La Suisse demeure un îlot d’excellence plébiscité par les investisseurs du monde entier. Culture financière, diversification, ouverture internationale, flexibilité… Autant d’atouts que les gérants helvètes savent mettre en avant. Explications de François Mollat du Jourdin, président fondateur du multi-family office MJ & Cie, implanté à Paris et Genève.
François Mollat du Jourdin (MJ & Cie) : "La gestion de fortune suisse permet d’accéder à des solutions d’investissement plus larges, profondes et internationales"
Décideurs. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la gestion de fortune en Suisse et comment elle se distingue de la pratique en France ?
François Mollat du Jourdin. Le secteur financier, qui s’occupe majoritairement de la gestion de fortune, représente près de 10 % du PIB, contre 4,5 % en France. Le total des bilans bancaires équivaut à cinq fois le PIB, plus du triple de la moyenne européenne. Le secteur emploie plus de 200 000 personnes, soit près de 5 % de la population active. À l’échelle mondiale, la Suisse occupe historiquement la première place en matière de gestion de fortune internationale.
Les banques privées jouent un rôle central, c’est inscrit dans l’ADN de la majorité d’entre elles, y compris des banques universelles. Le nombre de banques qui ne font que de la gestion de fortune est sans équivalent. Certaines ont atteint une envergure significative et leur nom est ancré dans le paysage depuis plus de deux siècles !
Les tiers gérants, également appelés gérants de fortune, tiennent aussi leur place. Leur positionnement est à mi-chemin entre la société de gestion et le CGP, qui n’existe pas en Suisse. Banques privées et tiers gérants se répartissent le marché et s’organisent assez bien pour éviter une concurrence trop frontale. La gestion de fortune consiste pour l’essentiel à proposer de la gestion de portefeuille sous mandat, permettant d’accéder à des solutions d’investissement plus larges, profondes et internationales.
Quelles tendances observez-vous en matière de gestion de fortune en Suisse ?
Nous assistons à une montée en puissance de l’asset management dans les banques, alors que peu d’acteurs indépendants émergent. Ainsi, plusieurs établissements sont parvenus à se positionner sur des créneaux d’excellence, en Suisse comme à l’international, qu’il s’agisse de gestion thématique pour Pictet, d’ISR pour Lombard Odier, de gestion alternative pour UBP, etc. Par ailleurs, la professionnalisation des tiers gérants et la transformation numérique demeurent des sujets majeurs. Enfin, l’offre s’internationalise avec les comptes et mandats en Asie, le FID luxembourgeois, ou encore les rapports fiscaux type IFU…
Comment le cadre réglementaire suisse influence-t-il la gestion de fortune ?
L’évolution de la réglementation suisse est similaire à celle de la France et plus largement à celle de l’Europe, avec quelques années de décalage et une application généralement plus pragmatique. Cela accélère la professionnalisation. Nous n’avons cependant pas encore constaté de mouvement significatif de concentration comme celui qui a touché les CGP en France. Quant à la rémunération, aux commissions de gestion et aux rétrocessions, elles manquent encore de transparence, même si la réglementation évolue. Une grande culture de la confidentialité perdure, bien que le pays ait renoncé au secret bancaire.
Quels stratégies, services ou produits spécifiques utilisez-vous pour gérer la fortune de vos clients en Suisse ?
Une gestion suisse permet de diversifier les méthodes et de localiser des avoirs hors zone euro. Les mandats de gestion, y compris sur les actifs alternatifs, constituent l’offre phare, d’autant que les gérants disposent de plus de flexibilité. Ils offrent une exposition plus large aux devises et actifs suisses. Enfin, l’accès à des plateformes d’actifs privés internationaux est appréciable.
L’or reste un actif omniprésent dans les portefeuilles. Les produits alternatifs, tels que le private equity ou les hedge funds, sont généralement sourcées hors des frontières, grâce à une architecture très ouverte sur le reste de l’Europe, mais aussi sur les États-Unis et l’Asie. En matière d’ISR, l’approche des banques suisses est souvent plus avancée et structurée.
En trente ans, la Suisse est devenue l’un des acteurs les plus compétitifs de la gestion de fortune, face à une concurrence menaçante, notamment à Hongkong, Singapour ou encore Dubaï.