Conjointement à une forte mobilisation citoyenne, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a demandé et obtenu le retrait de la campagne d’affichage de la maison Saint Laurent montrant de jeunes femmes très maigres dans des positions (très) suggestives. Les explications de Stéphane Martin, son directeur général.

Décideurs. Comment expliquez-vous qu’une maison comme Saint Laurent, avec sa démarche historique vis-à-vis des femmes, choisisse de tels visuels pour une campagne publicitaire ?  

Stéphane Matin. Il n’y a vraisemblablement pas d’agence, de professionnels de la publicité derrière cette campagne. Il est rare que nous ayons à nous pencher sur une publicité après sa diffusion. À mon avis, ce sont des créateurs et photographes totalement déconnectés des réalités qui ont lancé cette campagne. Ils pensaient peut-être de bonne foi apporter leur contribution à une évolution créative particulière liée aux changements artistiques intervenus chez Yves Saint Laurent.

Il semblerait que la campagne soit arrivée chez l’afficheur au dernier moment, pour être exposée pendant la Fashion Week, sans lui laisser le temps de nous consulter sur le bienfondé d’un refus d’affichage. Nous connaissons mal la situation de Saint Laurent puisque cette maison n’est pas adhérente à l’ARPP, mais il est certain qu’elle en mesure les dangers pour sa réputation, et une marque d’une telle notoriété, mondiale, iconique, n’a pas besoin de faire des « coups ».

Il n’y a vraisemblablement pas d’agence, de professionnels de la publicité derrière cette campagne.

 

C’est un cas grave, rare mais très concret, qui a d’ailleurs tout de suite fait beaucoup réagir. Au-delà du caractère sexiste, il y a aussi la valorisation d’une image « fashion » de la grande minceur problématique auprès d’adolescents en construction. Ce genre de dérive est pointé du doigt par nos dernières recommandations, et la mobilisation citoyenne, de plus en plus nette sur ces sujets, va maintenant bien au-delà des associations comme les Chiennes de garde. Beaucoup d’hommes réagissent également.

 

Pour quelles raisons l’ARPP fonctionne-t-elle sur le mode de l’autorégulation des acteurs ?

Notre mission est de faire en sorte que la profession se fixe ses propres limites, qu’elle perçoive la ligne de crête d’une communication responsable. Ce n’est pas nouveau, l’ARPP existe depuis 1935 en France et un code mondial depuis 1937. Il contenait depuis l’origine des notions comme la dignité et la protection des plus jeunes publics, même si son premier objet était la publicité mensongère qui a été pratiquement éradiquée. Le secteur est donc bien conscient de son impact quotidien sur un ensemble de publics susceptibles de voir les publicités, de ce qu’il peut projeter. C’est l’investissement économique mais aussi la confiance des consommateurs qu’il faut préserver. Lorsqu’un acteur déborde comme cela, c’est toute la profession qui est mise à mal.

 

250

Le nombre de textes imposant plus de 700 mentions à apposer sur des publicités.

 

1827

La première petite annonce commerciale passée dans un journal.

 

1935

Naissance de l’Office de contrôle des annonces, l’ancêtre de l’ARPP. 1937 au niveau mondial.

 

 

Ne pensez-vous pas qu’un pouvoir de sanction serait plus efficace ?

Nous n’avons pas légitimité à en prendre, et puis il suffirait de provisionner le montant de l’amende pour s’en tirer à bon compte ! Nous pensons que la pire des sanctions est l’atteinte à la réputation. Dans notre profession, la peur de la loi entraînerait trop de restrictions « a priori » et l’excès de non-dits noie la création, sans compter que politiquement cela ne fait jamais de mal de taper sur la pub… Nous préférons nettement l’autorégulation.

 

Quelles sont les recommandations que vous venez de présenter au niveau de la publicité digitale ?  

Les règles que nous appliquons sont agnostiques des supports : la publicité digitale n’y échappe pas, elle est donc déjà régulée, mais c’est vrai que c’est une « jeune adulte ». Elle arrive à un âge où il faut qu’elle accepte de se contrôler comme d’être contrôlée. Les principales préconisations du rapport traitent donc de l’identification comme annonceur, du respect des publics et des données personnelles, et du confort d’utilisation : fin 2017, le nombre de formats IAB (bannières, pop-up, etc.) passent ainsi de 33 à 12 et l’on devrait bannir toutes les techniques intrusives de publicité. Ce n’est pas parce que c’est « nouveau » que l’on peut laisser un vide juridique.

 

 

Propos recueillis par Pascale D’Amore et Quentin Lepoutre

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