La taxation d’une plus-value de cession de titres par l’un des deux époux, résidents fiscaux français, peut se révéler être un vrai casse-tête lorsque l’un est de nationalité étrangère, et plus particulièrement, de nationalité américaine. Le point avec Alexis Katchourine, avocat associé, Farewell Tax.
Fiscalité d’une cession de titres : le piège des couples binationaux
Les points clés
- Un époux qui cède des titres peut entraîner une taxation sur la plus-value aux USA de l’autre époux qui, citoyen américain, en est propriétaire conjointement.
- Afin d’anticiper ce sujet, les époux doivent d’abord vérifier le pays de leur régime matrimonial afin de savoir qui est propriétaire des titres.
- Si les époux sont finalement conjointement propriétaires des titres, le schéma d’optimisation apport-cession peut s’avérer périlleux.
- Si les enfants sont eux aussi citoyens américains, le schéma donation-cession ne permet plus d’optimiser la fiscalité de la cession.
Lorsque dans un couple marié, tous deux résidant en France et de nationalité française, l’un détient des titres qu’il cède avec une plus-value, la question fiscale reste purement française : taxation de 30 % sur la plus-value (PFU) ou sur option, pour les titres acquis avant 2018, barème progressif de l’impôt sur le revenu avec abattements1.
Le régime matrimonial des époux n’a alors aucun impact sur cette fiscalité. Les ennuis commencent lorsque l’un des deux conjoints est un national américain. On suppose ici que c’est le conjoint français qui cède des titres, en étant le propriétaire apparent depuis l’origine. Il est donc seul détenteur du "titre". On suppose aussi qu’il va utiliser soit un compte bancaire propre, soit un compte bancaire commun mais il avait suffisamment versé de fonds provenant de ses propres sources au moment de souscrire ou d’acquérir les titres. Toute la question va alors consister à vérifier si son conjoint américain risque d’être considéré comme possédant la "finance" sur 50 % des titres.
Si les titres cédés sont des biens communs, le conjoint américain est taxable aux USA sur 50 % de la plus-value de cession : attention aux obligations fiscales américaines…
Deux situations peuvent se présenter :
- Ou bien les titres cédés représentent pour le conjoint français cédant des biens propres. Dans ce cas, pas de difficulté particulière : la plus-value de cession n'est taxable qu'en France
- Ou les titres sont des biens communs. En ce cas, le conjoint américain, la plupart du temps, n’aura pas le "titre", il n’apparaîtra pas comme actionnaire vis-à-vis des tiers et ne participera pas aux assemblées. Mais il aura la "finance" et donc leur propriété à 50 %.
Si tel est le cas, avant la cession des titres, le conjoint américain est déjà soumis aux USA à plusieurs règles déclaratives2. Faute d’accomplir ces déclarations, des pénalités assez lourdes peuvent s’appliquer.
L’année suivant la cession, le conjoint américain ne devra pas non plus oublier de déclarer à l’IRS sa plus-value de cession, par hypothèse égale à 50 % de la plus-value totale. Cette plus-value est aussi taxée en France puisque les deux époux sont par hypothèse résidents fiscaux français. La double imposition sera en général gérée aux USA par l’attribution d’un crédit d’impôt ("foreign tax credit").
… et les optimisations fiscales classiques ne sont pas facilement praticables.
Jusqu’à présent, tout n’est qu’une question d’obligations américaines à ne pas oublier. Ce qui est moins sympathique, c’est qu’il est plus compliqué d’optimiser la cession des titres détenus conjointement, à cause de la fiscalité américaine. En effet :
- Si le couple donne les titres à ses enfants avant cession, optimisation appelée "donation-cession", cette donation sera imposable en France et aux USA. Aux USA, elle ne sera taxable que si elle dépasse un seuil qui est actuellement environ de 13M USD (environ 12 M€), mais la donation ne purge pas la plus-value aux USA : les enfants paieront l’impôt américain, sans crédit d’impôt français puisqu’en France la plus-value est purgée. Le cumul droits de donation-impôt sur la plus-value n’est donc pas écarté ;
- Si le couple apporte les titres à une holding qui cède immédiatement après ces derniers, technique dite de l’apport-cession, en France l’impôt sur sa plus-value est mis en report et la holding ne paye aucun impôt, pourvu que la holding s’engage à réinvestir une partie du prix de cession dans un certain délai3. Aux USA, cependant, cet apport est analysé comme une cession imposable. Le conjoint américain va donc devoir payer un impôt à l’IRS alors que le produit de la cession est piégé dans la holding, celle-ci ne pouvant le distribuer, faute de résultat. Des techniques existent tout ce même pour faire remonter cet argent mais l’exercice est délicat.
Comment alors déterminer si le conjoint américain détient la "finance" sur 50 % des titres cédés ?
C’est ici que la question du régime matrimonial des époux va être cruciale. Si les époux se sont mariés en France, et qu’ils y ont vécu depuis : avec un régime de communauté, les titres sont considérés par principe comme des biens communs, et les soucis exposés ci-dessus doivent être anticipés. Si au contraire les époux sont séparés de biens, ou sous un régime de communauté mais que l’époux cédant les avait reçus par héritage ou par donation exclusive de communauté, les titres cédés sont des biens propres à l’époux cédant, qui a donc sur ces derniers le "titre" et la "finance".
Si les époux se sont mariés aux USA et qu’ils ont, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, on retiendra alors celle-ci. S’ils n’ont pas désigné cette loi, il faudra départager les deux États en appliquant la Convention de La Haye, signée par la France et les USA. Du côté français, on applique la convention en matière civile et fiscale : la loi est celle de l’état où les époux ont établi leur première résidence habituelle après le mariage. Si les époux ont une nationalité commune, on applique la loi de l’État de cette nationalité, sous certaines conditions. Notamment, les époux ne doivent pas avoir établi leur résidence habituelle après le mariage dans le même état. Si les époux n’ont pas établi leur première résidence habituelle après le mariage dans le même état mais qu’ils n’ont pas de nationalité commune, leur régime matrimonial est celui de l’État avec lequel il présente les liens les plus étroits – c’est donc une question de fait.
Du côté américain le droit fiscal ne suit pas nécessairement le droit civil et l’IRS n’applique pas la convention de La Haye de manière automatique. À ce jour, selon nos correspondants américains, il n’existe aucun texte, jurisprudence ou doctrine qui permettrait de penser le contraire. Il faut donc faire analyser la situation par un conseil fiscal américain, qui connaisse aussi bien le droit fiscal que le droit civil. Selon les circonstances, ce dernier analysera si, pour l’IRS, le conjoint américain possède ou pas la finance sur les titres cédés et donc, si la fiscalité américaine s’applique ou non. Lorsque les titres sont communs, il existe des méthodes pour échapper à ces écueils fiscaux et retrouver une possible optimisation de la plus-value de cession. Entre autres, la voie de la division des titres entre les deux époux est une piste à creuser
1 Articles 150 0A et 150 0D du Code général des impôts ("CGI")
2 Dont les fameuses règles "CFCs" (controlled foreign corporations) si ce dernier détient au moins 10 % de la société dont les titres sont cédés
3 Article 150 0B TER du CGI
Sur l’auteur
Cofondateur de Farewell Tax, cabinet de niche spécialisé en fiscalité, Alexis Katchourine est aussi cofondateur de Zentax, société spécialisée dans l’intelligence artificielle appliquée à la fiscalité.