Le cabinet Ledoux & Associés est un acteur majeur en matière de santé et de sécurité au travail. Il accompagne les entreprises sur les problématiques liées aux accidents du travail et maladies professionnelles sous toutes leurs facettes.

Décideurs RH. Comment percevez-vous le positionnement des employeurs vis-à-vis des addictions en entreprise ?

Michel Ledoux. De manière générale, nous observons que les employeurs sont de plus en plus préoccupés par les risques liés aux addictions – notamment le cannabis. Néanmoins, l’entreprise est très rarement à l’origine de ces risques. Il s’agit, avant tout, d’un élément de la vie privée du salarié. Les employeurs ne sont donc pas très à l’aise avec ce sujet complexe, au carrefour de la santé, de l’emploi et de la responsabilité.

Aurélie Salon. À cela s’ajoute que, d’un point de vue juridique, l’employeur est soumis à des injonctions paradoxales qui rendent le terrain glissant.

Quelles sont ces injonctions paradoxales ?

A. S. D’un côté, l’employeur est soumis à une obligation de sécurité. Celle-ci a longtemps été "de résultat". Depuis un arrêt dit "Air France" du 25 novembre 2015, les juges acceptent que l’employeur puisse être exonéré de sa responsabilité, à condition qu’il soit en mesure de démontrer la logique des principes généraux de prévention et l’efficacité des mesures mises en place. L’obligation de sécurité reste donc très exigeante et les juridictions sont susceptibles d’examiner les mesures prises par l’employeur pour prévenir les risques liés aux addictions.

D’un autre côté, l’employeur doit aussi respecter les libertés individuelles et le droit des personnes. Il ne peut pas aller trop loin dans son immixtion dans la vie privée des salariés. Ce n’est pas évident en matière d’addictions, dans la mesure où les contrôles peuvent être extrêmement intrusifs.

M. L. L’employeur doit aussi prendre en compte l’aspect médical de la question, qui peut constituer une difficulté. Malgré sa volonté d’agir, l’employeur peut se heurter au secret médical.

Quelles sont donc les marges de manœuvre de l’employeur ?

M. L. À mon sens, trois principes doivent guider l’employeur qui souhaite bâtir une politique de prévention des risques liés aux addictions : la transparence, l’effectivité et la proportionnalité.

D’abord, il doit formaliser les règles qu’il entend imposer dans l’entreprise et en informer les salariés grâce au règlement intérieur. Il doit rappeler les dispositions du Code du travail qui interdisent la consommation d’alcool sur le lieu de travail, à l’exception de la bière, du vin, du cidre et du poiré. Il peut même aller jusqu’à interdire toute consommation d’alcool lorsque cela est justifié par la tâche à accomplir et proportionnel au but recherché. Tel est le cas des salariés occupant des postes à risque : conducteurs d’engin, électriciens, agents de maintenance, etc.

"Trois principes doivent guider l’employeur qui souhaite bâtir une politique de prévention des risques liés aux addictions : la transparence, l’effectivité et la proportionnalité"

L’employeur peut aussi prévoir dans le règlement intérieur une procédure d’alerte permettant au témoin d’un comportement entraînant des risques pour la santé et la sécurité de saisir la direction ou la médecine du travail. Ensuite, l’employeur doit s’assurer de l’effectivité des règles établies. Il doit donc contrôler que les dispositions du règlement intérieur sont bien respectées par les salariés. Sur les postes à risques, les contrôles aléatoires à l’aide d’éthylotests ou de tests salivaires peuvent être organisés à fréquence raisonnable.

Enfin, l’employeur confronté à la consommation d’alcool ou de drogue par un salarié doit avoir une réaction proportionnée. Il doit tenir compte de nombreux paramètres pour prendre des mesures adaptées à la situation, sans passer systématiquement par une mesure disciplinaire radicale.

L’employeur peut-il voir sa responsabilité engagée ?

A. S. Bien sûr ! Si un accident du travail est provoqué par un salarié sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, la victime pourrait invoquer la faute inexcusable de l’employeur pour solliciter l’indemnisation de ses préjudices personnels. L’absence de règlement intérieur ou de contrôles aléatoires peut être reprochée à l’employeur.

Le salarié sanctionné disciplinairement après avoir provoqué un accident ou mis en danger ses collègues en raison d’une consommation d’alcool ou de stupéfiant peut également contester cette décision devant une juridiction prud’hommale. L’employeur n’ayant pas respecté les droits et libertés individuelles du salarié peut être condamné à l’indemniser.

Il y a aussi des enjeux de responsabilité pénale. Certes, le salarié peut être sanctionné à titre personnel pour homicide involontaire, blessures involontaires ou mise en danger délibérée de la vie d’autrui, mais l’employeur ou son représentant aussi. Par exemple, des employeurs ont déjà été condamnés pour avoir, à la suite d’un pot bien arrosé, laissé partir un salarié en état d’ébriété, sans l’empêcher ou avoir tenté de l’empêcher de prendre le volant.

Comment intervenez-vous auprès de vos clients à propos de la gestion des addictions ?

M. L. Le cabinet Ledoux & Associés propose une approche globale des risques accidents du travail et maladies professionnelles. Nous optimisons les cotisations, gérons les contentieux à risques – pénal, faute inexcusable de l’employeur, etc. –, mais agissons aussi en amont, en sensibilisant aux risques professionnels.

En matière d’addiction au travail, nous travaillons en étroite collaboration avec les directions QSE et RH de nos clients dans le déploiement de leur politique de prévention – amélioration du règlement intérieur, amélioration du Document unique d’évaluation des risques, accompagnement dans les relations avec les partenaires sociaux. Nous conseillons et formons nos clients sur la gestion des addictions. Nous les accompagnons également dans la construction et la réalisation d’une procédure d’alerte. De manière générale, nous nous attachons à proposer une prévention sur mesure.

A.S. Nous accompagnons aussi nos clients dès la survenance d’événements majeurs dans l’entreprise. Lors d’accidents du travail graves, nous assistons les entreprises devant les juridictions sociales, civiles et pénales, et notamment dans tous leurs dossiers en lien avec des problématiques d’addiction.

Entretien avec Michel Ledoux, avocat cofondateur du cabinet Ledoux & Associés et Aurélie Salon, avocate chez Ledoux & Associés

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