Saisie pour avis par le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique sur la pertinence d’un encadrement du montant des commissions perçues par les émetteurs de titres-restaurant, l’Autorité de la concurrence pointe les potentiels effets contre-productifs d’une telle mesure. Et recommande une régulation en profondeur du secteur.
Tickets-restaurant : l’Autorité de la concurrence alerte sur le risque d’un effet contre-productif d’un plafonnement tarifaire
Quatre-vingt-dix-neuf pour cent. C’est la part de marché cumulée des quatre émetteurs historiques de titres-restaurant Edenred France, Bimpli-Swile, Sodexo Pass France et Up Coop. Résultat de cette forte concentration du marché des titres-restaurant (dont la valeur s’élevait en 2022 à près 8,5 milliards d’euros) et de la fermeture, fin février 2023, de la Centrale de règlement des titres (qui assurait, depuis une cinquantaine d’années, le traitement des titres papier), entraînant avec elle la quasi-disparition des tarifs de remboursement différés auxquels sont appliqués les taux de commission les plus faibles : une hausse continue des commissions pour les commerçants. Face à ce phénomène, le gouvernement qui envisage de plafonner les taux de commission pratiqués a saisi pour avis l’Autorité de la concurrence. Les entreprises qui achètent les tickets-restaurant pour leurs salariés sont quant à elles relativement préservées : elles supportent des taux de commission relativement faibles et bénéficient d’une exemption de cotisations sociales et patronales et d’impôt sur le revenu sur les tickets-restaurant représentant 1,5 milliard d’euros par an.
Fausse bonne idée
Pour l’Autorité, l’instauration d’un plafond sur les taux de commission n’est pas la panacée. Non pas que le marché des titres-restaurant soit sans faille. Bien au contraire. Selon elle, il connaît des défaillances : économies d’échelle peu accessibles aux structures de petites tailles, force du réseau des marques déjà implantées, exclusivité réservée à l’émetteur sur le rachat des titres-restaurant… Les barrières à l’entrée sont solides et permettent aux émetteurs historiques d’imposer des taux de commission à l’acceptation, c’est-à-dire au moment du rachat des titres-restaurant auprès des commerçants, de plus en plus élevés. De 3,5 % en moyenne en 2018, ils s’approchent aujourd’hui des 4 %. Dans le même temps, les taux de commission à l’émission, c’est-à-dire au moment de l’acquisition des titres-restaurant par les entreprises, sont à la baisse, devenant même négatifs pour certains émetteurs. Les commerçants, qui en pratique peuvent difficilement se permettre de refuser des titres-restaurant largement diffusés, ne semblent pas être en mesure de négocier les prix à la baisse. Mais pour l’Autorité, le plafonnement des commissions à l’acceptation – qui semble à première vue la mesure à prendre – pourrait entraîner des effets pervers. La création d’un plafond aurait tendance à entraîner un alignement des prix pratiqués au niveau du montant du plafond, même de la part des entreprises pratiquant jusque-là des prix moins élevés. Et surtout les émetteurs pourraient compenser la perte autrement "en contournant la réglementation" ou en augmentant leur prix à l’émission, ce qui pourrait aboutir à une baisse de la demande. Bref, une régulation par la mise en place d’un plafond ne convainc pas. L’Autorité recommande plutôt s’attaquer aux racines du problème.
Des mesures structurelles
Instaurer un agrément de l’activité d’émission de titres-restaurant par un organisme indépendant et une publicité exhaustive des entreprises agréées, mieux informer les commerçants sur le coût réel des titres-restaurant et supprimer le droit exclusif de chaque émetteur de racheter les titres qu’il commercialise, telles sont les principales recommandations de l’Autorité qui souhaite une régulation en profondeur plutôt qu’une mesure sur le prix aux effets incertains. Interrogée également sur la question de la dématérialisation des titres-restaurant, elle recommande de rendre la dématérialisation obligatoire, mais préconise de prévoir un délai de prévenance suffisamment long afin de laisser le temps à tous les acteurs d’anticiper le "basculement généralisé" vers le numérique. Le ticket-restaurant dématérialisé semble donc rencontrer les faveurs de l’Autorité. La balle est désormais dans le camp du gouvernement.
Mathilde Aymami