La responsabilité d’un service public majeur requiert des choix structurants, aussi bien en matière de sécurité et d’innovation que de méthodes de travail. La DSI France Travail a ainsi repensé tous ses processus métiers afin de parvenir à une organisation agile, adaptable à tout changement et en cas d’urgence. Une politique de formation holistique, qui lui a valu de remporter trois trophées lors de l’événement U-Spring d’avril dernier.

Entretien avec Philippe Paumard, responsable du département développement des compétences & formation, DSI France Travail.

 

Décideurs RH. Quels sont les enjeux de formation au sein de la DSI de France Travail ?

Philippe Paumard. L’IT chez France Travail, ce sont 478 millions de visites par an sur notre site web et 371 millions sur l’application mobile, plus de 20 millions d’offres d’emploi diffusées, plus de 36 milliards d’allocations versées et 250 000 virus informatiques éradiqués chaque année. Des services numériques comme les nôtres, aussi essentiels pour des millions de nos concitoyens, se doivent d’être au niveau des attentes légitimes des utilisateurs. Il s’agit notamment d’assurer une qualité de service continue, en faisant le maximum pour se prémunir contre des problèmes techniques ou de sécurité. Compte tenu des données personnelles sensibles et des flux financiers qui transitent, nous avons notamment un haut niveau d’exigence sur la performance, la fiabilité et la résilience de nos systèmes. C’est à tout cela qu’œuvrent chaque jour les 1 600 salariés de la DSI.

Or, les compétences deviennent vite obsolètes car les technologies évoluent très rapidement : nous nous devons de maintenir les compétences à jour et d’être toujours très proactifs, en veille, sans le moindre décalage par rapport à l’état de l’art et aux standards technologiques.

Vous avez organisé plusieurs formations pour mettre vos effectifs à niveau sur les enjeux d’accessibilité numérique et d’écoconception logicielle : y avait-il urgence ? 

Il fallait monter en compétences sur ces points, nos résultats devaient être rapidement tangibles et mesurables, très intégrés dans nos pratiques. Une fois de plus, en tant que service public, il était crucial que nos applications logicielles soient accessibles au plus grand nombre, notamment à nos usagers en situation de handicap, en conformité avec le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA) et moins consommatrices en énergie.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour que les équipes parviennent à répondre à ces exigences, et quelles méthodes avez-vous privilégiées ?

Cela nous a pris trois ans pour former 80 % de l’effectif cible. Nous avons transmis à tout le monde un socle commun de sensibilisation, mais selon les publics (développeurs, product owners, product managers, ingénieurs techniques, architectes, chefs de projets, etc.), les modules étaient différents, adaptés aux gestes professionnels. Par exemple, concernant l’écoconception, un développeur doit intégrer nativement cette dimension dans son code, ou maîtriser les techniques pour alléger l’empreinte environnementale des applications existantes. L’idée était de coller concrètement à la réalité des professionnels, de les aider à arbitrer des choix pour produire un service à la fois performant, accessible et économe.

Quelle forme est-ce que cela a pris ?

Nous avons instauré des actions de formation sur mesure, adaptées à notre environnement technique, sur une journée ou plus. Nos formations sont toutes accessibles en présentiel, à distance ou en mode hybride.

La modélisation de l’ingénierie pédagogique nous fait systématiquement partir de cas très concrets, pour placer les apprenants dans une modalité active et non descendante, afin de transmettre des réflexes et de s’assurer de leur ancrage. À ce titre, l’Afest (action de formation en situation de travail) est parfaitement adaptée au secteur informatique, où l’offre de formation du marché est souvent en décalage par rapport à notre environnement technique et fonctionnel. Par exemple, avec notre Afest en product management, la montée en compétences a lieu "en faisant", que ce soit sur des calculs budgétaires, sur des communications pitch, ou sur l’animation des équipes. Et pour faire circuler les savoirs acquis, nous avons mis en place des cycles de six semaines avec des retours d’expérience réguliers, de plus en plus souvent collectifs car on apprend beaucoup de l’expérience des collègues.

En parallèle, nous avons créé des communautés autour de nos métiers, que nous animons via du « rapid-learning », avec des cycles de webinaires ou de conférences internes de sensibilisation, et qui contribuent au parcours d’apprentissage d’une personne pour l’amener ensuite à s’investir dans une formation.

"Il est vain d’établir un plan de formation trop précis en début d’année car 80 % des vrais besoins vont apparaître au fil de l’eau"

Votre structuration au sein de la DSI est agile : qu’est-ce que cela change à la manière dont vous pensez les besoins en formation ?

Notre manière de gérer la formation fait de nous une entreprise apprenante.

Nous nous sommes aperçus qu’il est vain d’établir un plan de formation trop précis en début d’année car 80 % des vrais besoins vont apparaître au fil de l’eau et exigent une adaptabilité particulièrement forte : nos 300 modules de formation IT disponibles en interne ne permettent pas toujours de répondre aux nombreux besoins qui émergent spontanément.

Depuis plus de 10 ans, la DSI a pris le virage de l’agilité, en formant massivement toutes les équipes techniques à ces méthodes. Assez rapidement, nous nous sommes dit qu’en tant que RH, nous aurions aussi tout à gagner à leur emboîter le pas, afin de fluidifier notre collaboration. Au-delà de l’adoption de ces techniques dans nos activités (daily scrum, revues de productions, sprints…), c’est surtout l’adoption d’un état d’esprit agile qui a transformé notre façon de délivrer un service RH à même de répondre rapidement, et de manière adaptée, aux besoins de formation que nos salariés expriment progressivement. Nous travaillons en confiance : l’agilité responsabilise considérablement chaque personne, tout en maintenant un aspect collectif et en créant des filets de sécurité.

L’objectif était de pouvoir réagir beaucoup plus vite, de manière itérative, aux demandes de formation. Il s’agissait de quitter la logique de planification, qui in fine ne correspondait plus aux besoins et arrivait toujours trop tard. Avec l’agilité, nous partons des besoins des individus, au moment où ils émergent, en ayant toujours en tête les grandes orientations stratégiques de la DSI.

Quelle influence cette culture agile a-t-elle sur votre travail ?

Nous observons une hausse du niveau d’exigence : désormais, l’essentiel de notre travail est d’analyser les besoins qui nous remontent « au fil de l’eau » pour apporter une réponse personnalisée. C’est ce que nous faisons quotidiennement, en « daily scrum », pour traiter les urgences, prioriser de nouvelles actions, faire du sourcing des meilleurs prestataires de formation IT du marché ou mobiliser nos formateurs internes.

"94 % des salariés DSI estiment disposer des compétences nécessaires à leur poste, 90 % des agents déclarent que le contenu de leur travail les intéresse et 86 % se déclarent motivés"

Quels ont été les impacts que vous avez relevés, dans la qualité de vie au travail comme dans la qualité du service proposé par vos agents une fois formés ?

Nous mesurons cela grâce à un baromètre interne établi conjointement avec BVA, et à la DSI, le taux de satisfaction sur le sens au travail est excellent : 94 % des salariés DSI estiment disposer des compétences nécessaires à leur poste, 90 % des agents déclarent que le contenu de leur travail les intéresse et 86 % se disent motivés par leur travail. Je suis persuadé que ces résultats sont liés au développement des méthodes agiles et participatives, qui ôtent le poids du top down pour motiver les experts en leur octroyant davantage de responsabilité.

Les utilisateurs de nos services numériques en sont, quant à eux, satisfaits à 93 %.

Propos recueillis par Judith Aquien

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