Neslté Waters a signé une convention judiciaire d’intérêt public pour des forages et des traitements non autorisés. Coût de l’opération pour la multinationale : 2 millions d’euros au titre de l’amende et 1,1 million d’euros d’investissement dans la dénaturalisation des cours d’eau et de leurs abords.

Fin du scandale des eaux minérales Nestlé. Le tribunal d’Épinal a homologué le 10 septembre dernier la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) que l’entreprise a conclue avec les autorités françaises. La CJIP “la plus importante en matière environnementale signée à ce jour en France”, a indiqué le parquet d’Épinal. L’affaire avait été dévoilée au grand public en 2024 à la suite des révélations de la cellule d’investigation de Radio France et du journal Le Monde : les entreprises Nestlé Waters et Sources Alma auraient commercialisé pendant plusieurs années de l’eau de source en bouteille traitée illégalement, à l’insu des consommateurs.

En juin 2020, un collectif d’associations (France Nature Environnement, Lorraine Nature Environnement, Vosges Nature Environnement, l’association de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions et UFC-Que Choisir Vosges) porte plainte. En février 2024, c’est Foodwatch qui fait de même. Sa plainte est transférée au parquet d’Épinal, où l’affaire se solde finalement par la voie d’une CJIP. La transaction conclut deux enquêtes menées parallèlement par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et les services départementaux de l’Office français de la biodiversité (OFB) sur la production d’eau minérale naturelle sur deux sites – situés à Vittel et Contrexéville dans les Vosges – et vendue sous les marques Vittel, Contrex et Hépar.  

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Régularisation plus rapide

L’enquête de l’OFB a révélé que neuf forages de la filiale de Nestlé avaient exploité, sans les autorisations requises entre 1992 et 2019, 19 milliards de litres d’eau. À la clef, des perturbations des cycles hydrologiques et des ruptures d’approvisionnement. Des faits constitutifs de violation de diverses règles du code de l’environnement selon la CJIP. Du côté de la DGCCRF, les enquêteurs ont mis en lumières des agissements susceptibles de revêtir la qualification pénale de tromperie. Des agents des autorités régionales de santés ont constaté lors d’une inspection de l’usine de Nestlé Waters et de ses sources certaines “non-conformités liées à l’utilisation de traitements non autorisés par la réglementation ou par les autorisations en vigueur”.

La convention aurait été proposée par le procureur d’Épinal “compte tenu de ces éléments et de la connexité entre les deux procédures”. La procédure a selon lui l’avantage de “privilégier la régularisation la plus rapide de la situation, la réparation de l’impact écologique et l’indemnisation de plusieurs parties”. “Tout en sanctionnant les non-conformités constatées”, est-il précisé. La sanction s’élève ici à 2 millions d’euros, le chiffre d’affaires annuel du groupe Nestlé dépassant les 97 milliards d’euros.

“Sans convention, l’affaire partait au pénal, Nestlé a de bons avocats et des poches profondes. C’était parti pour cinq à dix ans”

Autre élément fixé par la CJIP : l’offre d’indemnisation que Nestlé Waters doit présenter aux victimes – sept associations – d'un coût total de près de 520 000 euros. Si les associations n’acceptent pas cette offre dans un délai de trois mois, elles ne toucheront rien. Foodwatch a pour sa part décliné l’invitation du parquet à chiffrer le préjudice subi. Pour Ingrid Kragl, experte de la fraude chez foodwatch, la convention constitue “une décision scandaleuse qui envoie un très mauvais message sur le climat d’impunité : Nestlé Waters peut tromper les consommateurs pendant des années dans le monde entier et s’en tirer à bon compte en sortant simplement le chéquier”. Et de s’indigner : “Compte tenu de la gravité et de l’étendue des faits, des nombreuses infractions au Code de la santé publique et au Code de la consommation, il est inadmissible que cette fraude massive soit ainsi glissée sous le tapis.” Loin d’être satisfait de l’issue de l’affaire, son homologue UFC-Que Choisir a également hésité à répondre au parquet, se déclarant “fortement tenté de ne pas répondre aux sollicitations du procureur”. Ils ont fini par s’intégrer à la procédure pour éviter une “opposition dogmatique” et “ne pas sacrifier la voix et les intérêts des consommateurs”. Raisonnement similaire chez Eau 88 où l’on a d’abord rejeté cet accord avant de revenir à un “principe de réalité” : “Sans convention, l’affaire partait au pénal, Nestlé a de bons avocats et des poches profondes. C’était parti pour cinq à dix ans.” Autant de temps perdu pour la restauration de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique, explique son président Bernard Schmitt.

Vaste plan de transformation

Si Nestlé s’en tire à bon compte, c’est grâce à sa coopération avec les autorités sanitaires et administratives au cours des enquêtes à son encontre et pour régulariser sa situation. À commencer par le rendez-vous que l’entreprise avait obtenu au ministère de l’Industrie en 2021 pour exposer les “pratiques non conformes dans ses usines“ et présenter un plan de transformation pour régulariser sa situation et se mettre en conformité avec le cadre réglementaire applicable à l’eau minérale naturelle en France. Ce “vaste plan de transformation”, comme indiqué dans la CJIP, lancé par l’entreprise en 2020, est décrit comme “une transformation d’ampleur de son activité d’eau en bouteilles”, d’une telle ampleur que la multinationale est dispensée de programme de conformité qui figure habituellement parmi les prescriptions des CJIP.

“Il est apparu souhaitable que la société prenne à sa charge des travaux de renaturation des milieux et des cours d’eau traversant ses domaines”

On apprend par ailleurs, à la lecture de la convention, que les manquements de l’entreprise n’auraient fait courir aucun risque aux populations et aux consommateurs, qu’ils auraient été sans conséquence sur la santé publique, et n’auraient pas troublé la minéralité de ses produits. Quant aux atteintes à l’environnement – traduites par des assecs des cours d’eau et des perturbations hydrologiques des eaux superficielles –, le lien de causalité avec les processus de production de Nestlé n’a pas pu être établi. Ce qui n’a pas empêché les autorités de s’entendre avec le producteur d’eau sur quelques ajustements. “Il est apparu souhaitable que la société prenne à sa charge des travaux de renaturation des milieux et des cours d’eau traversant ses domaines.” De son côté, Nestlé a conscience de l’impact de ses activités sur son environnement. Elle reconnaît son “rôle déterminant (…) dans la maîtrise de la ressource en eau dans le département des Vosges ainsi que son ancrage social et son engagement dans la préservation de la qualité de l’eau et de l’environnement lié à l’impluvium de Vittel et de Contrexéville.” Résultat, elle s’est engagée à fournir un dossier listant toutes ses actions de travaux de restauration et de renaturation de plusieurs zones pour préserver la qualité de l’eau et la biodiversité des milieux sur lesquels elle intervient, pour une facture globale de 1, 1 million d’euros. Au programme : restauration des lits de ruisseaux (le Petit-Vair et le Vair, affluents de la Meuse), de végétaux sur les berges, plantation d’arbres, restauration et récréation de zones humides, plantations de haies et renforcement de l’agroforesterie et du réseau de mares au profit du triton crêté, un amphibien du terroir. Dans son communiqué, L’entreprise s’est félicitée “de contribuer sur le long terme à une meilleure protection du bassin vosgien, dans le cadre d’un programme d’ampleur qui l’associe aux acteurs locaux de la biodiversité”. À l’inverse l’agence France Environnement doute de l’efficacité de ces “mesures accessoires peu précises pour réparer les atteintes causées par Nestlé aux nappes phréatiques”.

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Du côté des associations de protection de la nature, les réactions sont plus mitigées. Pour UFC-Que-Choisir d’Eure et Loire, “la justice ne se mouille pas en optant pour une convention”. Elle regrette le choix du parquet pour “une procédure opaque, permettant à Nestlé Waters d’échapper à un long procès, pourtant mérité et utile au regard de la gravité, de la durée et de l’impact des faits”. L’affaire souligne une fois de plus, pour la présidente de l'UFC-Que Choisir, Marie-Amandine Stévenin, “les limites actuelles et malheureuses de la justice en France”. "On cherche à pallier la thrombose de la justice, mais si elle avait plus de moyens, il n’y aurait pas besoin de CJIP", avait déclaré Ghislain Poissonnier, magistrat et vice-président du tribunal de première instance en Polynésie française à Décideurs Juridiques en 2022. Chez Eau 88, Bernard Schmitt aurait voulu que la justice réponde à la question de savoir si l’on peut encore prendre de l’eau dans les nappes phréatiques pour l’exporter.

Ce n’est pas la première CJIP de Nestlé. En 2022, Nestlé France avait conclu un accord avec le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières prévoyant le versement de 40 000 euros pour le déversement de substances nuisibles dans la rivière de l’Aisne.

Anne-Laure Blouin

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