Qu’elles visent l’apparence physique, le genre, la religion, ou encore l’origine ethnique réelle ou supposée, les microagressions sont omniprésentes en entreprise. Elles ont souvent des conséquences négatives sur la vie professionnelle et personnelle de celles et ceux qui les subissent comme pour celles des témoins.
Microagressions, grandes répercussions
Contrairement aux macroagressions, qui sont des formes systémiques et institutionnalisées de préjugés et d’oppressions, les microagressions se définissent comme des attaques verbales interpersonnelles entre individus manifestées dans le quotidien. Une prise de conscience de la nature diffuse de ces incidents est nécessaire de la part des managers et des RH, car leurs conséquences peuvent être lourdes pour les équipes et l’entreprise.
Un salarié sur deux a déjà été victime de microagression
Un phénomène très répandu
Une étude Ifop de juin 2024 dresse un constat sans appel de l’ampleur des situations de microagression au sein des entreprises : un salarié sur deux en a déjà été victime au moins une fois, tandis que 33 % des sondés insistent sur le caractère répétitif de ces attaques. En tête des catégories des individus les plus visés figurent les personnes racisées : 71 % d’entre elles ont déjà subi des attaques verbales de la part de leurs collègues. Arrivent ensuite les femmes de moins de 40 ans (68 %) et les jeunes (67 %). Ces microagressions se rapportent le plus souvent à l’apparence corporelle, l’âge, l’état de santé physique ou mentale, le genre, ainsi qu’à l’origine sociale réelle ou supposée. Si certains propos se veulent volontairement blessants, d’autres sont généralement considérés comme anodins, inoffensifs voire affectueux. Celui qui les formule peut même chercher à créer un lien de connivence avec son interlocuteur. L’absence réelle ou supposée de mauvaise intention constitue alors un biais qui empêche de percevoir l’aspect offensant de certains commentaires et contribue inévitablement à la banalisation des microagressions.
Iris*, âgée d’une trentaine d’années et occupant actuellement un poste de responsable en entreprise, a dû apprendre à composer avec des réflexions régulières soulignant son jeune âge : "Ce genre de remarque me gêne énormément. D'une part, on ne peut pas toujours savoir ce qui est sous-entendu. D'autre part, confronter quelqu'un sur le moment n’est pas toujours un moyen efficace de provoquer un changement ou une prise de conscience. Il faut prioriser et préserver son espace mental, ce qui peut vouloir dire rebondir avec humour, en reparler plus tard ou laisser glisser."
Réagir : à quelles conditions ?
Les victimes peuvent donc choisir de ne pas réagir – elles ne sont pas non plus toujours en mesure de le faire. Qu’en est-il en revanche des témoins de microagressions ? La question se pose d’autant plus que 82 % des personnes interrogées affirment avoir été témoins au moins une fois d’une telle situation. Une part qui atteint plus de 90 % pour les femmes de moins de 40 ans et les jeunes de moins de 29 ans : plus exposés aux comportements offensants, ils sont sans doute plus à même de les détecter.
Si 95 % des témoins déclarent avoir ressenti sur le moment une émotion négative, ils sont seulement 66 % à réagir sur le vif – l’absence de réaction pouvant s’expliquer par des pressions externes, notamment quand l’auteur de la microagression est un supérieur hiérarchique. Le témoin peut aussi se sentir illégitime, et craindre de commettre un faux pas envers la victime en intervenant. Enfin, l’étude constate un relatif détachement de certains observateurs, dû à une difficulté à identifier un propos ou un comportement assimilable au type d’agression évoqué.
Des conséquences professionnelles et personnelles
Cette difficulté à identifier les microagressions ne doit pas masquer leurs nombreux effets négatifs sur le bien-être et la motivation à travailler. Le sentiment de sécurité psychologique des victimes s’en trouve grandement affecté, au point d’influer sur leur volonté à participer à des évènements collectifs, voire sur l’envie de se rendre dans les locaux de l’entreprise. Les conséquences sont lourdes : perte de sentiment d’appartenance à l’entreprise et, in fine, baisse de la performance. Plus grave encore, l’accumulation et la fréquence des microagressions se répercutent en dehors de la sphère professionnelle en suscitant de la colère, un manque de confiance en l’autre, une baisse d’estime personnelle, de l’anxiété et des troubles pouvant aller jusqu’à la dépression…
L’impact des microagressions ne se limite pas non plus aux seules victimes : 85 % des salariés déclarent que le fait d’en être témoin a aussi une incidence sur leur propre personne. Les effets négatifs sont alors similaires à ceux que ressentent les victimes.
L’impact des microagressions ne se limite pas non plus aux victimes : 85% des salariés déclarent que le fait d’en être témoin a aussi une incidence sur leur propre personne
Le rôle à jouer des DRH
Si les individus sont plus nombreux à réagir un certain temps après la microagression (80 %) – un taux qui souligne la nécessité de prendre du recul vis-à-vis de ces incidents – seulement 18 % d’entre eux en font part à leur hiérarchie. Il apparaît pourtant que les salariés attendent des entreprises qu’elles s’efforcent de réduire les microagressions dans le cadre professionnel. Il en va donc de la responsabilité des managers et des RH d’accompagner leurs équipes et de se saisir du sujet. Certains dispositifs et mesures permettraient de lutter efficacement contre ces dérives langagières : rédaction d’une charte, recadrage par la ligne hiérarchique et mise en œuvre de sanctions en cas de récidive.
L’instauration d’un cadre propice au signalement (grâce à un système de référents) et la création d’une plateforme de signalement anonyme peuvent faciliter la réaction aux microagressions. Former les managers au management inclusif, sensibiliser les salariés aux microagressions et à leurs répercussions constituent également des vecteurs de changements bénéfiques. Des mesures encore plus efficaces lorsque le recrutement s’engage en faveur de la diversité des profils au sein des organisations et dans les comités de direction.
Le bien-être des équipes devrait être la première préoccupation de la ligne hiérarchique et des DRH. Au-delà de cette question de principe, l’enjeu de la juste appréhension des microagressions par l’employeur apparaît d’autant plus stratégique que 77 % des salariés du privé considèrent ce critère comme important dans leur recherche d’emploi.
*Le prénom a été modifié.
Cem Algul