Maud Bischoff, Alban Dorin et François-Régis Gonon sont associés au sein du département Banking & Finance de Mayer Brown. Ils reviennent sur les grandes tendances observées durant ces douze derniers mois et esquissent des perspectives à moyen et long terme.

DÉCIDEURS. Quelles tendances de marché avez-vous pu observer durant cette année ? 

François-Régis Gonon. Le début de l’année 2024 fut relativement calme mais l’activité est ensuite repartie, avec une hausse significative du nombre de deals sur les marchés du financement structuré (NPL notamment). Cette tendance laissait présager beaucoup d’optimisme pour la suite de l’année. Malheureusement, la dissolution de l’Assemblée nationale a changé la donne et aujourd’hui de nombreux clients internationaux se demandent ce qu’il se passe dans l’Hexagone. Certains investisseurs anglo- saxons ont fait le choix de l’attentisme et ont donc retardé le closing de leurs deals au mois de septembre 2024, le temps que le paysage politique se clarifie et que les JO se passent. D’autres ont fait le choix inverse, celui de l’empressement afin de finaliser leurs dossiers avant les élections. Ainsi, notre activité a connu un pic en juin avant les élections législatives, diminuant progressivement à mesure qu’approchent les Jeux olympiques et que l’instabilité gouvernementale se poursuit.

Maud Bischoff. Plusieurs raisons peuvent expliquer les mouvements baissiers du marché des opérations d’acquisition des derniers mois : les taux d’intérêt de la Banque centrale européenne toujours élevés au premier semestre 2024, l’environnement économique inflationniste des derniers mois ou la pression des normes RSE sur les fonds d’investissement et autres acteurs du marché. En cette fin de deuxième trimestre 2024, l’activité est repartie à la hausse, les engagements de profit des fonds d’investissement envers leurs LP’s participent aux décisions d’investissement prises ces dernières semaines. On observe, cependant, une certaine crispation entre les valorisations attendues par les cédants et les propositions financières envisagées par les fonds d’investissement.

"Si le marché était attentiste et les dossiers à l’étude au sein des banques d’affaires fin 2023/début 2024, le rebond ressenti en cette fin de deuxième trimestre devrait se prolonger jusqu’à la fin de l’année", Maud Bischoff

Concernant le secteur immobilier, nous avons mis en place des financements d’acquisition pour des fonds d’investissement d’actifs pour la plupart situés en Europe ou à Paris. Cela dénote un certain ralentissement des investissements en France. Enfin, nous observons un nombre croissant d’ouvertures de procédures de mandat ad hoc et conciliation depuis 2023. À ce titre, nous travaillons sur plusieurs dossiers, accompagnés de nos équipes restructuring et contentieux, pour restructurer financièrement des participations en difficulté et participer aux réflexions sur des réorganisations organiques vertueuses permettant de sortir des difficultés financières. À la sortie du Covid, les prêts garantis par l’État (PGE) puis les prêts participatifs relance (PPR) et les obligations relance (OR) ont permis à certains groupes de repousser les difficultés passagères. Cependant, la hausse des taux des dernières années, et le climat économique et politique ont mis à mal certains secteurs comme les maisons de retraite, notamment à la suite de l’affaire Orpea, ou encore le retail.

"Les incertitudes géopolitiques n’empêchent pas les financements de projet de se réaliser", Alban Dorin

Quelles tendances avez-vous pu constater en financement de projet ?

Alban Dorin. Sur les dossiers de financement de projet, on observe un réel engouement des investisseurs pour les métaux critiques, et ce, depuis déjà plusieurs années. Les États, majoritairement occidentaux, désirent, dans un contexte géopolitique incertain, sécuriser leurs approvisionnements en métaux critiques, essentiels à la transition énergétique en cours dans la plupart de ces économies. En outre, en raison du désinvestissement des acteurs traditionnels – notamment des banques françaises – en Afrique, les banques locales financent des projets de plus en plus significatifs sans empiéter sur les lignes de crédit corporate dont bénéficient les grands groupes. Nous avons par exemple conseillé la banque panafricaine Ecobank Development Corporation ainsi qu’un pool de banques locales dans le cadre du financement de la mine de Lafigué en Côte d’Ivoire pour le groupe Endeavour Mining. Cette montée en puissance des acteurs locaux est bénéfique pour les projets du fait de leur connaissance de l’environnement local et du risque pays spécifique qu’elles appréhendent souvent mieux que des banques internationales qui peuvent avoir plus d’aversion au risque, en particulier politique. En tout cas, les incertitudes géopolitiques n’empêchent pas les financements de projet de se réaliser, même si les termes des financements sont ajustés et la durée de réalisation un peu plus longue.

On entend beaucoup parler d’une plus grande présence de la Chine ou de la Russie sur le continent africain, l’avez-vous constatée aussi sur vos dossiers ?

A. D. La Chine est très présente en Afrique, mais ce n’est pas une nouveauté et les financements souverains ont tendance à baisser du fait du ralentissement de l’activité chinoise ainsi que d’un ajustement de la stratégie chinoise en Afrique. Le retrait des acteurs occidentaux et la défiance croissante envers ses financiers offrent aussi à ces pays de nombreuses opportunités économiques et politiques. L’Afrique est également devenue un continent stratégique pour la Russie pour d’autres raisons et sur des dossiers différents de ceux sur lesquels nous intervenons.

"Le début de l’année 2024 fût relativement calme mais l’activité est ensuite repartie, avec une hausse significative du nombre de deals sur les marchés du financement structuré", François-Régis Gonon

De manière générale, quelles perspectives anticipez-vous à court et moyen terme ?

F. R. G. Il ne faut pas tomber dans l’alarmisme, de nombreuses banques d’affaires, fonds et banquiers continuent à travailler sur des dossiers qui finiront par sortir, le marché ne s’est pas arrêté. L’attentisme que nous ressentons actuellement n’a rien à voir avec les maux causés par l’inflation que nous avons endurés il y a deux ans. Les acteurs du marché veulent faire des deals, donc je suis optimiste pour que la conjoncture reparte à la hausse, une fois que la situation politique se sera stabilisée et éclaircie.

M. B. Effectivement, les liquidités sont présentes donc les différents acteurs de l’écosystème veulent faire des deals. Si le marché était attentiste et les dossiers à l’étude au sein des banques d’affaires fin 2023/début 2024, le rebond ressenti en cette fin de deuxième trimestre devrait se prolonger jusqu’à la fin de l’année. Enfin, l’arrivée d’un grand nombre d’avocats du cabinet Ayache en janvier 2025 va nous permettre d’étoffer nos équipes, nos practices et clients mais aussi de consolider notre position de leader sur notre segment de marché.

Propos recueillis par Tom Laufenburger