Coup d’accélérateur pour Winston & Strawn
Avec l’ouverture de bureaux à Charlotte et Hong Kong en 2008, l’implantation à Shangai et Pékin fin 2009 et des recrutements à tour de bras, la Chicago firm, ancrée depuis cent cinquante ans sur le continent américain, fait son entrée sur le circuit international. Avec une solide pratique contentieuse pour carburant et une équipe parisienne innovante en guise de moteur.
Sagesse et opportunisme ne sont pas incompatibles. C’est ce qu’explique Thomas Fitzgerald, managing partner de Winston & Strawn, en décrivant la «?croissance maîtrisée?» du cabinet. C’est aussi ce que démontre depuis deux ans le parcours ambitieux d’une firme pourtant connue pour sa prudence. En pleine tourmente économique, quand la plupart de ses homologues ponctionnent leurs budgets et leurs effectifs, Winston & Strawn sélectionne : de nouvelles recrues, de nouveaux marchés. Les résultats du cabinet, relativement peu affectés par la crise, lui permettent de saisir tranquillement la balle au bond (cf. fig.1). Et de transformer les challenges en opportunités. |
Sous les défis, les aubaines
La série de coups d’éclat commence en janvier 2008 : la firme s’implante à Charlotte (Caroline du Nord) en y ouvrant son dixième bureau. Et, pour partir à la conquête de la deuxième place financière des États-Unis, s’offre de nouveaux talents en provenance du cabinet Kennedy Covington sur le point de fusionner avec K&L Gates.
Puis en novembre, la firme lance une offre publique d'achat sur les rescapés de la chute du cabinet international Heller Ehrman : à Hong Kong, pour démarrer une activité chinoise, et à Washington, où l’intégralité de l’équipe commerce international rejoint les troupes de Winston & Strawn. Quelques jours plus tard, le cabinet tire, de nouveau, profit de la série de dissolutions qui affecte le marché américain. Il recrute dix-neuf anciens de Thelen Reid Brown Raysman & Steiner qui rejoignent les bureaux de San Francisco, Los Angeles et New York.
Enfin, Winston & Strawn poursuit sur sa lancée avec l’inauguration des bureaux de Shanghaï et Pékin fin 2009 et de nombreux recrutements latéraux, parmi lesquels celui de huit avocats en private equity du cabinet Nixon Peabody aux États-Unis. Ces mouvements impressionnent par leur rapidité d’exécution.
Il a pourtant fallu du temps à Winston & Strawn pour passer à la vitesse supérieure et élargir ses horizons au-delà du territoire américain. Car le cabinet, qui compte parmi les plus anciens des États-Unis, était à l’origine une structure locale profondément ancrée dans sa ville natale. |
Une enfance américaine
C’est en 1853, alors que Chicago n’est encore qu’une bourgade modeste, que Frederick H. Winston y démarre sa carrière d’avocat. Plusieurs associés se succèdent à ses côtés, avant qu’il ne transmette à son fils Frederick S. Winston les rênes du cabinet Winston & Meagher. Puis en 1891, Silas H. Strawn rejoint la firme où il passera cinquante ans, dont quarante-deux en tant que managing partner. Il prendra parallèlement la présidence de la Chicago bar association, puis de l’American bar association. Et inscrira son patronyme à côté de celui de Winston pour ainsi créer le nom définitif de la firme.
Si la personnalité et les engagements publics de Silas H. Strawn ont certainement contribué à bâtir la réputation de la firme, celle-ci acquiert aussi une forte crédibilité en intervenant sur des affaires majeures. En 1944, elle défend la chaîne de grands magasins Montgomery Ward contre le gouvernement fédéral qui souhaite réquisitionner ses usines en 1944 en vertu de l’effort de guerre.
Mais, malgré l’importance des dossiers et l’ouverture réussie d’une première antenne à Washington en 1970, la structure peine à se consolider. Elle tente de mettre en place un bureau à Paris dans les années 1960 et le ferme deux ans plus tard. Elle double ses effectifs dans les années 1980 jusqu’à atteindre les 250 avocats, mais perd en parallèle des clients de poids. Elle développe sa pratique corporate en absorbant un cabinet new-yorkais en 1989, avant de subir la crise économique qui survient l’année suivante.
1993-2006 : l’ère Thompson
Un vent de croissance souffle enfin sur le cabinet dans le courant des années 1990. Et va jusqu’à propulser Winston & Strawn dans le top 50 des cabinets américains.
Un nom est à l’origine de ce regain de dynamisme : James R. Thompson. Après quatorze ans passés à la tête de l’État de l’Illinois, cet homme politique influent abandonne ses fonctions de gouverneur pour la présidence du comité exécutif de Winston & Strawn en 1991. Où il siège encore actuellement, en tant que président honoraire. L’ère Thompson apporte au cabinet des connexions politiques utiles et bénéfiques, qui lui permettent de recueillir des donations significatives. C’est aussi le début d’un engagement à long terme au service de la communauté : Winston & Strawn est l’une des premières grandes firmes à avoir mis en place une stratégie d’implication pro bono. |
Le portefeuille de clients évolue, lui aussi. Cabinet de contentieux par excellence, Winston & Strawn fait alors figure de pionnier dans la défense des fabricants de tabac, des sociétés informatiques, et des entreprises internationales. Cela lui permet de fidéliser des clients de poids comme Philip Morris, Microsoft, General Electrics ou encore McDonald’s.
Mais cette période est surtout celle de l’expansion internationale. Européenne d’abord : à Genève en 1993, puis à Paris en 1995. Américaine ensuite, avec de nouvelles implantations qui fleurissent sur le territoire, à Los Angeles en 1999, à Newark en 2000, puis à San Francisco en 2003. Cap vers l’est à nouveau en 2005, lorsque Winston & Strawn se tourne enfin vers le marché londonien. Puis se rapproche de ses clients russes en ouvrant un bureau à Moscou en 2006. La même année, «?big Jim?» Thompson passe le flambeau à Dan Webb, star du barreau américain, formé à l’école de Winston & Strawn depuis deux décennies. Il lui lègue une organisation solide composée de 850 avocats répartis dans neuf bureaux à travers le monde. |
En Europe, la politique des petits pas
La firme a donc pénétré dès les années 1990 quelques places clés hors des États-Unis. Mais demeure de facto essentiellement américaine. En 2009, les quatre bureaux européens réunissent moins de 10?% des effectifs totaux. Soit 91 avocats, dont 80?% sont basés en France. Le bureau de Paris domine donc largement l’implantation européenne (cf. fig. 2). Mais Londres qui fait d’avantage office de point d’entrée privilégié vers l’Europe pour les clients corporate américains. Et pourtant, le bureau anglais subit le départ de trois associés un an seulement après sa création, et demeure relativement modeste en termes d’effectifs. |
L’exception parisienne
Vincent Sol, managing partner du bureau de Paris et membre du comité exécutif, demeure optimiste : «?En période de crise, explique-t-il, la transition vers une croissance stable est difficile à Londres. Mais Winston & Strawn se tient prêt à passer à la vitesse supérieure sur le marché anglais.?» Et sur les autres marchés européens ? «?Des mouvements sont envisageables, notamment en Europe du Sud. Puis, dans un deuxième temps, vers l’Allemagne et l’Europe de l’Est?». Pour l’instant, la prudence reste de mise, et les effectifs sont stables : six avocats à Genève, deux à Moscou.
Paris fait donc figure d’exception européenne dans la structure internationale du cabinet : le bureau français se retrouve aujourd’hui à la cinquième place mondiale devant Los Angeles. En quinze ans de présence sur le sol français, Winston & Strawn a considérablement renforcé ses troupes. Certes, les débuts sont timides (de deux fondateurs à une trentaine d’avocats en l’espace de dix ans) mais un tournant décisif est pris en 2005, avec le lancement d’un cherry picking de qualité auprès de ses concurrents français. La firme débauche d’abord l’équipe droit social du cabinet Kahn & Associés, (Sébastien Ducamp et Barbara Hart), suivie par une équipe du cabinet Fidal (Frédéric Bailly, Jean-Pierre Collet, Franck Lagorce, Florence Bilger et David Colin) puis des talents reconnus dans les domaines du droit public (Frédéric Scanvic, ancien conseiller d’État), de l’énergie (Carole Arribes), du droit de la concurrence (Emmanuel Tricot) et de l’arbitrage international (Bruno Leurent et Thomas Bevilacqua).
La diversité des compétences
Le dernier recrutement français concerne Patrick Dunaud, Emmanuel Drai et leurs trois collaborateurs en 2009. Les deux associés, anciennement en charge de la pratique contentieuse de Latham & Watkins, jouissent d’une solide réputation dans le secteur des médias, de la propriété intellectuelle, de la publicité et des nouvelles technologies. « Nous évitons de tout miser sur un département?», résume Vincent Sol. Cela implique de bien équilibrer le segment corporate et la pratique contentieuse, comme c’est le cas aux États-Unis ou chacun de ces départements génère 40?% de l’activité. Mais pour le bureau parisien, cela signifie aussi faire la part belle à la diversification des compétences.
En effet, le cabinet est surtout reconnu pour son excellente pratique du droit de l’environnement et ses interventions remarquées auprès notamment de Rhodia, Veolia ou Alstom. Au regard des compétences du cabinet en la matière, cette perception est tout à fait justifiée. Mais néanmoins incomplète, à en croire Joël Alquezar, qui dirige le département contentieux et arbitrage du cabinet. «?Nous rendons aux entreprises tous les services qui leur sont utiles, explique-t-il, et c’est pourquoi nous tâchons sans cesse de développer de nouveaux métiers.?»
Le désir de valoriser les autres expertises du cabinet, en dehors du volet environnemental, s’est concrétisé sous l’impulsion de Vincent Sol par la mise en place d’une nouvelle approche, particulièrement innovante. Aux cinq départements traditionnels – corporate, droit du travail, environnement et droit public, contentieux et arbitrage, droit fiscal – vient se superposer une organisation par secteurs (immobilier, énergie, santé, industrie, grande consommation, informatique, private equity, ou banque et finance) et par spécialisations. Vincent Sol développe : «?Au fond, il ne s’agit que de formaliser une organisation que nous avions déjà adoptée de facto, au fil de l’évolution des dossiers et des méthodes de travail. » Ce système devrait, à terme, se révéler payant «?car il permet de privilégier un foisonnement d’idées et de regards différents?».
L'organisation à Paris traversera l'Atlantique
Pendant longtemps, ce discours n’a pas été compris et les équipes étaient quelque peu réticentes à l’idée de bouleverser les schémas traditionnels. Aujourd’hui, la nouvelle organisation est non seulement acceptée à Paris, mais le managing partner parisien espère bien qu’elle traversera l’Atlantique pour faire le tour des bureaux de Winston & Strawn. Il considère en effet que «?dans un marché désormais guidé par la demande, il faut déployer de nouveaux étendards pour attirer les clients?». |
Déployer des étendards, cela ne se limite pas à réorganiser la vitrine de compétences de Winston & Strawn. Si le bureau de Paris a lancé un mouvement de réorganisation interne, c’est aussi lui qui a amorcé l’impulsion du cabinet vers l’Asie.
2010 : le grand bond vers l’Asie
Les associés parisiens entretiennent des relations privilégiées avec Bertrand Theaud et Matthieu Bonnici. Ces deux anciens du cabinet Coudert Frères, rompus à la pratique du droit en Asie, ont lancé l’activité chinoise de Winston & Strawn à Shanghaï. L’ouverture de ce nouveau bureau, avec celle de la branche de Pékin dirigée par Xiang Yang Ge, a été officiellement annoncée en novembre?2009, dès réception de l’autorisation du gouvernement chinois. Elle fait écho à l’ouverture du bureau de Hong Kong un an plus tôt par l’équipe de Simon Luk et enrichie par l’arrivée récente d’Adrian Yip.
À terme, l’idée est d’atténuer les disparités géographiques pour développer un axe intégré s’étendant des États-Unis à l’Asie en passant par l’Europe. «?Cet axe commence à se dessiner sous la forme d’une ligne San Francisco-Paris-Shanghaï?», explique le managing partner parisien, qui est également chief representative du bureau de Shanghaï. Des propos qui incarnent l’esprit de collaboration entre associés dont la firme peut être fière.
À l’image de ce début de conquête chinoise, faut-il maintenant s’attendre à une offensive de Winston & Strawn sur les autres marchés émergents ? Pas forcément, à en croire le managing partner de la firme. Thomas Fitzgerald rappelle que si l’expansion internationale reste une priorité, la firme continuera à «?préférer la qualité à la quantité?».
La croissance réfléchie, ou «?l’ambition mesurée?» : c’est sans doute le carburant historique de Winston & Strawn qui continuera d’alimenter sa croissance pour les cent cinquante ans à venir.