En matière de contentieux, le domaine de la compliance se démarque par sa nature et par ses conséquences potentielles sur l’entreprise incriminée. Alors que les dossiers se multiplient, les directions juridiques doivent se préparer à affronter ces affaires très particulières… et ne pas hésiter à se tourner vers un expert externe pour apporter la plus pertinente et efficace des réponses ! Arnaud Desclèves et Pierre Laporte expliquent pourquoi.

Décideurs. En quoi le contentieux de la compliance est-il différent des autres contentieux?

Pierre Laporte. Le contentieux de la compliance est tout à fait particulier. Il n’a rien à voir avec un contentieux qui oppose par exemple un client et son fournisseur. Ici, ce n’est pas l’activité de l’entreprise qui est remise en question mais ce sont ses pratiques. Les sujets touchent au non-respect des règles du jeu : par exemple, en matière de droit de la concurrence, de lutte contre la corruption ou encore de protection de l’environnement. Il s’agit très souvent de sujets extraordinaires, pour lesquels la direction juridique n’est pas suffisamment armée au quotidien pour se défendre. Elle doit donc se tourner vers des intervenants experts ­externes pour assurer sa défense.

Arnaud Desclèves. Dans ces affaires, les parties adverses sont le Department of Justice des États-Unis, une autorité de la concurrence d’un ou plusieurs pays ou de puissantes organisations de consommateurs. Il faut alors mobiliser un expert précis : celui en mesure par exemple de négocier avec les autorités américaines, et qui maîtrise parfaitement la langue, connaît le droit local applicable et les us et coutumes de résolution de ce type de dossier, maîtrise les subtilités et les coulisses de l’environnement d’une négociation par exemple avec le DoJ des États-Unis ou la Commission européenne pour un dossier d’entente illicite… C’est aussi quelqu’un capable de dire à la direction générale que la partie est perdue, et qu’il faut maintenant envisager un mode alternatif de résolution du litige et négocier l’amende la plus faible possible puis mettre en place les mesures correctrices crédibles.

P. L. En effet, quand une autorité judiciaire débarque dans l’entreprise, c’est que des preuves de l’infraction existent et qu’elle a déjà été au moins partiellement constatée. Il est trop tard. Il ne s’agit pas d’un contentieux commercial classique où les deux parties se reprochent des manquements à l’exécution d’un contrat et se renvoient des clauses du contrat à tour de rôle. Là, la faute est claire et avérée.

Quels sont les enjeux d’une réponse rapide et structurée?

A.D. En matière de compliance, les amendes financières peuvent atteindre plusieurs centaines de millions d’euros, voire des milliards et les pénalités peuvent se traduire par une perte d’autorisation, une interdiction d’accès à un marché, une suspension de licence ou une interdiction d’emprunt auprès des établissements financiers d’un pays considéré. En d’autres termes, c’est la solidité voire la survie de l’entreprise qui sont mises à l’épreuve dans les contentieux de compliance. Face à ces enjeux considérables, la direction juridique doit immédiatement se muscler et élaborer sa stratégie pour obtenir le meilleur accord.

P. L. L’une des principales différences avec un contentieux classique tient dans le déroulé. Dans un contentieux commercial par exemple, le terme de la procédure est marqué par la décision de justice finale : en première instance, en appel ou en cassation. Une fois l’affaire close, tout le monde peut passer à autre chose ! Mais dans un contentieux de compliance, la sanction prononcée est plutôt un début. L’entreprise doit ensuite déployer des mesures correctives pour se mettre en conformité, éviter de nouvelles sanctions et éventuellement récupérer ses autorisations. L’avocat chargé du dossier se lance donc dans une procédure longue, parfois plusieurs années, pour négocier puis remettre en ordre de marche la structure. En matière de compliance, l’essentiel du travail se déroule après le prononcé de la sanction. En matière de contentieux classique, le juge ne s’intéresse qu’aux responsabilités. Dans le contentieux en matière de compliance, il exige de changer les pratiques de l’entreprise, voire sa culture commerciale et sa gouvernance.

 

"C’est la solidité voire la survie de l’entreprise qui sont mises à l’épreuve dans les contentieux de compliance"

 

Pourquoi ces contentieux tendent-ils à augmenter?

A. D. Le monde se judiciarise, les normes se multiplient… Et avec elles, les risques de manquement et de franchissement de lignes jaunes parfois involontaires. En parallèle, le droit des consommateurs se structure. La tendance des class actions, venues des États-Unis, se diffuse en Europe. Elle permet à un groupe de consommateurs de se constituer en collectif pour attaquer conjointement une entreprise, par exemple en se disant abusés par des pratiques anticoncurrentielles ou par une entente d’un cartel. Les sommes engagées sont considérables et certains cabinets se spécialisent dans ces procédures très lucratives. On observe même l’émergence d’un « financement du contentieux », qui consiste à offrir les frais de procédures aux plaignants, puis à se rémunérer au résultat.

P. L. Dans ce contexte, les directions juridiques doivent se structurer. Il n’est plus rare de retrouver des experts de la compliance au sommet des organisations : résoudre un contentieux commercial est une chose, répondre à des autorités et des procureurs en est une autre. Conseiller spécial auprès du président, secrétaire général, responsable compliance, responsable affaires publiques… Ces fonctions se multiplient dans l’entreprise pour anticiper et analyser les risques de plus en plus nombreux. Mais pas pour y faire face une fois l’infraction survenue.

Quelle réaction adopter au déclenchement d’une telle procédure?

A. D. Malheureusement, quand la crise survient, il est déjà trop tard. Nous sommes convaincus que le manager de transition juridique et/ou de compliance reste la meilleure des réponses. D’abord, parce que le recrutement d’un spécialiste du contentieux compliance ne s’improvise pas. Ensuite, par définition, parce que la solution n’existe pas en interne. Passer par un manager de transition juridique, c’est donc s’assurer de trouver en quelques jours un expert disposant des compétences adéquates. Quelqu’un de rompu à l’exercice qui a déjà affronté des crises similaires. Une entreprise doit rarement faire face à de grandes tempêtes de compliance. Il n’existe donc pas de réflexes ou d’habitudes en interne. À l’inverse, le manager de transition juridique et/ou de compliance connaît ces situations et sait les gérer, pour les avoir déjà traitées avec succès.

P. L. D’autant que le sujet concerne aussi les entreprises de taille intermédiaire, qui ne disposent pas de la même force de frappe interne qu’une multinationale. Face aux montants en jeu, les honoraires du manager de transition juridique et de compliance constituent une option financière judicieuse. C’est un interlocuteur unique qui pilotera la stratégie, jusqu’à la mise en conformité de l’entreprise, en lien avec les meilleurs experts.

A. D. Se tourner vers l’externe ne constitue pas un risque, puisque de toute façon la réponse n’existe pas en interne ! Il faut ­accepter humblement son manque de préparation et les limites de ses activités pour aller chercher le meilleur expert. La perle rare se trouve du côté du manager de ­transition.

 

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