Créée en mars 2005, Inéa investit dans des immeubles de bureaux neufs ou récents situés dans les principales métropoles régionales françaises. Philippe Rosio, PDG de la foncière, dresse un état des lieux du marché de l’immobilier d’entreprise, revient sur les bouleversements qui traversent le secteur et détaille ses perspectives.
Philippe Rosio (Foncière Inéa) : "Les actifs décarbonés demeureront les plus recherchés"
Décideurs. Quelle est votre empreinte actuelle en France ?
Philippe Rosio. Notre patrimoine s’évalue à 1,2 milliard d’euros pour environ 450 000 mètres carrés, soit 2600 euros du mètre carré. On peut comparer ce chiffre à des restructurations un peu lourdes dans Paris intramuros qui visent, pour être rentables, des montants compris entre 33 000 et 35 000 euros le mètre carré. Pour revenir à votre question, notre portefeuille intègre deux typologies d’actifs : des bureaux neufs dans les dix principales métropoles régionales françaises, hors Paris, pour 80% et des parcs d’activité franciliens pour 20%. Nous avons pris la décision de nous positionner sur cet axe-là. Compte tenu de notre connaissance du marché, nous pensons être à même de développer cette typologie d’actifs en régions.
Pourriez-vous faire un état des lieux du marché de l’investissement ?
Une baisse du volume d’investissements comme celle que l’on vit actuellement traduit la réponse des vendeurs aux acheteurs. Je m’explique : sur le marché, il est bien d’avoir des acheteurs qui revendiquent une correction des prix, encore faut-il que les vendeurs l’acceptent. Ce phénomène est exacerbé par le fait que les promoteurs connaissent une situation compliquée. Ceux investis dans le résidentiel font face à une avalanche de difficultés : les coûts de construction ont explosé, les taux d’intérêt ont progressé, les banques sont plus réticentes et les carnets de réservation qui doivent parvenir à 50% pour que les projets soient financés ont tendance à atteindre ce seuil avant qu'il ne se résorbe. Ce phénomène assez nouveau rend leur situation délicate. Je suis de nature optimiste et sans être un spécialiste du logement, on peut penser que les professionnels vont réussir à parler aux politiques et débloquer certaines situations.
"L’exode urbain s’est révélé être un concept très médiatique"
Qu’en est-il pour l’immobilier d’entreprise ?
Les promoteurs sont confrontés à des difficultés moindres : les coûts de construction ont augmenté, la capacité d’endettement s’est dégradée mais les investisseurs, dont nous faisons partie, sont toujours là. C’est à nous de comprendre où le marché peut nous amener, c’est-à-dire quels taux de rendement, nous, investisseurs, pouvons demander. La période peut être riche en enseignements. Un marché est composé d’acheteurs et de vendeurs, et dans la production des biens, si les vendeurs ne veulent pas vendre au prix demandé par les acheteurs, ils ont en quelque sorte les moyens de tenir. Ils disposent, d’un côté, d’endettements qui devraient être renouvelés, et de l'autre de loyers qui subissent l’indexation, ce qui constitue un complément de rendement non négligeable. Par ailleurs, nous évoluons dans un contexte où les promoteurs produisent moins, avec comme corollaire un marché de l’investissement qui se tarit. Ce recul volumétrique est-il condamné à une correction des valeurs ou va-t-il générer un phénomène de rareté ? Voyant le verre à moitié plein, cette dernière alternative me semble la plus probable.
Que pouvez-vous dire du marché des bureaux ?
Il convient de le segmenter géographiquement. Aujourd’hui, l’immobilier tertiaire est composé de trois marchés : Paris intra-muros qui revendique une certaine centralité et semble bien se porter, la première et la deuxième couronne dont tout le monde prédit des difficultés, et pour ce qui nous concerne, les régions. Chacun a sans doute ses avantages et ses inconvénients.
Quels sont les avantages du marché des régions ? Est-ce que l’exode urbain, beaucoup évoqué mais peu étayé, est pour quelque chose dans la dynamique régionale ?
L’exode urbain s’est révélé être un concept très médiatique. Certaines régions font face à un phénomène intéressant. Des villes qui se développent démographiquement et économiquement ont un parc immobilier existant, en partie, obsolète. Quand vous faites face à ces évolutions, le besoin en mètres carrés progresse. Notre stratégie, édifiée sur de l’immobilier régional de bureaux neufs, bénéficie de cette demande. D’autre part, ces marchés en phase de développement ont comme gros avantage de présenter des loyers bon marché. Pour faire simple, lorsque vous louez un immeuble de bureaux neufs à 200 euros du mètre carré et que vous comparez ce loyer aux 800 à 1000 euros du mètre carré dans Paris intra-muros, à qualités techniques égales, c’est tout de même considérable. Ce qui fait la différence ce n’est pas tant de réduire sa surface de 20% à 30% dans Paris intra-muros, mais de diviser son loyer par quatre ou cinq et de retrouver une qualité de vie, un pouvoir d’achat, supérieurs en régions. Concernant les investisseurs, le rendement est plus intéressant que celui de l’immobilier parisien.
"Si un pic d’inflation est franchi, on peut espérer des taux en régression"
Va-t-on vers une baisse des prix d’ici fin 2023 ? Comment vous positionnez-vous en tant qu’investisseur ?
Nous avons décidé de rester "dans le marché" : nous avons acquis un immeuble à Valence qui, compte tenu de sa qualité intrinsèque et de ses locataires, s’inscrit dans la démarche d’aller dans une ville plus petite que celles auxquelles on s’intéressait précédemment. Nous évoluons dans un climat anxiogène. Actuellement, les volumes d’investissement diminuent, les taux d’intérêt restent élevés, mais les anticipations sur ces taux pourraient rebaisser. Si un pic d’inflation est franchi, on peut espérer des taux en régression. On verra de quoi toute cette agitation va accoucher. En tout état de cause, continuer d’acquérir des immeubles qui nous paraissent intéressants en date d’aujourd’hui, au risque de se tromper, c’est tout de même mettre la main sur des actifs qui demain pourraient se faire rares.
Le télétravail a-t-il eu des répercussions sur votre parc immobilier ?
Le télétravail a permis de se mobiliser pendant la crise dans des circonstances extrêmes. Nous concernant, et donc à l’échelle de nos 300 locataires, nous n’avons été confrontés à aucune renégociation en vue d’une diminution des surfaces occupées. À mon sens, le distanciel dans les régions est moins d’actualité dans la mesure où le besoin en télétravail se justifie souvent par le temps de transport, notamment dans les mégalopoles, qui peut facilement devenir insupportable. L’histoire n’est pas totalement écrite parce qu’une fois que vous avez vécu le télétravail comme une contrainte et dans l’urgence, vous essayez de voir comment le décliner en entreprise. Travailler de chez soi nécessite d’être équipé, ce qui n’est pas toujours le cas. Il faut conserver cette flexibilité d’une manière qui permette de gérer ses équipes.
Quelle place occupe le bas carbone dans vos stratégies ?
Nous faisons partie des précurseurs puisque nous avons commencé à nous intéresser à cette question au début des années 2010. Nous restons aujourd’hui le plus gros propriétaire de bureaux en bois de France et l’on prévoit de poursuivre nos investissements en la matière, ce qui est intéressant à plus d’un titre. D’abord, l’acte de construction est différent : c’est un peu comme les Lego, et cela n’a rien de péjoratif, mais c’est important pour l’empreinte carbone d’un immeuble. Ensuite, le bois est tout aussi compétitif que le béton, dans la mesure où il n’y a pas véritablement de surcoûts, et les délais de réalisation sont plus courts. Tous ces éléments permettent de louer ces bâtiments au même prix que des bâtiments "normaux". Par ailleurs, j’ai la conviction que cela génère une convivialité et une forme de bien-être au travail, deux ingrédients clés aujourd’hui. En dernier lieu, l’entretien est facile et la résistance au feu à peu près identique. Demain, nous allons sortir du tout béton pour aller vers du béton décarboné et de nouveaux matériaux. Le bois aura sa place.
"Demain, nous allons sortir du tout béton pour aller vers du béton décarboné et de nouveaux matériaux"
Quelles sont, selon vous, les clés des promoteurs pour relancer la production ?
Il y a une clé que tout le monde a en tête et qui constitue leur variable d’ajustement, c’est le prix du foncier. Les collectivités locales doivent se saisir de ce sujet : si l’on souhaite que les villes continuent de se développer, il convient de faire des efforts sur les fonciers. L’autre clé c'est la décarbonation. Les actifs décarbonés de demain demeureront les plus recherchés par les investisseurs comme par les utilisateurs.
N'y-a-t-il pas, encore aujourd’hui, un encouragement à l’hyper-métropolisation ?
Demandez à un cadre parisien si, à salaire égal, il veut s’installer à Bordeaux ou à Nantes, il n’hésitera pas beaucoup. Il existe dans les grandes métropoles régionales une sorte de chronotopie urbaine qui permet d’avoir tout à un quart d’heure. Dans les mégalopoles, c’est encore articulable mais cela revient à créer des villes à l’intérieur de la ville. Les habitants de ces très grandes villes peuvent avoir le fantasme d’habiter de plus petites villes pour peu qu’elles disposent de tous les services, d’une offre culturelle forte et d’une employabilité dynamique. Je suis sceptique concernant l’hyper-métropolisation, mais la métropolisation est bien réelle. La population dans les grandes villes augmente au détriment des campagnes. Notre axe Atlantique, qui part de Lille pour rejoindre Montpellier puis de Marseille jusqu’à Lyon répond à cette demande. C’est là que les gens ont envie d’habiter, de travailler, de vivre.
Propos recueillis par Alban Castres