Stress, dépression, anxiété… un baromètre d’Empreinte Humaine avec OpinionWay sur la détresse psychologique des employés en France vient de sortir avec l’aide de psychologues. Des chiffres alarmants qui traduisent un manque de formation et de considération de la santé mentale des actifs.
La dépression au travail : des données préoccupantes
Plus d’un salarié sur deux souffre de troubles psychologiques. C’est le résultat préoccupant du baromètre d'Empreinte Humaine avec OpinionWay, publié en novembre dernier qui observe une forte augmentation de la détresse psychologique dans les entreprises ces derniers mois. Depuis février, cette dernière a évolué de quatre points avec 48% de salariés touchés, dont 17% considérés très fragiles. "Tous les indicateurs de santé mentale au travail que nous mesurons depuis 2020 se dégradent", souligne dans son rapport Christophe Nguyen, fondateur d’Empreinte Humaine. Ces chiffres inquiétants traduisent un mal-être croissant. Entre dépression, burn-out ou encore hausse de l’anxiété, sept employés sur dix associent leurs troubles psychiques au travail à leur direction générale ou à une charge de travail intenable. Les salariés font part de pressions à travailler plus en moins de temps, donnant lieu à des dépressions dans 20% des cas dues au stress, et 19% au harcèlement moral.
Le harcèlement, facteur de risques psychosociaux
Les personnes les plus susceptibles d’être victimes de harcèlement sont les salariés, les jeunes, les migrants et tout particulièrement les femmes : 52% d’entre elles ont subi du harcèlement sexuel au travail, selon une étude de l’Organisation internationale du travail (OIT), de 2017 à 2019. La crise sanitaire couplée aux problèmes environnementaux joue, elle aussi, un rôle sur l’état psychologique des salariés. En 2018 déjà le travail était, pour les Français, la première cause de dépression.
Pour compléter l’état des lieux, la France est considérée comme le "mauvais élève" de l’Europe en matière de santé mentale au sein des entreprises. Du fait de harcèlements, d’une augmentation de la charge de travail et du manque d’autonomie et de communication, la France se situe à la troisième place du podium en matière de risques psychosociaux, derrière les Pays-Bas et la Suède, selon Eurostat en 2020. La proportion d’actifs qui s’estime sous pression pour tenir des délais et en surcharge de travail est de 22% en France, contre une moyenne de 19% en Europe. Le résultat : aujourd’hui, il y a deux fois plus d’accidents de travail sur le sol français que dans le reste de l’Europe, selon le groupe Malakoff Humanis.
Des catégories plus touchées que d’autres
Les jeunes et les seniors sont les plus touchés par cette détresse psychologique. Les seniors de plus de 60 ans voient leur santé mentale plonger, avec une augmentation de 32 points par rapport à février dernier. Avec 60% de travailleurs âgés dans ce cas, cette détresse psychologique peut s’expliquer par la réforme des retraites, provoquant un effet négatif et démoralisant sur leur rapport au travail. Les femmes, les managers (en augmentation de 8%) et les moins de 29 ans se trouvent également en première ligne et représentent un risque inquiétant. Cette tranche d’âge, dite "la plus sensible", comprend 55% de travailleurs en situation de détresse psychologique. Mais alors pourquoi cette génération est-elle plus exposée que d’autres ?
Depuis des années, le rapport au travail évolue différemment et la nouvelle génération se préoccupe de sa santé mentale, amenant à des arrêts maladies fréquents : en 2016, ce sont 11% des arrêts maladies qui étaient liés à des troubles psychologiques contre 20% en 2022. Une augmentation qui touche de plein fouet les jeunes adultes en pleine insertion professionnelle sur le marché du travail.
La génération burn-out
Les générations diffèrent dans leur relation à ces enjeux : chez les baby-boomers (1945 à 1965) et la génération X (1965 et 1980), parler de santé mentale sur son lieu de travail était mal vu et peu apprécié. En évoluant dans un milieu où les troubles mentaux sont peu considérés, la génération Y (début années 1980 jusqu’à la fin des années 1990) est la première à ouvrir la voie pour aborder les questions de la santé mentale au travail. C’est la génération Z (années 2000) qui est aujourd’hui la plus sensibilisée, ayant intégré l’importance de l’équilibre mental et d’un environnement inclusif qui sont, in fine, favorables à la stabilité et à l’épanouissement des employés.
Malgré les campagnes de sensibilisation et de prévention, la génération Z est la plus touchée par le burn-out, que ce soit en France où à l’échelle mondiale. Dans une interview accordée à la BBC, Kim Hollingdale, professeure adjointe de psychologie et psychothérapeute, indique que la pandémie serait l’une des causes de cette vague d’épuisement psychologique. Certains employés, ayant pris leur poste pendant le Covid, expriment une difficulté à construire et entretenir un lien social avec leurs collègues. Selon elle, l’instabilité financière due au contexte géopolitique fait aussi partie d’une charge mentale qui épuise mentalement la nouvelle génération et empêche son épanouissement. Ces risques psychosociaux sont encore plus exacerbés avec le contexte économique actuel, qui ne facilite pas leur insertion.
Le télétravail : trouver un équilibre
Quelle que soit la tranche d’âge, les troubles mentaux sont aussi courants chez la plupart des employés en télétravail. Parmi ceux et celles qui ne se déplacent jamais au bureau, 47% sont en détresse psychologique, montrant ainsi l’importance du lien social et des déplacements réguliers pour l’équilibre des individus et leur relation au travail. Même si le télétravail permet une meilleure gestion du temps et une réduction des dépenses ou du stress lié aux transports, il peut aussi vite devenir une surcharge mentale, contenir un risque d’isolement et causer une hyperconnexion : "Il est important de garder à l’esprit que le télétravail génère de la monotonie", déclarait pour Décideurs RH Jean-François Ode, directeur des ressources humaines d’Aviva France.
La semaine de quatre jours : remède aux besoins d’équilibre
Pour Laurent de la Clergerie, président du directoire de LDLC, le remède est clair : la semaine de quatre jours, testée et approuvée depuis 2021. Il confiait récemment les mérites de son système à Décideurs RH : "Les effets ont été bien au-delà de ce que j’imaginais : grâce à cette pause hebdomadaire de trois jours qui garantit un équilibre de vie personnelle, on travaille bien mieux, beaucoup plus et en moins de temps, pas parce qu’il y a de la pression, mais parce que la santé mentale est meilleure." Avec ce plan, son entreprise s’inscrit dans une stratégie d’accompagnement et privilégie la santé mentale de ses salariés, apportant une meilleure productivité et réduisant considérablement l’absentéisme. La semaine de quatre jours n’en finit pas de convaincre les entreprises, qui franchissent le pas : 5% d’entre elles ont mis en place cette nouvelle organisation. Jérémy Clédat, CEO et fondateur de Welcome To The Jungle, prône ce modèle comme étant inclusif et permettant d’améliorer la qualité de vie de ses salariés : "Tout le monde peut en bénéficier et cela nous permet d’être plus inclusifs car ce modèle est très favorable pour les parents, les aidants, les personnes malades, etc."
Des managers déprimés
D’après le baromètre Santé au travail de Malakoff Humanis, pour huit salariés sur dix, exercer sa profession est un plaisir. En revanche, c’est la manière de manager et de répartir la charge de travail qui est à revoir. Côté managers, leur fonction perd en attrait et semble troubler leur équilibre : en 2022, un quart des cadres estimait que leur santé mentale se dégradait sur les dernières années, selon une étude de l’Apec. Dans l’état actuel des choses, les managers se heurtent à plusieurs difficultés : administration de missions floues, mise en place de flex offices qui les éloignent de leurs équipes, manque de reconnaissance des salariés. En octobre 2021, le huitième baromètre d’Empreinte Humaine indiquait une détresse psychologique chez 38% des managers, dont 18% en burn-out suite, en grande partie, due à la crise sanitaire. Le management à la française, en retard sur la question du travail à distance, a dû se renouveler pour répondre aux attentes des salariés. Entre surcharge de travail et manque d’accompagnement de la part des organisations, les managers n’ont plus le temps, ni les moyens d’accompagner les équipes et de faire de la prévention. Comme l’explique Lydia Martin, psychologue du travail chez Alan Mind, pour Cadremploi, il est primordial de réformer les organisations pour en finir avec la dégradation de la santé mentale des cadres.
Selon le baromètre d’Empreinte Humaine, sept entreprises sur dix estiment qu’elles devraient faire davantage en matière de prévention de risques psychosociaux. Une sensibilité, encore trop peu développée, qui est perçue comme essentielle pour devenir manager, pour huit salariés sur dix. Bien former les managers de demain est l’enjeu principal pour les entreprises. Aujourd’hui, la grande majorité des collaborateurs préfèrent travailler dans un environnement plus sain et gagner moins, véritable tremplin pour les entreprises qui n’hésitent pas à miser sur la santé mentale de leurs salariés. Dans le contexte actuel, il est temps d’agir pour les chefs d’entreprise.
Lisa Combe
Crédit photo : Freepik