Plus d’impact, plus de technologie et de private equity… mais un accompagnement indépendant toujours autant nécessaire pour les clients suisses. Entretien avec Nicole Curti, présidente de l’Alliance des gérants de fortune suisses (ASWM) et CEO chez Capital Y.

Décideurs. Pouvez-vous expliquer comment les besoins et les envies des clients ont évolué au cours des dernières années ? 

Nicole Curti. Nous observons tout d’abord un rajeunissement de la clientèle. Qu’il s’agisse de quadragénaires ayant vendu tout ou partie de leur société, ou bien la deuxième ou troisième génération reprenant le patrimoine familial, ils possèdent une approche de la gestion différente de leurs aînés. La performance des investissements n’est plus la seule priorité. Leur intérêt se porte davantage sur l’impact et la manière dont ils peuvent avoir de l’influence à leur échelle. Il n’est pas seulement question d’ESG, cela va au-delà.

 

"Leur intérêt se porte davantage sur l’impact et la manière dont ils peuvent avoir de l’influence à leur échelle"

Par ailleurs, de plus en plus de clients veulent s’engager dans la philanthropie. Le plus difficile est de définir et cadrer ces envies, avant de les mettre en œuvre et d’en mesurer les résultats. Le monde post-Covid a poussé beaucoup de personnes à réfléchir à ces questions, à leur équilibre personnel. Ils cherchent maintenant les solutions pour concrétiser leurs idées.

D’autre part, nous observons un intérêt croissant des clients pour le private equity, au détriment des marchés liquides. L’apparition de plateformes qui permettent de démocratiser l’accès au marché en facilite l’accès pour tout type de clients : tant les grands que les plus petits.

 

Comment les professionnels ont-ils répondu à ces évolutions ?

 

C’est le rôle du gérant privé de les aider, et cela le pousse à réfléchir différemment, à sortir de sa zone de confort. En tant que professionnel, il faut trouver les moyens de les accompagner au mieux. Un gérant ne peut plus se contenter de construire une allocation d’actifs basique. Le biais de l’impact et de l’ISR doit être intégré à tous les niveaux, sans tomber dans le greenwashing.

 

"Un gérant ne peut plus se contenter de construire une allocation d’actifs basique"

Par ailleurs, la transmission est le sujet du moment avec de nombreuses familles. Je milite auprès d’elles pour impliquer leurs enfants très tôt dans la gestion et la compréhension des marchés. Certaines familles veulent tenir leurs enfants à l’écart de la gestion du patrimoine afin qu’ils restent concentrés sur leurs études. Je pense au contraire qu’il faut les accompagner sur le long terme, afin que, le jour venu, ils soient au fait, et à même de gérer ce patrimoine.

 

Comment apporter une valeur ajoutée aux clients dans un environnement financier de plus en plus numérisé et globalisé ?

 

Les outils informatiques et numériques performants prennent une place importante, ne serait-ce que pour agréger les portefeuilles et avoir une vue d’ensemble consolidée en temps réel. Ils représentent une solution intéressante pour une clientèle retail.

 

"Pour les clients fortunés, le gérant privé peut difficilement être remplacé"

En revanche, pour les clients fortunés, où les considérations fiscales, internationales et de structuration de patrimoine familial deviennent complexes, le gérant privé peut difficilement être remplacé. Il se doit néanmoins de maîtriser la technologie afin de mieux servir ses clients.

 

Si je vous dis maintenant IA, ChatGPT…

 

ChatGPT fait partie de notre quotidien. Il faut simplement savoir bien l’utiliser. Plus globalement, nous ne savons pas encore l’impact réel qu’aura cette technologie sur nos métiers. L’Alliance organise d’ailleurs un séminaire sur l'intelligence artificielle en septembre afin d’échanger sur ces questions.

 

Quelle est votre vision de l'avenir de la gestion de patrimoine en Suisse ?
 
La Suisse reste une place financière de taille dans la gestion privée. La chute de Credit Suisse représente une réelle opportunité pour la gestion de fortune indépendante. Cela conforte l’idée que le seul nom n’est pas une garantie et que la diversification reste primordiale. Le gérant indépendant a une vraie place à prendre par rapport aux banquiers car il est seul à pouvoir conseiller à ses clients de diversifier ses relations bancaires, par exemple.
 
Quels sont les projets actuels de l’ASWM ?
 
Nous travaillons sur une solution numérique d’onboarding client, pour tous les membres de l’Alliance. Chacun pourra personnaliser l’outil à sa convenance, sur la base d’une architecture commune. Plusieurs chantiers sont également en cours, tels que l’accès au private equity et la création d’un pôle commun de formations. Nous avons par ailleurs créé les Prix des meilleures banques dépositaires, notées par nos 41 membres, sachant que la diversification des contreparties bancaires demeure un élément clé pour les clients. Enfin, nous échangeons avec les associations de gérants indépendants à Singapour et Luxembourg, ce qui pourrait déboucher sur des projets communs.
 
 Propos recueillis par Marc Munier

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