Emmanuel Narrat (Haussmann Patrimoine) : "Savoir établir un dialogue et instaurer une relation de confiance n’est pas remplaçable par une IA"
Décideurs. Quelle est votre approche sur les investissements non cotés ?
Emmanuel Narrat. Nous pensons que le non-coté a toute sa place au sein de l’allocation d’un patrimoine privé au même titre que la Bourse, qui peut parfois être trop liquide et déconnectée de la réalité économique du fait d’une hypersensibilité aux rumeurs et aux réseaux sociaux. Nous apprécions particulièrement la décorrélation des investissements non cotés, beaucoup plus en phase avec la réalité. Un des éléments fondamentaux repose sur le rôle clé des gérants dans la gouvernance et la destinée de l’entreprise investie. Pendant très longtemps, les investisseurs privés n’avaient accès qu’à peu d’offres et de qualité moyenne. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée car nous avons accès à une gamme de solutions qualitatives, et nous devons passer beaucoup de temps à rencontrer les gérants et sélectionner les produits. Nous avons une démarche quasi systématique d’intégrer ces solutions au sein des portefeuilles en lien avec le profil du client.
Sur quels véhicules miser au second semestre 2024 ?
Nous allons retrouver des rendements attractifs sur les produits de dettes et de taux, de même sur les projets infrastructure, du fait de leur niveau de résilience et du couple rendement/risque. Le marché secondaire aussi car il a été nourri depuis 2022 par le "denominator effect" car lorsque les marchés ont chuté et que le private equity a délivré de très bonnes performances, les portefeuilles des institutionnels se sont déséquilibrés. Des investisseurs institutionnels ont donc jugé, pour une raison réglementaire ou stratégique, qu’ils avaient une trop grande part allouée à cette classe d’actifs et ont donc dû couper de manière arbitraire une partie de ces investissements. Ainsi, deux types d’actifs sont vendus : ceux peu liquides mais très décotés ou ceux très liquides qui conservent un très fort potentiel. Aujourd’hui, le ralentissement du rythme de remboursement des fonds arrivés à maturités alimente aussi le marché secondaire car certains investisseurs ont besoin de retrouver de la liquidité.
Que pensez-vous de la démocratisation du PE et des nouvelles plateformes d’investissements ?
Ces plateformes ont le mérite de faire le trait d’union entre des fonds institutionnels intouchables et l’investisseur privé. Elles sont nécessaires car elles réussissent à créer des solutions qui ont un coût, certes, mais aucune solution n’est exonérée de frais. Le service qu’elles offrent a un prix et comme dans tous les domaines, les tarifs s’ajustent en fonction des montants investis. Autre tendance, la transition numérique chez les CGP. Comment l’implémentez- vous dans votre quotidien ? C’est beaucoup d’énergie, de temps et d’argent. Nous développons notre propre logiciel métier depuis 2006 et nous finalisons la version 6 de notre site internet, en refonte depuis presque un an pour offrir bientôt encore plus de services et de sécurité à nos clients.
Comment concilier humain et IA ?
L’intelligence artificielle est pratique sur certains sujets, notamment la vérification d’informations basiques, mais toujours avec l’avis d’un professionnel en plus. La rapidité et la performance technologique sont brillantes mais au même titre que les humains, l’IA n’est pas infaillible.
"J’ai toujours été intimement convaincu que notre métier est plus basé sur l’homme que sur l’informatique"
Je ne sais pas jusqu’où nous l’intégrerons à l’avenir, mais il reste plusieurs paramètres de l’intelligence artificielle qui ne sont compatibles telle que la conviction du conseiller ou de son client. J’ai toujours été intimement convaincu que notre métier est plus basé sur l’homme que sur l’informatique. Savoir établir un dialogue et écouter le client, instaurer une relation de confiance n’est pas remplaçable par une IA.
Quelle est votre vision du métier dans dix ans ?
Ce métier a un bel avenir devant lui si la réglementation ne lui met pas trop de bâtons dans les roues. Les conseillers en gestion de patrimoine ont émergé car des épargnants ne trouvaient pas leur compte dans le schéma classique d’une banque ou d’un assureur. Nous savons qu’il existe des guerres de pensées au sujet des modèles de rémunération mais j’espère que les épargnants conserveront leur libre arbitre et la liberté de choisir leur conseiller.
Propos recueillis par Marine Fleury