Intervenant en droit de la santé, Cédric Poisvert accompagne depuis plus de quinze ans les opérateurs du secteur. IA, libération de la parole des victimes, action de groupe… L’avocat revient sur les tendances du marché. 


Décideurs. Vous exercez dans le secteur de la santé, notamment en responsabilité du fait des produits. Quelles sont les tendances que vous observez dans ce domaine ?Cédric Poisvert. Les sujets sériels et leur incidence réputationnelle pour les opérateurs en matière de santé constituent les tendances majeures du secteur. D’un point de vue juridique, la communication grand public de dossiers autrefois confidentiels n’est pas neutre.

 

Quelles sont les conséquences de ce plus grand accès à l’information ?
La proximité avec les vecteurs de communication entraîne une libération de la parole dont nous ne pouvons que nous satisfaire.
L’amélioration de la qualité des services contribue au bien-être des utilisateurs. Il faut cependant éviter l’amalgame entre
des scandales sanitaires causés par des comportements infractionnels et le risque de développement d’un produit de santé. Ce risque concerne les opérateurs de bonne foi qui ont mis en place un produit sur le marché, en l’état des connaissances scientifiques à cette date. L’utilisation sur une plus grande population fait ressortir des effets que le producteur peut légitimement ignorer en raison de l’état des connaissances techniques et scientifiques au moment où le produit est commercialisé. Notre société attend des remèdes immédiats. Or, l’immédiateté n’est pas toujours en corrélation avec le temps scientifique. La constatation d’effets secondaires n’apparaît pas tout de suite. Le temps écoulé entre la perception de l’effet indésirable et l’émergence d’un possible lien de cause à effet n’est pas forcément de la responsabilité du laboratoire. Cet intervalle constitue le temps nécessaire pour passer du côté subjectif d’une perception individuelle à une objectivité scientifique. 

Le secteur médical innove. D’un point de vue juridique, comment se traduit l’introduction d’un aspect data dans les contentieux produits ?
La fiabilité des données numériques et leur utilisation ultérieure soulèvent des problématiques juridiques majeures. Par
exemple, comment l’algorithme a traité la donnée pour pouvoir générer une suggestion d’action et déterminer quel a été l’effet de cette suggestion. 

“ D’un point de vue juridique, la communication grand public de dossiers autrefois confidentiels n’est pas neutre”

La problématique se pose avec l’intelligence artificielle en santé : quid de la responsabilité des opérateurs en IA ? Qui est responsable juridiquement lorsque l’IA se base sur des données erronées ? L’IA est-elle seulement l’accessoire de la décision thérapeutique ou son élément principal ? L’existence d’une éventuelle personnalité juridique de l’IA fait aussi débat. Aujourd’hui, les contentieux relatifs à l’IA tiennent surtout à la légitimité d’accès à la data. Dans l’avenir, il ne peut pas être exclu que, pour un praticien, le fait de ne pas disposer d’IA dans son cabinet pourrait constituer une faute qui engage sa responsabilité professionnelle dès lors que le dispositif est communément utilisé. Lorsque le résultat de la machine se rapproche d’une décision humaine, la responsabilité des utilisateurs de ces machines pose question, avant même la responsabilité au profit des éventuelles victimes de dommages corporels. Les contentieux relatifs à la responsabilité de l’IA vont se multiplier ces prochaines années. La construction du logiciel, ses éventuels biais ainsi que les données introduites seront vérifiés par des experts en technologies algorithmiques dont la présence se développe. Comme toute nouveauté, cela effraie, s’appréhende et se traite juridiquement. 

Selon vous, quels sont les avantages et les limites des actions de groupe en matière de défectuosité des produits médicaux ?
L’accès au juge peut sembler difficile pour une victime d’un dommage lié à un produit de santé. Elle ne possède pas la connaissance technique. La fédération a l’avantage de permettre à des victimes ou à des personnes qui s’estiment victimes de porter le débat judiciaire. En outre, cela permet souvent d’avoir des débats intellectualisés intéressants. La contrepartie de la fédération est la dépersonnalisation. Les conséquences individuelles sont traitées après le principe de responsabilité. Or, en matière de responsabilité, la victime doit être replacée dans la situation dans laquelle elle aurait été si elle n’avait pas subi ce dommage afin de déterminer son indemnisation. La seconde limite des actions de masse tient aux enjeux réputationnels. Ces actions portent sur la place publique des débats extrêmement techniques qui donnent lieu à des polémiques « sensationnelles ». Ces débats méconnaissent des situations individuelles et jettent un principe d’opprobre dans le cadre de ce procès médiatique. En outre, elles permettent parfois de récupérer une masse importante de demandeurs, créant une tendance consumériste. 

Quel type de contentieux génère le développement de produits à lisière du cosmétique et du médical ?
Dans ce domaine, la qualification du produit pose question. Savoir si le produit est un dispositif médical ou un produit cosmétique est essentiel. Les règles de sécurité et les critères de responsabilité inhérents à ces catégories juridiques sont différents. Les technologies LED ont par exemple suscité des interrogations. Au-delà des contentieux de responsabilité du fait du produit, la typologie du matériel peut avoir des incidences en matière de responsabilité pénale pour atteinte à un monopole d’activité. Les professionnels de santé sont de plus en plus attentifs à ces problématiques. Ils n’hésitent pas à consulter un avocat lorsqu’ils s’interrogent sur leur légitimité à utiliser un équipement.

“ Il faut cependant l’amalgame entre des scandales sanitaires causés par des comportements infractionnels et le risque de développement d’un produit de santé”

Comment envisagez-vous l’IA dans votre pratique d’avocat ?
Dans le secteur médical, des barèmes ont déjà été mis en place en matière d’indemnisation. L’IA s’inscrit dans cette perspective d’uniformisation. Avec une nécessaire adaptation en fonction des profils. Pour certains préjudices très objectifs, ce caractère « mécanique » de l’indemnisation est profitable. L’IA permet d’optimiser les travaux préparatoires et d’appréhender le bien-fondé des indemnisations sollicitées. Avec un accès aux données largement facilité et une analyse bibliographique élargie, l’IA autorise des études de spectre plus étendues. La question se pose de savoir si cela ne nous prive pas d’une réflexion juridique initiale. Les compétences d’un avocat s’acquièrent par la recherche. Je m’interroge : ne prive-t-on pas les jeunes avocats d’une bonne formation ? Les confrères d’une précédente génération auront eu le même discours à propos des bibliothèques. Il ne s’agit pas d’être passéiste, mais de s’interroger sur les conséquences éventuelles de ce nouvel outil sur la formation des praticiens.


 

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