Big Four et éditeurs de logiciels peuvent-ils s'allier pour promouvoir le développement de la legaltech française ? PwC veut y croire, quand SAP commence timidement à s’intéresser au secteur.

La legaltech française n’opère pas de levées de fonds aussi généreuses qu’aux États-Unis ? Elle a peut-être d’autres cartes à jouer. Le milieu de l’édition juridique, au départ méfiant voire belliqueux - des plaintes ont été déposées, et déboutées, contre quelques jeunes pousses comme Demander Justice et doctrine.fr - semble par exemple avoir choisi de changer de stratégie. En mars 2021, Lefebvre Sarrut lançait LightSpeed, un accélérateur de start-up destiné aux nouvelles recrues de la legaltech européenne. Des recrues auxquelles le barreau de Paris consacrait aussi sa toute première Journée du numérique six mois plus tard. L’un des cofondateurs de l’événement, Mathieu Davy, nous avait alors confié son optimisme : “2022 sera l’année de la french legaltech.” Grâce à d’autres acteurs bien installés dans leurs secteurs respectifs ?

Réglementation bloquante

Ces derniers mois, d’autres mondes sont allés jeter un œil du côté de la legaltech. À commencer par celui des Big Four : en mai 2022, la société d’avocats de PwC nouait un partenariat avec Legal Pilot pour l’automatisation des contrats et annonçait, dans la foulée, l’acquisition du leader français du conseil en transformation et numérisation des métiers du droit Day One. Ensemble, Loïc Le Claire, président de PwC Société d’Avocats, et Olivier Chaduteau, associé responsable de l'activité Legal Business Solutions chez PwC France et Maghreb, opèrent une veille permanente de ce qu’il se passe sur les marchés français et international”. PwC possède d’ailleurs une cellule consacrée à la transformation numérique pour faire une veille économique du secteur. C’est utile pour les équipes en interne comme pour les clients.

Pour l’heure, PwC France n’a pas passé le cap de l’acquisition d’une start-up du droit, contrairement aux antennes australiennes et britanniques du Big Four. Il faut dire qu’en France, la réglementation peut freiner les ardeurs de n’importe quel cabinet financier, soulignent Olivier Chaduteau et Loïc Le Claire : “Nous souhaiterions que les règles soient plus souples et adaptées au monde d’aujourd’hui”, notamment en matière de financement et d’investissement des cabinets d’avocats. Tous deux essaient de porter le sujet pour faire évoluer les textes. En attendant, avec son legal lab, Day One aide les legaltechs sur le marketing et la promotion de leurs outils pour qu’elles puissent rencontrer l’écosystème des directeurs juridiques, des avocats et des notaires. Le cabinet de conseil peut même aller plus loin : “Nous pouvons aussi défendre les legaltechs quand on pense que nos clients pourraient avoir besoin de ces solutions.” Et convaincre ces derniers du bien-fondé d’une indépendance numérique : si “les solutions américaines sont efficaces, nous pouvons dire à nos clients de tester les éditeurs français ou européens”, glisse Olivier Chaduteau. L’intégration de Day One au sein de PwC envoie d’ailleurs un signal fort au réseau du géant de l’audit et du conseil. Une façon “d’afficher le leadership de la France, explique Loïc Le Claire. Nous avons vocation à travailler sur le périmètre français, mais surtout, nous pouvons aider à référencer des acteurs français à l’international.” Et d’ajouter : “Les Big Four ont vocation à défendre les réussites françaises.” Grégoire Miot, trésorier de l’Elta (European Legaltech Association), prédit lui aussi un ”boom du marché du conseil sur le sujet. EY s’y positionne et KPMG s’y met aussi : c’est une niche formidable qui se crée.”

“Virage stratégique”

Du côté des éditeurs de logiciels, l’engouement semble encore timide. Oracle, contacté, a indiqué ne pas se positionner sur le sujet. SAP, l’éditeur numéro un en Europe dont la stratégie d’acquisition de sociétés est rodée, ne s’est offert aucune legaltech pour l’instant. La société a intégré DocuSign comme une “solution extension” dans le catalogue qu’elle propose autour de son offre ERP ("Enterprise Resource Planning"), mais n’a pas elle-même développé de solutions juridiques. Ce qui coince ? Comme SAP passe par un modèle de distribution indirecte, l’éditeur a besoin de partenaires spécifiques s'appuyant sur ses produits. “Nous aurions besoin de partenaires pour les solutions de legaltech, qui pourraient assurer l’installation, la maintenance et le suivi chez les clients”, explique Orlando Appell, chief operating officer chez SAP France. Les legaltechs ont tout de même quelques options pour se développer : viser le SAPstore, ouvert aux nouvelles applications, sous réserve d’avoir les API nécessaires pour s’y implanter. Ou tenter de se faire identifier comme un partenaire, notamment comme un “independant software vendor”, c’est-à-dire un éditeur à qui SAP propose de certifier ses produits pour les intégrer dans son store.

Pour autant, SAP ne ferme pas la porte aux prodiges de la tech. L’éditeur a également lancé son incubateur de start-up, SAP iO Foundry, il y a quatre ans. Une nouvelle thématique est étudiée chaque année. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de programme consacré à 100 % à la legaltech, seules certaines start-up de la fintech ont été accompagnées lors d’un programme orienté vers la compliance. Mais Orlando Appell n’exclut pas qu’une prochaine édition de l’incubateur cible la legaltech. PwC, de son côté, souhaite encourager les pépites tricolores et les accompagner à l’international. C’est même tout l’objet de Let’s go France, le hub à solutions mis sur pied pour penser la transformation, notamment numérique, des entreprises nationales. De là à imaginer une success story comme celle de la biotech ? “De belles entreprises françaises du secteur de la biotechnologie sont parties à l’international et aux États-Unis, avec des cotations à Wall Street avant la cotation en France, retrace Loïc Le Claire. Aujourd’hui, les legaltechs sont face à un virage stratégique.” Il ne leur reste plus qu’à le prendre.

Olivia Fuentes

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