Dans un contexte de crise sanitaire mondiale, les soins de santé accélèrent leur digitalisation. Le secteur, porté par des start-up, approche en même temps de la maturité, sous l'impulsion des groupes de télémédecine, des grands assureurs et des Gafa.

Malgré son potentiel indéniable, la digitalisation de la santé se heurte encore à la question de son financement. Les solutions qui promettent la disruption à un secteur aussi sensible sont regardées avec méfiance, autant par les médecins que par les patients. Tandis que les payeurs, publics dans la plupart des pays, laissent encore peu de place à l'investissement ou à la prise en charge des solutions connectées.

Les acteurs promettent pourtant des solutions efficientes. Selon une étude IQVIA pour l’Association des laboratoires japonais présents en France (LaJaPF), généraliser un dispositif de télémonitoring dans le cas du suivi de l’hypertension artérielle permettrait d'économiser jusqu'à 322 millions d'euros par an, soit 14 % de la dépense de soins liée à cette pathologie ! Une promesse à long terme difficile à entendre par le gouvernement, qui mène une politique budgétaire, toujours contrainte, avec l'année suivante comme seul horizon.

La montée en puissance de la téléconsultation

C'est finalement en faisant peser ses coûts sur les médecins, plutôt que les patients ou le système de santé, que quelques sociétés sont parvenues à résoudre l'équation. À commencer par les spécialistes de la prise de rendez-vous en ligne, comme Doctolib en France, dont la valorisation a dépassé le milliard d'euros en 2019. Puis par les spécialistes de la téléconsultation, qui ont profité de la pandémie pour gagner plusieurs années de croissance et changer d'échelle.

En témoigne l'acquisition aux États-Unis de Livongo par Teladoc Health pour un montant record de 18,5 milliards de dollars. « Visionnaire », selon certains analystes, « trop risquée et coûteuse » pour d'autres, elle entre parfaitement dans cette lignée de transactions digitales, dont les valorisations peinent à s'inscrire dans les indicateurs économiques classiques.

De nouveaux chefs d'orchestre

Fort de cette nouvelle place au carrefour des patients, des soignants et des assureurs, ces spécialistes de la télémédecine s'imposent aujourd'hui comme les nouveaux chefs d'orchestre de la santé digitale. Les prochaines barrières à franchir sont déjà identifiées : simplifier les échanges sécurisés entre tous les acteurs, encourager l'adoption des systèmes de télésuivi et de télésurveillance, complémentaires à la téléconsultation et créer de nouvelles bases de données, pour déployer les promesses du Big Data en santé.

Autre moteur de la transformation digitale de la santé : les assureurs privés, qui profitent de leurs capacités d'investissements pour porter de nouvelles solutions auprès de leurs clients. Aux États-Unis, les assureurs ont depuis longtemps rassemblé d'énormes quantités de renseignements personnels sur leurs clients. L'utilisation du Big Data leur permet aujourd'hui de mieux analyser, comprendre les risques, les prévenir et ainsi éviter de coûteuses situations d'urgence.

En France aussi, les complémentaires santé jouent la carte de l'innovation digitale, en partenariat avec les start-up. Elles peuvent ainsi soutenir le développement de sociétés innovantes comme Happy Visio, qui propose des conférences et des ateliers participatifs en santé en visioconférence. Ou Libheros, une plate-forme "phygitale" (physique et digitale) pour l’organisation des soins à domicile.

Où l'on arrive aux Gafa

Difficile de parler de transformation digitale sans évoquer le rôle des Gafa. Mais il faut reconnaître que malgré leurs nombreux investissements et promesses, le secteur reste pour le moment perméable à leur toute-puissance. En cause, une donnée éclatée, complexe à exploiter. Chaque information médicale est en effet abordée d'une façon différente selon les pays, les universités, les hôpitaux ou même les chercheurs. À l'échelle nationale, les logiciels métiers des professionnels de santé, qui sont aujourd'hui une source primordiale de données n'ont pas encore tous les référentiels communs pour croiser l'information. D'où l'impossibilité de lancer des algorithmes innovants à leur étude. La législation dresse en outre un environnement de risques.

C'est pourquoi après plusieurs initiatives sans grand succès, les géants du numérique ont préféré repartir de zéro dans le domaine, avec, comme première étape, la collecte et l'organisation des données. Apple s'appuie sur le capteur électrocardiographe qui équipe ses montres connectées. Afin de faciliter son utilisation, le groupe américain a d'ailleurs signé des partenariats avec différents assureurs.

"Après plusieurs initiatives sans grand succès, les géants du numérique ont préféré repartir de zéro dans le domaine, avec, comme première étape, la collecte et l'organisation des données"

Google poursuit de son côté son partenariat avec le système de santé britannique, le NHS. En exploitant les données médicales de millions de patients, sa filiale Deepmind développe des outils permettant d'accompagner le médecin dans la prise en charge des patients. Amazon enfin a lancé sa propre assurance santé pour ses employés. Elle permet surtout au groupe de récolter de nouvelles données et de tester ses innovations, comme Health Navigator, un logiciel d’aide au diagnostic et à l’orientation des patients, grâce à l’intelligence artificielle.

L'exception de la radiologie

Faut-il croire pour autant à un avenir où le numérique prendra le pas sur les médecins ? Probablement. C'est d'ailleurs déjà le cas dans l'imagerie, où les avancées réalisées ces dernières années sont remarquables : une simple photo en dermatologie permet à des applications de distinguer un grain de beauté d'un mélanome. Certains logiciels de radiologie sont capables de reconnaître sur une radio les taches blanches symptomatiques d'un cancer du poumon, avec de meilleurs résultats que les médecins.

Contrairement à la donnée classique, l'image s'écrit en effet sur un langage unique, partout dans le monde. Leur volume, déjà numérisé, a facilité le développement de ces logiciels. Si bien que certains spécialistes n'hésitent pas à annoncer la disparition des radiologues à un horizon pas si lointain. Si le succès de l'IA dans l'imagerie médicale n'est pas encore duplicable aux autres secteurs de la santé, les efforts entamés par les spécialistes de la télémédecine, les assureurs et les Gafa pour simplifier la collecte et la transformation de la donnée pourraient aussi réserver quelques surprises à l'avenir.

Fabien Nizon

Les chiffres clés de la santé digitale :

-        Un chiffre d'affaires attendu de 234,5 milliards de dollars d’ici 2023 (Frost & Sullivan)

-        Plus d'1 million d'applis santé et bien-être disponibles (JMIR Mhealth Uhealth)

-        500 millions d'utilisateurs d'applis santé mobiles à travers le monde (Sagentia)

-        70 % des données médicales partagées par les hôpitaux français (Accenture)

-        78 % des Français favorables au partage de données de santé (Ipsos)

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