La cession d’entreprise devrait être l’occasion pour un dirigeant de matérialiser l’effort d’une vie. Pour autant, cession ne rime pas nécessairement avec liquidités et cela est vrai, tout particulièrement lors des opérations de LBO. Les chefs d’entreprise sont parfois confrontés à des difficultés inattendues et, de fait, des déceptions lorsque leur structuration n’a pas été anticipée et que les conditions de leur cession n’ont pas été suffisamment négociées et préparées. Éclairage avec Alison Gueroux, ingénieur patrimonial, et Mehdi Ali-Larbi, directeur général de Family Office Business Services (Fobs).

Décideurs. Comment un dirigeant se prépare-t-il à la cession de sa société ?

Mehdi Ali-Larbi. Nous constatons, pour un certain nombre d’opérations, que les dirigeants ne sont pas suffisamment préparés à la cession de leur entreprise. Dans la majorité des cas, ils naviguent à vue, avec un accompagnement inadéquat, et sans stratégie en amont. En outre, ils détiennent souvent les titres de leur société en direct, sans structuration particulière en anticipation d’une éventuelle cession. Ignorer la nécessité d'une préparation méthodique peut, par conséquent, compromettre significativement la valeur de leur patrimoine lors de telles opérations.

 

Alison Gueroux. Effectivement, rares sont les chefs d’entreprise qui ont une visibilité précise sur leur horizon de cession. Pour autant, et ne serait-ce que pour avoir une meilleure visibilité sur la valeur de leur actif professionnel et les éventuelles opportunités de marché, ils peuvent ouvrir leurs portes à des discussions.

Souvent, dès lors qu’ils se confrontent au marché des transactions d’entreprise, ils sont en quelque sorte pris dans une spirale. Lorsqu’une opportunité se présente, tout peut aller très vite : le point d’entrée est le travail de valorisation, le chef d’entreprise va se projeter naturellement dans cette opportunité de cession et pour avancer sur les négociations afin de cadrer une offre, les process vont s’accélérer. Le deal se dessine rapidement, le prix, l’earn-out, les garanties, l’engagement de réinvestissement… se précisent. Dans ce contexte, le cédant focalise en général son attention sur le prix de cession et il en oublie l’importance de sa structuration, l’impact sur son train de vie, ses conditions de sortie ou sa fiscalité. Dès lors, le chef d’entreprise peut tomber de haut.

 

M. A.-L. En plus de cela, il peut avoir le sentiment d’être doublement pénalisé : non seulement il n’a pas les liquidités escomptées et il a perdu les ressources que lui procurait sa société. Son train de vie peut se voir mis à mal à cause de la perte des avantages liés à son statut de chef d’entreprise. En sus, il devra assurer le bon fonctionnement de l’entreprise et obtenir des résultats ambitieux pour atteindre les objectifs qui lui ont été fixés, tout en ayant perdu son statut de dirigeant et en s’engageant à "rendre des comptes" aux nouveaux actionnaires. En d’autres termes, soit il décide de vendre en maximisant ses liquidités à court terme, soit il perd en qualité de vie.

 

Quelles sont les alternatives pour une cession réussie ?

A. G. Plus la structuration personnelle du chef d’entreprise aura été préparée, plus la cession sera réalisée dans des conditions favorables. Pour autant si rien n’a pu être anticipé, le choix d’une structuration adaptée et les orientations stratégiques doivent être dessinées avant la cession. Pour cela, les conditions du deal doivent être précisément connues et maîtrisées. Pour illustrer cette situation de façon pratique, prenons un exemple : un chef d’entreprise cède pour 10 millions d’euros€ (8 millions d’euros à la cession et 2 millions d’euros d’earn-out), avec un engagement de réinvestissement de 2,5 millions d’euros et une garantie d’actif-passif de 1,5 million :

 

Caractéristiques de la cession

Cession

   10 000 000 €

Prix d'acquisition

     8 000 000 €

Earn-out

     2 000 000 €

Réinvestissement

     2 500 000 €

GAP

     1 500 000 €

 

La première hypothèse de cession qui se présente est la cession en direct, les titres directement détenus par le chef d’entreprise sont cédés à l’acquéreur. La seconde solution est l’apport-cession qui demande au chef d’entreprise d’organiser sa structuration avant la cession, puis il y a surtout une troisième réponse possible mettant en œuvre différents mécanismes de cession de sorte d’être parfaitement adapté aux projets et attentes du chef d’entreprise.

 

Considérant l’impact fiscal d’une cession en direct, le premier réflexe lors d’une telle opération est de chercher une alternative et donc de s’orienter vers le mécanisme d’apport-cession, qui permet de placer sa plus-value en report d’imposition, et donc ne pas supporter la fiscalité sur la plus-value de cession en apportant ses titres détenus en direct à une holding personnelle. Comme tout dispositif fiscal avantageux pour une personne physique, il existe des contreparties à respecter, notamment celle du remploi d’une partie du produit de cession des titres apportés.

 

Première hypothèse : la cession en direct

Cession en direct (assiette taxable)

   10 000 000 €

Fiscalité

     3 400 000 €

Réinvestissement

     2 500 000 €

GAP

     1 500 000 €

Liquidités disponibles à la cession

     2 600 000 €

Coût fiscal global

     3 400 000 €

 

Une cession en direct permettrait de bénéficier de liquidités pour supporter l’engagement de réinvestissement et la garantie d’actif-passif, mais ferait supporter une fiscalité globale de 3,4 millions d’euros pour des liquidités disponibles au moment de la cession de 2,6 millions d’euros.

 

Deuxième hypothèse :  l’apport-cession ou 150-0 B Ter du CGI

Apport cession

     3 900 000 €

Cession direct

     6 100 000 €

Fiscalité

     2 074 000 €

Réinvestissement

     2 500 000 €

GAP

     1 500 000 €

Liquidités disponibles à la cession

          26 000 €

Coût fiscal global

     2 074 000 €

 

Le mécanisme de l’apport-cession qui est présenté comme permettant de mieux maîtriser la fiscalité de la cession ne pourrait être réalisé sur l’ensemble des titres dans la mesure où l’engagement de réinvestissement et la garantie actif-passif ne peuvent être supportés par la holding à laquelle les titres ont été apportés, ou plus précisément le réinvestissement ne pourrait être supporté que par une partie des liquidités disponibles dans la holding. Dans cette hypothèse, la fiscalité supportée par le chef d’entreprise est de 2 millions d’euros pour des liquidités disponibles au moment de la cession de 26 000 euros.

 

Troisième hypothèse : le sur-mesure par la mise en place d’un ensemble de mécanismes

Il est également possible d’envisager l’engagement de réinvestissement par un échange de titres, ce qui mettrait l’imposition, non pas en report mais en sursis et de créer un schéma hybride permettant de répondre précisément aux projets du cédant.

 

Apport cession

     4 000 000 €

Cession direct

     3 500 000 €

Fiscalité

     1 190 000 €

Réinvestissement par échange de titre

     2 500 000 €

Sursis d'imposition (exigible à la revente des titres échangés)

        850 000 €

GAP

     1 500 000 €

Liquidités disponibles à la cession

     2 310 000 €

Coût fiscal global

     2 040 000 €

 

Dans ce schéma, le chef d’entreprise dispose de 2,3 millions d’euros de liquidités immédiates pour un coût fiscal global de 2 millions d’euros. Au moment de la sortie de son réinvestissement, son sursis tombera mais cet événement de liquidités lui permettra de régler cet impôt. La stratégie doit être esquissée et équilibrée en considération des besoins du cédant, de ses contraintes et de ses projets. La connaissance de ces mécanismes et son anticipation permettent de négocier les conditions de sa cession, elle se prépare ainsi tant dans la structuration que dans les dispositions dans lesquelles le chef d’entreprise va se placer face à l’acquéreur.

 

Quelle est finalement la meilleure stratégie de cession ?

A. G. Le report d’imposition offre une maîtrise et une accumulation de capital significatives, car elle permet de différer le paiement de l'impôt sans fixer de date limite précise. Les capitaux pourront être transmis par donation ou succession, et le report s’éteindra à ce moment. Il n’y aucune raison que ce report s’active prématurément, contrairement au sursis qui tombera lors d’un événement de liquidité.

 

M. A.-L. La meilleure solution est toutefois de pouvoir tirer parti de chaque mécanisme, pour disposer d’un niveau de liquidité permettant au cédant de se projeter sereinement, tout en minimisant l’impact fiscal global. Rappelons que peu de chefs d’entreprise arrivent à endosser le costume de collaborateur post-cession. Les conditions de bad leaver liées aux clauses de earn-out notamment, peuvent aussi avoir des impacts négatifs sur ses futures liquidités.

 

La structuration dépend-t-elle du montant de la cession ?

A. G. Plus celui-ci est élevé, plus on s’oriente naturellement vers l’apport-cession. La manière la plus cohérente de procéder, cependant, est de s’appuyer sur les objectifs du cédant, qui doit pouvoir déterminer la nature de ses projets futurs et des liquidités nécessaires à leur réalisation. Les objectifs et projets de notre client constituent immanquablement notre point de départ.

 

Comment un multi-family office peut-il aider à gérer une cession ?

M. A.-L. Notre rôle est d’avoir une approche singulière et transversale, notamment simuler et dresser différents scénarios et leur impact fiscal, déterminer les flux financiers et les capitaux disponibles dans le cadre de la cession. Les conseils approchés par le cédant afin que le deal aboutisse s’occupent chacun d’une partie bien définie de la transaction, en silo. Le multi-family office coordonne l’ensemble des interventions des parties prenantes, peut conseiller des professionnels, et élabore une structuration patrimoniale en amont, en prenant en compte les implications concrètes et pratiques sur la vie du dirigeant. Nous apportons un regard transversal pour que l’intervention de chacun soit bénéfique dans l’intérêt exclusif du dirigeant. Le prix de cession est seulement l’un des éléments à prendre en considération.

 

 

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