Le législateur européen s’est doté d’un corpus de règles dont fait partie le règlement de taxonomie qui est censé orienter les flux de capitaux vers les activités économiques les plus durables. Souvent vécu par les entreprises européennes comme des contraintes supplémentaires qui les défavorisent dans un contexte de concurrence internationale tendu, le pari pris par l’UE est que ce "modèle" irrigue et finisse par s’imposer au sein des autres pays non européens. Dans ce contexte, la place laissée à l’investissement responsable apparaît déterminante pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Finance verte : la clé d’un changement vers une durabilité sous contrôle (Alerion Avocats)
Une construction règlementaire européenne au travers de deux textes dont l’objectif est d’impulser un changement de paradigme 2024 a été l’année d’entrée en vigueur de la CSRD, qui impose aux entreprises entrant dans le périmètre de la directive de formaliser un rapport de durabilité fondé sur la conception d’une matrice de double matérialité : matérialité financière (vision "Inside-Out") et matérialité d’impact (vision "Outside-In").
2024 est également marquée par l’entrée en vigueur de la CS3D, qui pourrait être considérée comme une extension de la CSRD applicable à l’entreprise et à ses partenaires commerciaux au sein de sa chaîne d’activité, tant en amont qu’en aval.
Pour les entreprises financières réglementées, seule la partie en amont de leur chaîne d’activité est couverte par la directive.
Outre la possibilité d’engager leur responsabilité civile, les entreprises pourront être assignées en réparation des préjudices causés par des manquements avérés. La directive prévoit l’obligation pour les États de mettre en place une ou plusieurs autorités de contrôle en charge de son application, en exerçant un pouvoir de sanction administrative. Les entreprises responsables d’un dommage pourront être condamnées à des amendes, avec une sanction maximale de 5 % du chiffre d’affaires net de l’entreprise. En France, un devoir de vigilance préexistait à sa version européenne, et des chambres spécialisées (incluant le devoir de vigilance et l’environnement, qualifiés de contentieux "émergents") au sein de certaines juridictions ont d’ores et déjà été créées, ce qui présage de nombreux contentieux.
ESG Legal Engineering
Sur le plan RH, des outils sont à la disposition des entreprises ayant adopté une démarche en vue de faire coïncider transition sociale et transition environnementale, en mettant en œuvre des plans de transition conçus comme vecteurs de durabilité.
L’intégration d’indicateurs ou paramètres ESG dans les politiques de rémunération passe, par exemple, par des accords d’intéressement ou des plans de bonus à l’attention du management des entreprises voire des mandataires sociaux, qui constituent des outils largement utilisés désormais, en particulier dans les entreprises du CAC 40, et dans une moindre mesure au sein des PME et des ETI.
La finance durable comme clé du changement ?
La Banque de France a intégré le risque climatique dans ses missions de service à l’économie. Elle évalue dans ce contexte l’intégration de ces risques dans la cotation des entreprises et développe un prototype d’indicateur permettant d’apprécier la situation d’une entreprise au regard de son exposition et de sa maîtrise de ces risques. L’investissement durable dans une activité économique doit ainsi contribuer à un objectif environnemental mesuré, par exemple, au moyen d’indicateurs concernant l’utilisation des énergies renouvelables, des matières premières, le traitement des déchets, les émissions de gaz à effet de serre ou en matière d’effets sur la biodiversité et l’économie circulaire. C’est aussi un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif social, par exemple en luttant contre les inégalités ou en favorisant la cohésion sociale et l’amélioration des relations de travail, ou en s’engageant en faveur des communautés économiquement ou socialement défavorisées.
Les sociétés dans lesquelles les investissements sont réalisés doivent appliquer des pratiques de bonne gouvernance par la mise en place de structures de gestion saine, l’entretien de relations loyales et constructives avec la représentation du personnel et les salariés, dont la rémunération doit être décente.
La nécessité de la transparence
Diverses obligations visant à une transparence accrue ont été mises en place, avec pour objectif de flécher les investissements vers les entreprises les plus "vertueuses". Le règlement SFDR impose des règles de transparence aux acteurs des marchés financiers au profit de leurs clients. Les acteurs et marchés financiers doivent décrire dans les informations précontractuelles la manière dont les risques en matière de durabilité sont intégrés dans leur décision d’investissement, ainsi que les résultats de l’évaluation des incidences probables, les risques en matière de durabilité sur le rendement des produits financier qu’ils mettent à disposition de leurs clients. Ils doivent, entre autres, présenter une explication claire et motivée indiquant pour chaque produit financier s’il prend en compte les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité.
Ainsi, le règlement SFDR invite les producteurs de produits financiers à classer leurs produits d’investissement en trois catégories, en distinguant :
- les produits dits "article 8", qui promeuvent des caractéristiques environnementales ou sociales, ou une combinaison de ses caractéristiques, pour autant que les sociétés dans lesquelles les investissements sont réalisés appliquent des pratiques de bonne gouvernance ;
- les produits dits "article 9" qui ont pour objectif l’investissement durable ;
- les produits dits "article 6" qui apparaissent comme une catégorie résiduelle accueillant tous les produits qui n’entrent pas dans les deux précédentes catégories.
L’émergence d’un contrôle de la finance durable
L’AMF a fait de la finance durable l’un des six axes de ses orientations stratégiques et l’intègre de plus en plus dans son corpus de supervision. À ce titre, elle encourage les gérants d’actifs à intégrer les critères ESG dans leur gestion des risques et leur stratégie d’investissement, ainsi que le développement d’offres de stratégie d’investissement responsable ou à impact.
Depuis quelques années, l’AMF a également instauré des contrôles Spot (Supervision des pratiques opérationnelles et thématiques) destinés à vérifier le respect par les sociétés de gestion de leurs engagements liés à la finance durable.
Le "gendarme financier" lutte donc contre les abus de marché. Le greenwashing, contre lequel l’AMF lutte également désormais, pourrait-il caractériser un abus de marché ? L’article 12,1, C du règlement MAR (Règlement abus de marché) prend en compte la manipulation du marché par la diffusion de fausses informations. Or, le caractère équivoque de l’information, lorsqu’il est de nature à faire naître des spéculations et ou à diriger des investissements vers des hypothèses erronées, la présentation exagérément positive des résultats d’une société ou encore la présentation d’une manière faussement « trop » positive d’une entreprise en faveur de l’environnement pourrait conduire un jour l’AMF à qualifier le greenwashing d’abus de marché.
Au niveau européen, l’Esma (Autorité européenne des marchés financiers) a publié ses lignes directrices pour encadrer les fonds qui se disent vertueux :
- se prévaloir de l’étiquette durable nécessite d’avoir au moins 80 % de ses investissements respectant les critères ESG ;
- l’exclusion des sociétés dont les activités ne seraient pas conformes à l’Accord de Paris (Paris Aligned Benchmark ou PAB), à l’instar des producteurs d’énergies fossiles ;
- le label ISR exclut les sociétés d’énergie fossile en Europe.
Le phénomène de l’écoblanchiment est d’intensité très variable, allant de la négligence à la fraude. Son ampleur ne doit pas être minimisée, car il sape la croyance des investisseurs dans la qualité de produits et services financiers qui leur sont proposés sous l’égide de la durabilité.
C’est la raison pour laquelle la lutte contre l’écoblanchiment figure dans les axes prioritaires d’action présentés par l’Esma, pour la période 2023-2028. Elle figure aussi en très bonne place dans les orientations stratégiques prises par l’AMF qui voit dans cette lutte l’expression d’une régulation engagée pour une finance durable.
En conclusion, ce corpus de règles doit permettre de lutter contre l’écoblanchiment et donner confiance aux investisseurs institutionnels afin qu’ils ne se détournent pas de la finance durable. Il convient de rappeler en effet que sans l’épargne privée, l’entreprise de mutation de l’économie vers un modèle plus durable est vouée à l’échec. Cette confiance est donc essentielle, car s’il y a peu de consensus sur l’idée d’une meilleure profitabilité des sociétés aux ambitions ESG affichées, ces engagements permettent de limiter de nombreux risques, notamment sur le plan réputationnel, du fait d’un meilleur contrôle de la compliance – à condition d’avoir été sincère dans ses engagements de durabilité.
Jacques Perotto, avocat associé au sein d’Alerion Avocats