Étudiante, elle se rêvait journaliste sportive. Zaiella Aïssaoui chapeaute aujourd’hui le risque du groupe Bouygues Construction. De la cosmétique aux ponts et aux tunnels en passant par le nucléaire, cette femme s’est formée dans tout ce que l’industrie française peut avoir de plus divers.
Zaiella Aïssaoui (Bouygues Construction), assurance tous risques
Elle lit des polars pour se détendre. Un entraînement cognitif pour la spécialiste des risques industriels qu’est Zaiella Aïssaoui? Peut-être. Quoi qu’il en soit, on capte chez elle une curiosité faite comme un puits sans fond et une invariable bonne humeur. Plus tard dans la conversation, elle se décrira comme une éternelle optimiste. Cette petite fille d’un berger de Kabylie venu prêter main forte à la France, “la métropole” en ce temps-là, dégage le doux parfum de l’humanité. Née en Alsace en 1968, cette année où les pavés ont volé, Zaiella Aïssaoui pilote aujourd’hui la direction des risques d’un des plus gros constructeurs mondiaux, Bouygues Construction. Rien à voir avec le métier pour lequel elle s’était inscrite à la faculté de droit de Strasbourg dans les années quatre-vingt.
À cette époque, Zaiella Aïssaoui court le rêve de devenir journaliste sportive. Férue de foot, comme toute sa maisonnée mulhousienne, elle ne rate jamais un match. Si elle valide un Deug de droit, ce n’est que pour se présenter au concours de l’école de journalisme de Strasbourg. À l’oral, on lui annonce la couleur : elle couvrira des sujets “plus féminins”, et certainement pas du sport. Choquée, elle décide de poursuivre son droit qu’elle complète avec une formation en partenariat avec HEC. Et ensuite ? “Je suis tombée par hasard dans les assurances”, explique Zaiella Aïssaoui. À l’issue de ses études, elle intègre la Banque populaire qui cherche alors un juriste pour s’occuper des contrats d’assurance. Un poste inhabituel à l’époque, les banquiers considérant encore que le risque relevait du commerce des assureurs. Le boom des produits assurantiels a retenti plus tard. Zaiella Aïssaoui prend vite la tête du département des assurances. À cette date, “rien ne [la] prédestinait à quitter [son] Alsace”.
“Le nucléaire, c’est le Graal du risque. Le risque est au cœur de l’activité, et à tous les niveaux de l’entreprise”
Et puis quelqu’un lui suggère de viser un grand groupe pour envisager le risque à l’échelle internationale. En 1999, elle tente sa chance à la CGEA, entité du futur Veolia. “Banco, je pars à Paris.” Cette première expérience la séduit parce qu’elle lui donne le sentiment de participer à quelque chose. “Chez Veolia, avec la collecte, la gestion et l’incinération des déchets, on rendait un service de salubrité publique. On exportait ce souci ailleurs dans le monde, en Inde. Votre implication devient tangible quand vous faites diminuer la peste et le choléra”. Et parce qu’elle développe sa culture du risque industriel. Après l’eau et les déchets, Zaiella Aïssaoui jette son dévolu sur le nucléaire. Elle passe quatre ans chez Cogema qui deviendra Areva en 2006 quand elle quitte l’entreprise pour courir d’autres risques. “Le nucléaire, c’est le Graal du risque. Le risque est au cœur de l’activité, et à tous les niveaux de l’entreprise”, se souvient-elle. Mais c’est aussi parce qu’il est immense qu’il est très encadré, avec des clauses uniques, peu de négociations, et une implication forte de l’État et des autorités.
Madame plan A, plan B, plan C…
Nouveau point d’étape dans la carrière montante de Zaiella Aïssaoui : Yves Rocher et les cosmétiques. Sa famille se réjouit, “enfin un produit dont on peut être fier”, se souvient-elle en riant. Plaisir partagé : “J’ai adoré retrouver un produit cosmétique grand public, avec le suivi du produit de A à Z, des champs aux consommateurs”. Pour l’enseigne bretonne, elle traque le risque sur toute la supply chain. S’échine à éviter le sinistre dans les usines. Veille à ce que le risque réputationnel reste à l’état d’hypothèse. Là encore, elle engrange les compétences dans une entreprise qui fait dans l’hygiène et le bien-être, et qui utilise du coton durable pour la fabrication de ses bodies. Au bout de six ans, il faut un nouveau risque à la risk manager. Ce sera l’avarie. Zaiella Aïssaoui atterrit dans le groupe Bolloré. Les naufrages de bateau, les polices d’assurance spécifiques à l’Afrique, une nouvelle scène du risque... Elle poursuit son chemin dans l'“oil & gas”, chez Technip où elle prend les fonctions de directeur assurance France grands projets. C’est Bouygues Construction qui, séduit par son parcours hétéroclite dans des industries diverses, la persuade près de deux ans plus tard de venir diriger le pôle assurance sur le plan mondial.
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“Nous nous occupons de l’intégralité des problématiques risque et assurance du groupe, qui concernent des projets de très haute technicité.” Encore une activité qui a du sens pour cette danseuse de salsa : “L’ADN de Bouygues Construction est de faire des logements, des ouvrages collectifs, des hôpitaux, des crèches, des établissements universitaires, des ponts et des tunnels. L’entreprise joue un rôle essentiel dans la vie de tous les jours, et de la société”. Son utilité, elle la lit dans les yeux de son fils de 14 ans qui repère parmi les chantiers l’estampille de l’employeur de sa mère. Sa vie personnelle, elle la gère comme son travail. Résultat : on la surnomme “Madame plan A, plan B, plan C, plan D…”. Elle passe souvent dans l’est de la France qui abrite le reste de sa famille. Ça laisse des traces : Zaiella Aïssaoui adore faire mijoter couscous et choucroute. ”J’achète ma charcuterie exclusivement en Alsace”, précise-t-elle.
Tube de rouge à lèvres
Connaître tous les dangers qui nous guettent, même les plus effrayants – un accident nucléaire par exemple –, n’a pas rendu Zaiella Aïssaoui anxieuse : “Plus on a conscience d’un danger, plus on est informé de tout ce qui peut accompagner sa réalisation pour en atténuer les conséquences”. Elle croit dur comme fer qu’“il y a toujours une solution au bout du tunnel”. “On parle beaucoup du changement climatique, de la fin de la planète, mais je suis persuadée que l’homme a les ressources pour s’adapter”, affirme celle qui a “vu à l’œuvre le génie humain”. Elle paraît davantage inquiète par le manque d’effectivité de l’égalité homme-femme. Elle garde en mémoire l’ironie d’une visite d’usine de rouges à lèvres guidée par un responsable masculin qui lui dépeignait l’usage du tube par la gent féminine. “Le jour où l’on aura autant de femmes qui échouent à des postes où les hommes échouent, on arrivera à l’égalité.” Il y a pourtant des raisons de se réjouir : les métiers d’hommes, du bâtiment notamment, s’ouvrent de plus en plus aux femmes.
Anne-Laure Blouin