Anaqua, l’un des principaux fournisseurs sur le marché de solutions d’innovation et de gestion de la propriété intellectuelle, continue de développer son portefeuille de solutions PI. Entretien avec Fernando Maiques, directeur produits et Olivier Huc, son directeur commercial.

DÉCIDEURS. Quels sont les défis à relever dans les prochaines années pour un département de PI ?
Fernando Maiques. Sachant que plus de 75 % de la valeur d’une grande entreprise est composée d’immobilisations incorporelles, la propriété intellectuelle (PI) a un rôle de plus en plus déterminant à jouer. À ce titre, on voit se dessiner une profonde mutation du rôle des départements PI, qui passent d’un rôle « réactif », répondant au besoin de sécurisation de l’innovation, à un rôle bien plus actif de définition des axes d’innovation.
Pour cela, il est nécessaire d’avoir une vision précise du paysage technique dans lequel on évolue, une profonde connaissance du marché pour piloter l’innovation vers les marchés les plus porteurs, tirer parti des technologies émergentes et freiner la concurrence dans les secteurs clefs. Sans oublier de contrôler le risque, quel qu’il soit, et de mesurer au jour le jour le fruit de ces efforts, d’explorer les différentes manières visant à protéger sa propriété intellectuelle, notamment en ce qui concerne les Trade-Secrets ou le savoir-faire, très mal protégés actuellement.
C’est un vrai défi structurel, et les outils tels qu’Anaqua doivent répondre à ces nouveaux impératifs du marché. À cela s’ajoute, comme dans tous les domaines, une accélération générale des flux d’informations et de communication. Cela se traduit par des prises de décision toujours plus rapides mais qui doivent aussi être plus pertinentes. Ce sont aussi des interactions de plus en plus poussées avec les autres, à la fois en externe avec les autres acteurs de PI mais aussi en interne vis-à-vis des autres départements. Ainsi, les outils collaboratifs entre les industriels et leurs agents, notamment, vont devenir immatériels dans les années à venir. Cela s’avérera une réalité dans tout l’écosystème de la propriété intellectuelle. Ce sont de vrais défis mais c’est ce qui donne tout son sens à notre métier en proposant des solutions aptes à les relever.


Comment, dans vos rôles respectifs, avez vous assisté aux mutations concernant le rôle des départements de PI dans le monde des entreprises ?
Fernando Maiques. Lorsque j’ai appréhendé la propriété intellectuelle pour la première fois en 1995, la très grande majorité des départements de PI étaient dans un rôle purement administratif. Leurs premiers objectifs étaient de référencer les titres déposés et de s’assurer qu’ils ne manquaient pas les échéances. Mais depuis, les départements de PI prennent un rôle réellement actif. Beaucoup sont mêmes devenus des centres de profits alors qu’ils ne constituaient que des charges jusque-là, développant, entre autres, l’octroi de licences.
Leurs champs d’action se sont élargis, avec plus d’interactions au sein de l’entreprise établissant même de vrais partenariats et venant jouer un rôle plus actif dans l’innovation au sens large, voire proactif. Je me souviens même du PDG de l’un de nos clients, qui surnommait son directeur PI “Nostradamus” du fait de sa capacité à prévoir le futur d’un point de vue technologique. Au niveau des marques, la PI est également devenue un partenaire majeur du branding, et un partenaire indissociable des équipes marketing et produits. 

Olivier Huc. Cela fait plusieurs années que nous notons une évolution du rôle des départements PI (DPI). Ils ne sont plus vu, désormais, comme une administration fonctionnant en vase clos. Ils sont devenus des partenaires clé de la recherche et du développement (R&D). Ces dernières années, j’ai d'ailleurs remarqué à quel point de nombreux ingénieurs R&D ont assumé un rôle prépondérant de référent PI, assurant un lien capital entre le département PI et l’ensemble de la R&D en tant que formateurs et communicants auprès de leurs pairs. De nombreuses entreprises technologiques ont ainsi ouvert des cellules de veille technologiques au sein de la R&D, chapeautées par la PI. De même, la disparition progressive de la notion de « rupture de charge » entre la gestion de l’idée (idéation) par la R&D d’un côté et la gestion administrative de la déclaration d’invention de l’autre grâce à l’apparition de solutions logicielles intégrées permet d’éviter la perte d’innovation et lie de manière naturelle R&D et PI. De telle sorte que le département s’expose et devient un partenaire clé dans le développement de la stratégie de l’entreprise. Le besoin d’impliquer le DPI dans les décisions stratégiques amène de nombreux PDG à s’entourer de Responsables PI dans les comités ad hoc. Il devient également plus répandu en Europe de nommer de véritables Chief Intellectual Property Officers (CIPO), responsables globaux au même niveau que leurs homologues CFO, CTO, CIO dans leurs domaines respectifs. 

Les autres départements font aussi de plus en plus appel aux informations que seul le DPI peut facilement produire. Qu’il s’agisse de l’état des lieux des portefeuilles par unité organisationnelle, par ligne de produit, etc. Les départements commerciaux, marketing, communication sont demandeurs de métriques autour de l’innovation que seuls des outils de création de rapports de qualité, alimentés par une base de données interne riche et structurée peuvent fournir.


Comment voyez-vous la relation complexe entre le Big Data et la PI ?
Olivier Huc. Il faut tout d’abord bien différencier Big Data et propriété intellectuelle. Dans le premier cas, il s’agit d’un ensemble de données et 'informations diverses et variées qui se développent à un rythme soutenu, quant à la PI, les données brevet et marque sont structurées et proviennent d’une seule source par pays, à savoir les offices de brevets.
En outre, ces derniers ont fait des efforts importants de numérisation. Et les politiques d’Open Data, comme celle mise en place par l’INPI en France, contribuent à la diffusion et à l’utilisation des données PI dans des contextes différents. La clé étant de ne pas utiliser les données brutes, mais d’en extraire du sens pour pouvoir les exploiter au mieux.
Cela dit, outre l’analyse classique cartographique – par pays, technologie et déposant –,l’exploitation des données PI est encore assez limitée du fait de sa complexité. La sophistication des outils de sémantique, des algorithmes de notation et l’apport malgré tout encore modeste de l’intelligence artificielle (IA) nous offrent des perspectives intéressantes dans la compréhension des données brevet notamment.
C’est pourtant grâce à des informations PI de qualité que des décisions peuvent être prises, notamment des décisions de paiement d’annuités ou de renouvellement.


Quel est le rôle de la propriété intellectuelle dans une situation de crise économique ?
Comment les droits de propriété intellectuelle peuvent-ils être utilisés pour aider les entreprises à survivre ?
Fernando Maiques. En situation de crise économique, on va d'abord chercher à réduire ses charges tout en maintenant au mieux son chiffre d’affaires. C’est dans ce type de situation de crise que l’on constate le rôle prépondérant de la PI. Une gestion de portefeuilles pointue permet de réduire les coûts en termes de maintenance des titres, d’abandonner les marques, brevets ou dessins, qu’il n’est pas pertinent de conserver, de choisir judicieusement où les déposer, et par quel biais, pour optimiser au mieux le ratio coût/risque.
Au-delà de ces économies directes, le département PI va aussi pouvoir influer sur la politique d’innovation, pour réduire les charges de R&D sur  les secteurs les moins porteurs. Maintenir un chiffre d’affaires, c’est aussi, entre autres, se démarquer de la concurrence en offrant des produits innovants avec de vrais facteurs de différentiation sur le marché, qui permettront même de maintenir des marges. Qui mieux que ceux qui sont au coeur de l’innovation dans une entreprise, pour en tracer les grandes lignes, et piloter leurs mises en place ? Les actifs immatériels, ce sont aussi des revenus potentiels en termes de licences. La propriété intellectuelle a besoin de pouvoir analyser son portefeuille, de le comparer au marché, à la concurrence et d’identifier des partenariats qui permettront de valoriser ces actifs.


Olivier Huc. De manière générale, la PI résiste assez bien aux crises économiques. Les entreprises investissent en R&D durant les périodes fastes et réduisent potentiellement la voilure en termes d’extension à l’international mais cela ne se traduit pas systématiquement par une baisse prioritaire du nombre de dépôts. Les statistiques de dépôt ne montrant pas de variation importante d’une période à l’autre.
Les entreprises européennes qui réalisent le potentiel de leurs brevets, marques, noms  de domaines, etc. peuvent opter pour des stratégies  plus défensives durant les crises économiques, abandonner les actifs peu ou pas stratégiques, licencier, voire céder des titres. Sur ce point, les  entreprises restent dans l’ensemble assez conservatrices. Quand bien même il s’agit d’une pratique de bonne gestion que d’élaguer son portefeuille de PI régulièrement, et ce, quelle que soit la période, il n’en reste pas moins que l’abandon ou la cession d’un brevet reste une décision qui demande le suivi d’un processus analytique et qui ne devrait pas être prise dans l’urgence d’une crise économique.

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