Laurent Borey, Elodie Deschamps, Benjamin Homo et Christopher Lalloz sont associés au département Tax de Mayer Brown. Ils reviennent sur les tendances de marché observées sur leurs dossiers respectifs durant l’année 2024 et les perspectives à venir à court et moyen terme.

DÉCIDEURS. Quelles principales tendances de marché avez-vous observées durant ces douze derniers mois ?

Élodie Deschamps. L’une des principales tendances du marché est celle du développement des fonds de continuation, qui a commencé il y a environ cinq ans. Elle se confirme, et s’explique par le fait que les Limited Partners (LPs) mettent une pression croissante sur leurs General Partners (GPs) afin d’atteindre les multiples de rentabilité attendus dans leurs investissements en assurant la rotation du portefeuille.

"Les LPs mettent une pression croissante sur leurs GPs afin d'atteindre les multiples de rentabilité attendus" Élodie Deschamps

Benjamin Homo. Nous avons constaté également la poursuite d’une deuxième tendance de marché majeure : le développement des investissements réalisés dans des entreprises qui servent de « plateformes ». Les fonds identifient des secteurs résilients, dynamiques et à fort potentiel de concentration. L’objectif est alors de prendre une participation dans une entreprise d’un domaine, puis d’en faire un champion national, européen, puis international grâce à des stratégies de build-up qui vont, à terme, englober ses principaux concurrents. Au cours de ces derniers mois, nous avons eu l’occasion de travailler sur différents dossiers de ce type. Nous avons notamment conseillé le fonds Montefiore Investment, cofondateur de European Digital Group, lors de l’entrée à ses côtés de Latour Capital dont l’arrivée va permettre à la structure de passer un nouveau palier de croissance.

Laurent Borey. Depuis plusieurs années, nous accompagnons aussi les fondateurs de sociétés comme Funecap ou Mediawan, qui, grâce à l’entrée de fonds à leur capital, ont conquis le marché français et réalisent désormais des acquisitions à l’étranger pour s’internationaliser. Ces investissements sont très appréciés par les marchés parce qu’ils ne cherchent pas uniquement à faire croître l’Ebitda mais bien à développer l’ensemble d’une structure, sa culture et ses employés.

"Une autre tendance significative est celle de la hausse des dossiers de contentieux" Christopher Lalloz

Christopher Lalloz. Une autre tendance significative est celle de la hausse des dossiers de contentieux. En particulier du fait que l’administration fiscale remet de plus en plus en cause le levier fiscal mis en place dans le cadre d’opérations capitalistiques de groupes français ou internationaux. Cette remise en cause est souvent assortie de pénalités pour manquement délibéré, voire abus de droit, ce qui implique dans un certain nombre de cas la transmission automatique du dossier au procureur de la République.

L. B. Effectivement, la pénalisation croissante des contentieux fiscaux peut conduire le contribuable à devoir gérer à la fois une procédure fiscale devant le juge de l’impôt mais également une procédure pénale devant le juge pénal. Bien entendu, cette évolution n’est pas sans impact sur la stratégie de gestion des redressements fiscaux et la conduite des discussions avec l’administration fiscale.

"Nous accompagnons les fondateurs de sociétés comme Funecap ou Mediawan qui grâce à l’entrée de fonds […] ont conquis le marché français et réalisent désormais des acquisitions à l’étranger pour s’internationaliser" Laurent Borey

Cette évolution peut-elle atténuer l’attractivité économique française ?

L. B. On constate déjà cette situation en Italie et je pense que l’on tend vers une uniformisation au niveau international pour aller vers moins d’abus et plus de transparence.

L’année 2023 a été marquée par une baisse du nombre de transactions, comment voyez-vous le marché en 2024 sur vos pratiques respectives ?

"L’attractivité économique française pourrait être altérée par la conjoncture politique" Benjamin Homo 

B. H. L’année 2024 a bien commencé pour notre cabinet, avec une hausse du nombre de dossiers en capital-investissement comme en fusions-acquisitions entre le premier et le deuxième trimestre. Nous étions donc optimistes sur un retour des beaux jours sur le marché transactionnel. Cependant, la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée au début du mois de juillet a bouleversé toutes les prévisions. Depuis cette date charnière, de nombreux clients sont très anxieux et beaucoup nous appellent pour préparer un potentiel départ hors des frontières de l’Hexagone. L’attractivité économique française pourrait donc être altérée par la conjoncture politique. À titre d’illustration, depuis le Brexit et face au changement de majorité au Royaume Uni, un grand lobbying est mené par les institutions publiques comme par le secteur privé pour attirer les équipes de gestion britanniques à Paris (plutôt qu’à Milan, autre destination très dynamique). La situation actuelle pourrait complexifier ces mouvements de délocalisation si, à terme, un mouvement de panique soufflait sur la France.

L. B. Un point d’optimisme tout de même avec l’arrivée de l’équipe du cabinet Ayache qui va nous rejoindre début 2025. Ce rapprochement, qui répond à une logique de concentration, nous permettra de mieux répondre aux besoins de nos clients, tout en attirant les talents.

Propos recueillis par Tom Laufenburger