La mise en place de management package participe activement à l’alignement des intérêts entre les actionnaires financiers et les actionnaires managers. Vincenzo Feldmann, Christopher Lalloz et Sébastien Delaunay, tous les trois associés au sein du cabinet Mayer Brown, reviennent sur les spécificités de cet outil à disposition des entreprises.

Décideurs. Quels sont les objectifs du management package ?
Vincenzo Feldmann. Les objectifs peuvent varier en fonction des contextes et des situations des entreprises concernées. Notre équipe spécialisée dans l’accompagnement des fondateurs, dirigeants et équipes de management a un champ d’intervention assez large qui nous permet d’avoir une vision globale du marché. Ce que l’on appelle aujourd’hui management package regroupe tous les dispositifs de participation au capital des dirigeants et managers que nous négocions et mettons en place dans le cadre d’une transaction de private equity – principalement un LBO. Dans ce cas l’objectif clairement affirmé par l’actionnaire financier est l’alignement d’intérêts entre financiers et équipes dirigeantes pour le développement du groupe, la création de valeur et de rentabilité. Des mécanismes d’accès au capital sont toutefois aussi mis en place en dehors de toute transaction. C’est d’ailleurs de plus en plus fréquent.

 

Dans notre clientèle, nous comptons de plus en plus de petits ou grands groupes dont les actionnaires, fondateurs ou dirigeants souhaitent impliquer et faire participer leurs équipes dans le cadre de plans de développement sur une durée déterminée. L’objectif est ici d’aller rechercher la performance de tel ou tel indicateur interne (chiffre d’affaires, EBIT, marge, etc.) et bien entendu de retenir les talents. Ce dernier thème est d’ailleurs central en période de crise, mais nous y reviendrons certainement. Enfin, quels que soient les contextes, une évolution claire du marché français est la tendance grandissante des actionnaires, fondateurs ou dirigeants à souhaiter partager la valeur avec l’ensemble des salariés.

 

Sébastien Delaunay. En effet l’actionnariat salarié a le vent en poupe ! Bien établi dans les sociétés cotées, il se développe aujourd’hui très largement chez les sociétés non cotées. De manière générale, pour beaucoup d’acteurs sur le marché, les mécanismes collectifs d’incentive permettent de faire un lien avec les politiques RSE. En effet, le partage de la valeur s’inscrit dans le mouvement actuel de bonnes pratiques de gouvernance et sociétales. Pour nos clients, la sensibilité aux bonnes pratiques de gouvernance est de plus en plus aiguisée, et les structures que nous mettons en place leur permettent de faire converger exigences de leur politique RSE et fidélisation des collaborateurs.

 

Pouvez-vous nous parler des outils à disposition de l’entreprise dans la mise en place de management package ?
V. F. De manière générale, les plans sont constitués avec des instruments donnant accès au capital social des sociétés, immédiatement ou à terme. En fonction des contextes, le recours à des instruments de nature salariale peut aussi avoir un sens. Sans trop entrer dans les détails techniques, nous utilisons la plupart des instruments des deux grandes familles suivantes : les instruments dits "payants" d’une part (actions ordinaires et actions de préférence, souvent plus complexes) et, même si ces seconds relèvent par essence d’une logique et d’une philosophie différentes, les instruments dits "gratuits" d’autre part, notamment l’action gratuite qui bénéficie d’un régime fiscal très encadré par le législateur, ce qui peut s’avérer assez sécurisant dans le contexte jurisprudentiel actuel.

 

Christopher Lalloz. Notons que nos pratiques, et donc l’utilisation de tel ou tel instrument, évoluent dans le temps. Il y a une quinzaine d’années, la structuration des management package passait souvent par la conclusion de simples promesses contractuelles entre les managers et les actionnaires financiers, aux termes desquelles ces derniers s’engageaient à partager la plus-value générée avec le management à la sortie de l’investissement. Ces schémas ont ensuite été remplacés par des dispositifs plus sophistiqués tels que les BSA (bons de souscription d’action). Depuis quelques années, les management package sont le plus souvent structurés via des instruments associant les managers directement au capital de la société aux côtés des financiers tels que les actions de préférence évoquées par Vincenzo.

 

Les managers deviennent donc de véritables "actionnaires-managers" qui, à l’instar des actionnaires financiers, participent aux profits mais également, le cas échéant, aux pertes. Les pratiques ont également évolué s’agissant des instruments gratuits. Si les entreprises avaient recours il y a quelques années aux stock-options, les actions gratuites sont aujourd’hui l’instrument gratuit plébiscité par la pratique. Leur régime est encadré et présente effectivement de nombreuses vertus, même si sa fiscalité est moins favorable que celle d’une action dite payante. On le voit, les évolutions sont permanentes et tendent à faire du manager un véritable actionnaire qui, au-delà de sa seule casquette de "travailleur", a désormais une nouvelle casquette d’investisseur.

 

V. F. Gardons également à l’esprit que l’utilisation de tel ou tel outil peut varier en fonction de la résidence fiscale des bénéficiaires. Nous mettons souvent en place des dispositifs au sein de groupes transfrontaliers. Lorsque nous sommes en présence d’une équipe de management "multi-pays", l’alignement des intérêts passe aussi par la recherche d’une sorte d’"équité" dans le traitement fiscal afin que les différences de législation n’impactent pas trop le rendement de l’actionnaire manager. Par exemple, l’action gratuite, outil juridique très « français » passe assez mal les frontières de l’hexagone et des adaptations ou mécanismes alternatifs doivent souvent être envisagés à l’étranger.

 

On peut donc aujourd’hui parler d’un véritable principe de partage de la valeur de manière plus générale ?
V. F. Oui, le principe du partage de la valeur est aujourd’hui ancré dans le panorama économique et social et personne ne peut l’ignorer. Le gouvernement et le législateur insistent de plus en plus sur la nécessité d’intégrer ce principe dans les règles de bonne gouvernance des entreprises. L’ouverture du partage de la valeur peut avoir plusieurs expressions. Le management package est installé en France depuis longtemps et les investisseurs financiers sont convaincus de l’utilité de partager la valeur créée. Depuis peu, le législateur incite plus largement l’ensemble des opérateurs économiques à participer au partage, notamment au travers de nouvelles lois qui proposent de nouveaux dispositifs, encore à améliorer.

 

S. D. Nous distinguons historiquement les dispositifs de management package et les plans collectifs destinés à l’ensemble des salariés. La frontière est en effet assez naturelle entre ces différents outils, les premiers sont avant tout des dispositifs actionnariaux, les seconds se rattachent aux dispositifs d’épargne salariale. Il y a toutefois aujourd’hui une tendance claire à la cohabitation de ces mécanismes financiers, tant par le recours croissant aux plans collectifs destinés aux salariés que par le rapprochement des instruments utilisés pour structurer ces deux types d’incentive.

Le mécanisme de partage des plus-values destiné aux salariés, mis en place par la loi Pacte, en est une illustration. Ce mécanisme nouveau permet ainsi aux actionnaires de s’engager à rétrocéder une partie des gains à l’ensemble des salariés. Même si ce dispositif peut être amélioré, il a le mérite de s’inscrire dans le mouvement global de la loi Pacte qui encourage le partage de la valeur d’une façon générale. Rappelons par ailleurs que l’objectif affiché par la loi Pacte à l’horizon 2030 est une détention de 10 % du capital des entreprises françaises par les salariés. Actuellement, nous sommes à 3 % au niveau du CAC 40, à environ 1,5 % du SBF 120, et à un niveau quasi-nul dans les sociétés non cotées... La voie est tracée mais le chemin est encore long !

 

Quels sont les avantages et les risques de ce montage financier ?
V. F. L’alignement des intérêts entre les actionnaires financiers et les actionnaires-managers est moteur dans la réussite du projet. L’industrie du LBO est créatrice de valeur. Si les choses se passent bien, les actionnaires-managers, comme les actionnaires financiers, tireront les bénéfices de cette création de valeur. En revanche, bien entendu, si les choses se passent mal, ou pas aussi bien qu’anticipé, les actionnaires-managers peuvent ne pas réaliser de plus-value, voire dans certaines situations, qui ne sont pas des hypothèses d’école, perdre tout ou partie de leur investissement de départ. Ce risque doit donc être parfaitement appréhendé par les actionnaires-managers en amont de l’opération et de leur investissement.

 

Concernant le risque fiscal, que penser de la nouvelle jurisprudence de 2021 relative à la fiscalité des managements packages ?
C. L. Il est vrai que les arrêts rendus par le Conseil d’Etat en 2021 ont eu un fort retentissement. Présentés rapidement comme un revirement de jurisprudence qui allait changer la donne, ils s’inscrivent en réalité selon nous dans une forme de continuité, un mouvement amorcé depuis plusieurs années dans lequel le management package ne peut être fiscalisé selon le régime favorable des plus-values (par opposition au régime des traitements et salaires) que si l’actionnaire-manager est, non seulement un salarié (casquette qu’il ne pourra par définition jamais s’enlever), mais également un véritable actionnaire investisseur. Les critères pour avoir cette seconde casquette ont, il est vrai, quelque peu évolué. Le critère historiquement reconnu en jurisprudence est celui de la prise de risque financier, c’est-à-dire la possibilité pour le manager de perdre tout ou partie de sa mise. Aussi pertinent soit-il sur le plan financier – la rapporteure publique dans ses conclusions relatives aux arrêts de 2021 en fait d’ailleurs elle-même une des hypothèses de départ qui sous-tendent son raisonnement – ce critère semble avoir été quelque peu "rétrogradé" dans la hiérarchie, au profit d’une analyse au cas par cas des conditions de la réalisation du gain par le manager : ainsi, le gain réalisé par un manager serait un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires, par exception au principe selon lequel il est imposable dans la catégorie des plus-values, lorsqu’il est "essentiellement" (sic) acquis, non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié.

 

Quelles sont donc les conséquences pratiques de ces nouveaux arrêts pour les managers ?
C. L. Notons d’abord que l’évolution constante de la jurisprudence n’est pas de nature, c’est le moins que l’on puisse dire, à contribuer à la sécurité juridique et fiscale du contribuable. C’est d’autant plus problématique qu’il s’écoule souvent plusieurs années entre la mise en place du management package et son débouclage susceptible de générer une plus-value imposable (sans compter que l’administration fiscale s’intéresse le plus souvent à cette plus-value à la fin de la période de prescription triennale). Les tentatives de légifération des management package, qui auraient le mérite de mettre fin à cette insécurité, ont été à ce jour infructueuses.

Sur un plan plus positif, force est de constater que l’administration fiscale n’a pas multiplié les remises en cause de management package depuis ces arrêts, ce qui alimente bien selon nous l’idée selon laquelle ces arrêts s’inscrivent dans la continuité des précédents et que l’administration ne s’intéresse qu’aux dossiers qui "sortent du lot", dans lesquels le manager peut difficilement revendiquer le statut d’investisseur.

V. F. Il est également important de noter qu’en pratique, les arrêts récents du Conseil d’État ont amené les praticiens à ajuster la structuration des management package afin de mieux se conformer aux exigences du juge de l’impôt. Le management package suit bien entendu toujours les mêmes objectifs de base, sa philosophie est toujours d’aligner les intérêts des actionnaires financiers et des actionnaires managers, mais sa structuration juridique et financière évolue afin de renforcer, toujours plus encore, le rôle d’actionnaire de ces derniers. 

 

Dans ce contexte, les actions gratuites, en tant que régime légal, sont-elles un bon outil alternatif ?
C. L. Il est tout à fait exact que les actions gratuites, dont le régime fiscal est très encadré par le législateur, présentent l’avantage d’apporter une grande sécurité et stabilité juridique à leur détenteur, si l’on met de côté les changements réguliers de taux d’imposition. Sur le principe, l’outil permet de s’affranchir d’un certain nombre de considérations et de contraintes résultant des arrêts du Conseil d’État de 2021. Cette sécurité juridique a toutefois un prix puisque le régime fiscal des actions gratuites est beaucoup moins favorable que celui des actions dites payantes.

 

V. F. Les outils gratuits présentent par ailleurs un certain nombre de contraintes techniques qui leur sont propres, notamment en ce qui concerne les seuils maximums de détention de capital. Structurer intégralement un management package via des actions gratuites n’est donc pas toujours envisageable en pratique. Rappelons enfin que la philosophie même de l’action gratuite est très différente de l’action payante : sur le terrain de l’alignement des intérêts avec l’actionnaire financier, l’action gratuite, qui ne requiert par définition pas d’engagement financier, est en effet moins engageante/motivante pour le manager.

 

Quels sont les intérêts des plans d’incentive en période d’incertitudes économiques ?
V. F. C’est en période de crise que la direction d’une entreprise a besoin de compter sur ses talents afin de « garder le cap dans la tempête », comme disait un célèbre entraîneur auxerrois. Cela se traduit par la mise en place de mécanismes, au premier rang desquels des mécanismes d’incentive des équipes. Nous remarquons que ces plans impactent tous les acteurs privés. De nombreux clients viennent nous voir en période difficile afin de mettre en place ces dispositifs dans le but de retenir leurs talents. C’est une pratique très courante dans les sociétés cotées qui se généralise de plus en plus dans les sociétés non cotées. Partager la valeur sera sans aucun doute un outil déterminant à disposition des actionnaires et dirigeants pour lutter contre la "Grande Démission".

 

S. D. Il y a effectivement un rapproche-ment des outils qui sont mis en place pour motiver et retenir les équipes dirigeantes et plus largement les collaborateurs, répondant à un besoin général des entreprises face aux incertitudes économiques. Au sein du cabinet, notre approche est globale et s’adapte en permanence au marché afin de pouvoir répondre aux besoins de motivation et de rétention sur l’ensemble de la population de l’entreprise. Ce phénomène va s’accroître et nous nous adaptons en permanence pour assister nos clients, tant dans le monde du private equity et des sociétés cotées, déjà bien balisé, que des autres opérateurs non cotés.

 

Propos recueillis par Juliette Woods

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