Grandes entreprises et assureurs sont confrontés, au travers du régime de responsabilité du fait des produits défectueux, à des approches bien différentes au sein de l’Union européenne et en dehors. L’étude des législations aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni en donne un bon exemple.

Au travers de la définition du produit défectueux, de la détermination du lien de causalité et des limitations de responsabilité, nous apprécierons la variété des hypothèses.


La définition du produit défectueux 
Aux États-Unis, chaque État définit ce que constitue un défaut du produit. Généralement, un jury doit déterminer si le ­défaut allégué existe en fonction des critères ­suivants :
• le "consumer expectation test "1 ou critère des attentes du consommateur ; et
• le "risk benefit test"2 ou de risque/utilité.
Le premier privilégie le consommateur, le second privilégie l’intérêt collectif.
Le critère des attentes du consommateur consiste à retenir qu’un produit est dangereux dès lors que le risque qu’il génère va au-delà de ce à quoi un consommateur ordinaire peut s’attendre.
Le critère du risque/utilité tend à comparer l’utilité du produit avec les risques propres à sa conception. Pour ce critère, les jurés doivent vérifier une série de facteurs listés pour apprécier le design du produit et la sécurité qu’il offre.
En général, un produit est défectueux dans trois cas :
• défaut de conception – si la conception génère le défaut, plutôt que le processus de fabrication.
• défaut de fabrication – si le produit ne répond plus à la formule de conception ou de ses normes de performance.
• défaut d’avertissement – en cas de manquement du fabricant à son obligation d’avertir ou de prévenir de façon ­adéquate du danger du produit.
En Allemagne, la définition du produit défectueux dépend du régime applicable. En droit des obligations, un produit qui n’offre pas la qualité convenue, qui est impropre à l’usage voulu selon le contrat ou à son usage habituel, sera considéré défectueux. En droit de la responsabilité du fait des produits défectueux, la responsabilité résulte du défaut de sécurité du produit ; c’est-à-dire un produit qui n’offre pas la sécurité qu’un consommateur moyen est en droit d’attendre, eu égard à toutes circonstances, telles que l’usage raisonnablement attendu, la présentation du produit et l’époque à laquelle il a été mis en ­circulation.
Au Royaume-Uni, le Consumer Protection Act prévoit un régime de responsabilité sans faute. Les "producteurs" sont tenus d’indemniser les dommages causés par un "défaut" du produit. La loi précise qu’un produit est défectueux s’il n’offre pas le niveau de sécurité que les consommateurs sont généralement en droit d’attendre. Ce niveau de sécurité attendu est défini par référence à la finalité du produit, à toutes instructions ou ­avertissements contenus dans la notice, au risque de développement.

 

Lien de causalité et charge de la preuve
Aux États-Unis, ceci diffère d’un État à un autre, mais en général le demandeur est tenu de prouver chacun des éléments de sa demande, notamment le lien de causalité, bien que plusieurs mécanismes permettent de renverser la charge de la preuve sur le défendeur.
Que la demande soit fondée sur une faute dans le cadre d’une action en responsabilité, sur un manquement aux obligations contractuelles ou sur un défaut du produit dans le cadre d’une action en responsabilité de plein droit du fait des produits défectueux, le demandeur doit prouver que la faute ou le défaut a causé son ­dommage.
Certains États prévoient des présomptions en faveur du demandeur, comme une présomption de défaut lorsque le produit fonctionne mal. En cas de pluralité de défendeurs, il peut être mis à la charge des défendeurs de prouver qu’ils ne sont pas responsables ou de démontrer leur part respective de responsabilité.
En Allemagne, la loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux impose au demandeur de prouver le défaut, le dommage et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
La charge de la preuve ne peut pas être renversée sur le défendeur. Sous ­certaines conditions, les demandeurs peuvent ­s’appuyer sur des preuves prima facie ou indirectes.
Pour les produits de santé, les demandeurs doivent établir que les risques du produit en question dépassent ses bienfaits ou que l’information figurant sur l’étiquetage du produit (par exemple : effets indésirables) ne reflétait pas correctement l’état de la connaissance scientifique au moment où le produit a été mis en circulation. La loi sur les produits de santé prévoit également une présomption de causalité lorsque certaines conditions sont réunies.
La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie de deux questions préjudicielles du Bundesgerichtshof (cour suprême allemande) qui lui ont permis de développer une interprétation large de la notion de "défectuosité du produit" et de celle de "dommage réparable", au sens de la directive 85/374/ CEE. C’est ainsi que dans un récent arrêt3 du 5 mars 2015, la Cour de justice a retenu que le constat d’un défaut potentiel d’un appareil médical permet de qualifier de défectueux tous les produits du même modèle, sans qu’il soit besoin de démontrer le défaut du produit dans chaque cas.
Ainsi, selon la Cour de justice, le défaut potentiel engage la responsabilité du fabricant en raison de "la potentialité anormale de dommage que ceux-ci sont susceptibles de causer à la personne". Par ailleurs, la Cour de justice a retenu que "les coûts liés à l’échange de ces stimulateurs, y compris les coûts des opérations chirurgicales, constituent un dommage, au sens de [la] directive". C’est là une position différente de celle exprimée jusque-là par la cour qui retenait4 que la réparation des dommages immatériels était exclue du champ de la Directive 85/374/CEE et relevait des seuls droits nationaux.
Au Royaume-Uni, la charge de la preuve repose sur le demandeur dans les affaires de responsabilité du fait des produits défectueux. D’après le Consumer Protection Act, le demandeur doit prouver l’existence d’un défaut, d’un dommage et d’un lien de causalité entre le défaut et le dommage. La règle de preuve est celle de la "balance des probabilités".
La controverse peut porter sur les ­éléments qui doivent être prouvés afin d’établir le défaut.


Limitation de la responsabilité
Aux États-Unis, nombre d’États ­disposent de lois dites "sealed container" ou "innocent seller" qui préservent les vendeurs non coupables ou autres non-­fabricants de voir leur responsabilité engagée en certaines circonstances. C’est un élément extrêmement important que l’on retrouve, par exemple, en ­Alabama, ­Colorado, Iowa, Kansas, Nebraska, Tennessee et Wisconsin.
Ces dispositions permettent de limiter la responsabilité des distributeurs. Elles peuvent s’étendre dans certains États aux distributeurs de produits de santé. Cette question a été largement discutée (judiciairement) dans le Kentucky et notamment dans une affaire de responsabilité pharmaceutique, Smith v. Wyeth Inc.5, où la responsabilité de plein droit a été ­écartée à l’égard du distributeur.
En Allemagne, la responsabilité de plein droit prévue par loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux ne peut pas être contractuellement exclue. En ­général, une clause d’exclusion de la responsabilité est sans effet en cas d’atteinte à la vie, de dommage corporel ou à la santé, ou en cas de faute lourde. Néanmoins, il est possible d’exclure de façon limitée la responsabilité civile sur une base ­contractuelle au cas par cas. La responsabilité du fait des produits dans le cadre d’aménagements contractuels entre professionnels et fournisseurs peut être exclue par le biais de clauses ­limitatives de responsabilité.
Les avertissements et rappels de produit peuvent atténuer la responsabilité. C’est le cas par exemple lorsque des consommateurs continuent d’utiliser un produit malgré leur connaissance des risques.
Au Royaume-Uni, bien que d’après le droit coutumier les parties aient une latitude pour limiter ou exclure leur responsabilité par des dispositions contractuelles, il existe plusieurs restrictions légales à ce principe.
Par exemple, le Consumer Protection Act impose des restrictions sur les parties cherchant à limiter ou exclure leur responsabilité vis-à-vis des consommateurs pour tous dommages issus d’un ­produit défectueux. Plus largement, le Unfair Contract Terms Act de 1977 interdit aux professionnels d’insérer des clauses exorbitantes dans leurs contrats avec les consommateurs. Les clauses venant limiter ou exclure leur responsabilité en cas de dommages corporels sont inopposables.
En revanche, dans les rapports entre professionnels, ces clauses sont licites. Les juridictions anglaises sont réticentes à écarter ces clauses, spécialement lorsqu’elles considèrent que les parties ont eu l’opportunité de les négocier. Une attention particulière est à porter aux chaînes contractuelles où les clauses miroirs font souvent défaut.

 

POINTS CLÉS

  • Si les États-Unis sont séduits par l’approche abstraite de « l’attente des consommateurs », l’Allemagne et le Royaume-Uni offrent des hypothèses de présomptions pour établir l’existence d’un défaut ; 
  • entre professionnels, les clauses limitatives de responsabilité sont valables en Allemagne et au Royaume-Uni ; 
  • le lien de causalité entre le défaut et le dommage est bien souvent présumé en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni ; 
  • aux États-Unis, un nombre important d’États ne font pas peser sur le "simple" distributeur une responsabilité de plein droit.

 

NOTES DE BAS DE PAGE

1 Bracisco v. Beech Aircraft Corp. (1984) 159 Cal.App.3d 1101, 1106—1107
2 Cepeda v Cumberland Engineering Co. 76 NJ 152, 386 A2d 816 (1978)
3 CJUE, 5 mars 2015, affaires jointes C-503/13 et C-504/13, Boston Scientific Medizintechnik GmbH v AOK Sachsen- Anhalt – Die Gesundheitskasse, Betriebskrankenkasse RWE
4 CJCE, 10 mai 2001, aff. C?203/99, Veedfald
5 488 F. Supp.2d 625 (W.D. Ky. 2007)

 

SUR L'AUTEUR
Vladimir Rostan d’Ancezune
a commencé son activité chez SCOR Business Solutions en 2003 en qualité de juriste dédié aux programmes internationaux d’assurance avant d’intégrer le barreau de Paris et le Colegio de Abogados de Buenos Aires en 2006. Il a été chargé d’enseignement en assurances à l’université Paris 2-Assas pendant douze ans. Après plus de dix ans dans un précédent cabinet, il est avocat associé chez DAC Beachcroft depuis 2019 et à la tête du bureau français dont il est
le fondateur. Il intervient principalement en assurance, risques industriels et RC produits, environnement, RC pro et contentieux international.

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