La gestion privée est l’équilibre parfait entre tradition et adaptation, où l'excellence, alliant innovation, quête de performances et humain, est mise au service du client. Christophe Burtin, directeur général de Bordier & Cie, revient sur les perspectives et les tendances clés de ce secteur en constante mutation.
Christophe Burtin (Bordier & Cie) : "Notre groupe connaît la meilleure année de son histoire"
Décideurs. Quelles sont les évolutions notables dans le milieu de la gestion privée ?
Christophe Burtin. La gestion privée est aujourd’hui fortement influencée par les évolutions réglementaires des dernières années, et ces tendances vont s’accentuer à l’avenir : transparence des frais, transférabilité du courtage et des commissions des contrats d’assurance-vie. Nous pouvons parler de la directive assurance DDA, dont la conséquence principale est une liberté relative de la circulation des contrats. Grâce à cela, il est plus facile pour un client de faire évoluer son contrat, changer de courtier et faire en sorte que les commissions soient transmises au nouveau courtier. C’est une évolution bénéfique pour la protection de l’épargnant. Enfin, un client n’est plus lié avec son courtier d’origine si celui-ci ne répond plus à ses attentes !
S’agissant du reporting des frais, la réglementation a également évolué, ce qui est vertueux, mais nécessite encore de la pédagogie auprès des clients privés. Celui d’un gérant sous mandat englobe tous les frais directs et les frais indirects des OPC en portefeuille, et je regrette qu’il semble ne pas intégrer ceux présents dans toute la chaîne des produits structurés.
Côté finance durable, où en sommes-nous ?
La réglementation est positive à moyen terme mais doit encore être précisée. À ce jour, nous avons interrogé l’ensemble de nos clients sur ce thème, et seulement 10 % nous ont fait part d’une préférence en la matière. Comme tout gérant responsable, nous accompagnons cette transition énergétique et une part de nos portefeuilles est réservée à des sociétés et des fonds contribuant directement à cet enjeu.
Comment vous adaptez-vous au contexte de marché actuel ?
Si vous prenez en compte la sous-performance générale de la gestion collective depuis dix ans et la montée en puissance des ETF, mais aussi la progression constante des coûts fixes, tout ceci concourt à une pression sur les marges et à une disparation des acteurs les moins performants incapables de collecter. Cette tendance est partiellement due aux frais des produits qui pourraient être optimisés mais aussi liée à la composition des indices et au poids dominant de certains titres au sein des indices rendant alors difficile le fait de les suivre certaines années. Le marché étant de plus en plus efficient, cela nous conduit à renforcer encore davantage la part des actions en direct au sein de nos portefeuilles et des trackers, au détriment des fonds, en proportion.
Parlez-nous de votre offre à destination des CGP et MFO.
Nous avons lancé en 2021 une prestation de gestion déléguée en proposant, à partir de 500 000 euros, nos mandats en actions internationales en titres vifs, offre enrichie cette année d’une gestion en obligations en direct. Notre ambition est de travailler de façon régulière avec une trentaine de cabinets de CGP ou MFO de taille moyenne, parmi les plus agiles et performants, notamment en régions. Leur écosystème est passionnant. On y rencontre des personnalités riches, des entrepreneurs, des compétences pointues.
Vous proposez également des solutions d’investissement en private equity…
Nous possédons une longue expérience en la matière pour avoir lancé dès 2016 notre mandat de conseil en private equity et dette privée à destination de nos clients. Depuis, Nous avons investi dans seize fonds de qualité institutionnelle, sur des stratégies variées et complémentaires (buy-out, secondaire, venture, dette unitranche et mezzanine, immobilier value-add) À ce jour, les engagements cumulés sur ces fonds représentent près de 10 % de nos encours.
Quels sont vos points de différenciation ?
L’ADN familial et entrepreunarial de Bordier & Cie est très marqué et aujourd’hui assez unique dans l’univers des banques privées européennes. Nous sommes un pure-player en gestion de fortune, dont l’indépendance se reflète aussi dans la construction de nos investissements.
Nous proposons à nos clients de construire des portefeuilles internationaux avec un fort biais valeurs de croissance, tant sur les actions que les obligations. Majoritairement en direct, à défaut sur des fonds de nos confrères, en totale architecture ouverte, sans conflits d’intérêts.
Comment se porte Bordier & Cie ?
Notre groupe, le dernier en Suisse romande à avoir conservé son statut de banquier privé en commandite par actions, connaît la meilleure année de son histoire. Avec un ratio cost/ income de 65 %, un core tier one de 35 % et des chiffres de collecte nette entre 4 % et 10 % de ses actifs sous gestion ces cinq dernières années, Bordier & Cie combine rentabilité, solidité et dynamique de croissance commerciale. Nous sommes donc très bien armés pour aborder la prochaine décennie !
Quel est l’avenir de la gestion privée ?
En parallèle de la consolidation qui s’opère avec l’aide des fonds de private equity, de nouvelles structures de petite taille se créent, multi-family offices ou CGP, souvent à l’initiative d’anciens banquiers privés ou d’ingénieurs patrimoniaux, expérimentés et compétents. Une activité M&A donc toujours dynamique, bien que je ne sois pas convaincu qu’elle se traduise par une amélioration du service apporté aux clients. Les structures à taille humaine, indépendantes et bien gérées conserveront toute leur place.
Sur quoi miser en 2024 ?
Il existe clairement un retour de l’obligataire qui me semble intéressant, car investir sur cette classe d’actifs signifie fixer un rendement sur plusieurs années, et si les taux veulent bien baisser sur les prochains trimestres, ce sera aussi l’occasion d’encaisser un gain en capital.
La dette privée, à destination d’une clientèle avertie, est poussée depuis dix-huit mois, à juste titre. Leurs primes de rendement sont attractives si l’on est capable d’accepter de l’illiquidité sur plusieurs années.
Il me semble prématuré de parler de l’immobilier, bien que nous continuions d’observer l’évolution du marché et restions opportunistes.
Propos recueillis par Marine Fleury