dans le cas où la rémunération est retenue, la législation prévoit que le pourcentage d'une commission ne peut être calculé que sur la rémunération fixe.  « Il n'est également pas possible pour un agent d'effectuer un double mandat auprès du joueur et d'un club sous peine de se voir pénalement sanctionner », ajoute Christophe Hutteau. Sur le plan du civil, cela entraîne la nullité du contrat ou encore la privation de rémunération.

 

Un homme de réseaux

 

Outre de solides connaissances juridiques jugées indispensables, le métier d’agent sportif revêt un fort aspect commercial. En effet, depuis l’arrêt Bosman et l’explosion des transferts, les joueurs sont devenus de véritables produits. D’après Mamadou Diawara, l’utilisation d’un solide réseau est essentielle pour entretenir les rapports entre les entraîneurs, les joueurs et les clubs. L’objectif étant bien sûr de faire rencontrer les intérêts de chacun. « Ce sont généralement les clubs acheteurs qui prennent contact avec les agents des joueurs », indique Christophe Hutteau. Dans ce rapport de force, il est important de tenir compte des ambitions spécifiques des structures professionnelles. Les clubs peuvent solliciter les agents pour un attaquant disposant de certaines statistiques au profit de finalités diverses : compétitions européennes, places qualificatives en championnat ou joueur en fin de contrat plus enclin à la négociation. Ainsi, la réalisation du potentiel du joueur en cas de bonnes performances permet de mettre en lumière le professionnalisme et la crédibilité de l’agent.

 

Un chef d’orchestre

 

Mais de manière générale, « le club dispose toujours du dernier mot » estime Mamadou Diawara. Ainsi, si on assiste à une montée des prix de transfert, c’est à cause de la guerre que se livrent les clubs entre eux et non d’une volonté des agents. Ce sont bien les structures professionnelles qui déterminent la valeur d’un joueur, c’est-à-dire l’apport qu’il aura sur le terrain et en dehors avec les revenus marketing liés. Selon Christophe Hutteau, il ne serait pas juste de croire que les clubs dépensent de l’argent de manière insensée.  Pour lui, cette inflation s’explique simplement : « Le talent se paye. »

 

Pour l’agent, la réalité est beaucoup plus dure. Car avant d’avoir le réseau nécessaire, le chemin est semé d’embûche. Pour se démarquer, il doit monter sa capacité à dénicher de nouveaux talents. Cela passe par une présence poussée sur le terrain : déplacement en régions, suivi des joueurs, dialogue avec les entraîneurs des petits clubs pour dénicher de nouveaux talents... L’agent doit également être moralement irréprochable. « Être un bon agent, c’est savoir faire passer les intérêts du joueur avant tout », insiste Sidney Broutinovski, président de l’EAJF (École des agents de joueurs de football). Partenaires privilégiés des joueurs avec un accompagnement qui se poursuit tout au long de leur carrière, les agents ont pour objectif de s'immiscer comme des médiateurs entre les joueurs et les clubs qui les emploient. Assurant un suivi de l'entraînement aux matchs, cette profession impose une disponibilité constante : « Si pendant une semaine, tu n'appelles pas ton joueur, tu ne fournis pas un travail sérieux », ajoute Mamadou Diawara. Un travail qui s'apparente rapidement à celui de chef d’orchestre pour tout agent qui se respecte.

 

Gatien Pierre-Charles 

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