6 juillet 2023. Le Conseil d’État s’est penché sur l’opportunité de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité sur la place de la victime dans la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). C’est en contestant le décret d’application du dispositif que le député François Ruffin et le journal Fakir tentent d’obtenir un débat sur la constitutionnalité du mécanisme.

C’est une ultime tentative pour porter le débat sur le mécanisme de la CJIP devant le Conseil constitutionnel. François Ruffin et le journal Fakir ont adressé au Conseil d’État un recours contre un décret d’application du dispositif de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale. Une manière d’interroger la place faite aux droits des victimes dans le système de la CJIP et de “questionner la constitutionnalité du dispositif“ selon Jean-Philippe Foegle, juriste chargé de contentieux et plaidoyer chez Sherpa contacté par Décideurs Juridiques.

“Aucune apparence de violation du droit d’accès à un tribunal”

L’eurodéputé contourne la voie judiciaire dont toutes les portes vers le Conseil constitutionnel se sont fermées. Le 15 février 2022, c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi formé contre l’ordonnance d’homologation de la CJIP LVMH et les QPC assorties. CJIP à l’origine du combat judiciaire du député picard, qui a permis au groupe d’éviter des poursuites dans une enquête d’espionnage sur la personne de François Ruffin après la sortie du documentaire Merci Patron. Trois mois plus tard, en mai, la cour d’appel de Paris refuse elle aussi de transmettre une QPC portée par François Ruffin et le journal Fakir à la Cour de cassation. Le juge confirme l’accord financier passé entre LVMH et la justice française. Puis le 30 mars 2023, c’est la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui juge irrecevable le recours contre l’accord conclu par LVMH. Le juge européen ne relève “aucune apparence de violation du droit d’accès à un tribunal”, selon la décision. Il note dans son arrêt l’absence de demande indemnitaire des victimes - qui “disposaient pourtant de ce droit avant et pendant l’audience de validation de la CJIP et n’apportent pas d’explications convaincantes sur les raisons de son non-usage”. Et invoque le fait que la CJIP ne fait aucunement obstacle à une demande indemnitaire portée devant le juge civil.

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Voies procédurales bouchées

François Ruffin n’est pas seul à contester le mécanisme. “Sherpa conteste le principe même du dispositif dans la mesure où il n’a aucun effet dissuasif sur les entreprises”, explique Jean-Philippe Foegle . Dans un tweet, l’association avance que les amendes peuvent faire l’objet d’une provision par les entreprises. Et que la CJIP “procède d’une conception économique de la justice, relevant plus de calculs financiers que de considérations morales”. L’association s’est elle-même heurtée au refus de transmission du tribunal judiciaire de Paris en novembre 2022, à l’occasion de la CJIP signée avec Airbus. La veille de cette audience, sur son site, elle interpellait le public sur les dangers de la justice négociée en matière de criminalité financière, du développement d’un droit pénal dérogatoire concernant les entreprises et leurs dirigeants, et sur la mise à l’écart des victimes privées de la capacité à faire valoir de manière équitable leurs droits.

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L’argument de la voie civile, avancé notamment par la CEDH en mars dernier, ne convainc pas. “La procédure est plus complexe devant le juge civil que devant la juridiction pénale“, explique Jean-Philippe Foegle. La demande d’indemnisation est moins évidente et demande beaucoup de temps. Et même si la personne physique demeure responsable pénalement, la justice négociée des entreprises a tendance à s’étendre aux dirigeants, qui sont alors épargnés, selon lui. Tout l’enjeu du recours réside dans le renvoi au Conseil constitutionnel et l’occasion de faire passer à la CJIP son contrôle de constitutionnalité. “Si ça ne marche pas cette fois, les voies procédurales seront bloquées.”

Anne-Laure Blouin

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