A l’heure de la libéralisation des traports ferroviaires au sein de l’Union européenne, l’affaire SNCF-Expedia vient rappeler que partenariats commerciaux et droit de la concurrence ne font pas toujou bon ménage.

A l’heure de la libéralisation des transports ferroviaires au sein de l’Union européenne, l’affaire SNCF-Expedia vient rappeler que partenariats commerciaux et droit de la concurrence ne font pas toujours bon ménage.

Depuis leur lancement il y a une dizaine d’années, et malgré un contexte économique fragile, les agences de voyages en ligne se sont largement imposées dans les habitudes des Français.
Créée en 2000, la filiale de la SNCF, Voyages-sncf.com, fait d’ailleurs partie des plus beaux succès de l’e-tourisme de l’Hexagone. En 2009, le site est même devenu le premier canal de distribution de billets de train de la SNCF et ne cesse de gagner des points sur le segment plus large des séjours, qui représente aujourd’hui 20 % de l’activité du site. Pour parvenir à un tel positionnement, le groupe de transports ferroviaires français a cependant perdu quelques plumes. Et quelques cinq millions d’euros.  Retour sur l’affaire SNCF-Expedia.


Un mariage d’intérêts

Moins d’un an après la création de son site de vente de billets de train en 2000, la SNCF veut développer ses activités annexes et s’imposer dans le secteur des séjours clés en mains, de la vente des billets d’avion ou encore de la location de voiture. Pour cela, le groupe a besoin d’un partenariat avec un spécialiste. La SNCF se rapproche alors du numéro un mondial de l’e-tourisme, le groupe américain Expedia, pas encore présent en France. La filiale commune est baptisée Agence Voyages-sncf.com. Le site Voyages-sncf.com assure désormais, outre la distribution de billets de train, une véritable activité d’agence de voyage.
Si le mariage accélère les projets de diversification de la SNCF, pour le portail américain Expedia, la dot recèle un véritable trésor : l’accès au fichier clients de la SNCF - qui compte près de dix millions de contacts -, l’exclusivité des ventes d’offres promotionnelles du transporteur ainsi que l’accès direct et gratuit au système de réservation informatique du site Voyages-sncf.com. De quoi favoriser la pénétration du marché français pour Expedia. Et de quoi mettre en colère les concurrents directs du site que sont les sociétés Karavel, Promovacances et Lastminute. Dès 2002, le Conseil de la concurrence (devenu depuis l’Autorité de la concurrence) est saisi par les trois sites marchands qui reprochent au partenariat SNCF-Expedia de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la vente des billets de train en ligne.


Des sanctions et des amendes distinctes

Après une enquête de plusieurs années, le gendarme français de la concurrence rend sa décision, le 5 février 2009. Verdict : la SNCF s’est rendue coupable de distorsion de concurrence. Par le biais de son partenariat avec Expedia, le groupe a favorisé son site Internet Voyages-sncf.com en instaurant des barrières techniques aux sites concurrents. Pour intégrer son système de réservation, la SNCF demandait en effet aux concurrents de sa filiale de s’acquitter du paiement d’une licence informatique (baptisée Ravel), au prix fort.
En outre, si ces derniers pouvaient procéder à la vente des billets de train sur Internet, ils n’avaient pas la possibilité de proposer à leurs clients la fonction « impression des billets », et ne pouvaient pas accéder à l’ensemble de l’offre promotionnelle du transporteur.
Pour avoir restreint l’accès au marché de la vente de billet en ligne, la SNCF est condamnée à une sanction de cinq millions d’euros. Il n’en sera pas de même pour son binôme.
La société américaine Expedia est, elle, condamnée à cinq cent mille euros d’amende pour entente. Le conseil de la concurrence souligne que l’accord « consistant à prendre appui sur un monopole légal pour développer une activité sur un marché concurrentiel connexe, est anticoncurrentiel dans la mesure où il a pour objet de réserver un avantage déterminant à la filiale commune et ainsi de fausser la concurrence par les mérites ». En clair : Expedia a été avantagé du fait du partage du fichier clients et a également bénéficié de la marque – rassurante parce que historique – de la SNCF. Car les voyages vendus sur le site voyages-sncf.com ne sont pas des produits SNCF, mais bien des produits Expedia.
 

Une affaire négociée

Le hiatus, en termes d’amende, entre le marié et la mariée est saisissant. Pourtant, l’adition aurait pu être plus salée pour la SNCF. En janvier 2008, lorsque le Conseil de la concurrence notifie ses griefs en vue du procès, le groupe français prend la décision de ne rien contester, reconnaissant ses erreurs. La SNCF opte pour la politique d’engagements (voir encadré) par laquelle la société promet de « mettre sur un pied d’égalité les agences de voyages en ligne avec sa filiale Voyages-sncf.com ». En retour, le Conseil réduit le montant de l’amende. D’après les termes de ce « pacte », la SNCF s’engage à rendre accessible, à toutes les agences de voyage en ligne, ses offres promotionnelles et à revoir le prix de sa licence informatique Ravel à la baisse.
Autre garantie posée : les sites d’e-tourisme pourront choisir de recourir aux prestations informatiques de la SNCF ou à celles de prestataires tiers. La SNCF s’engage en effet à développer de nouvelles modalités d’accès à son propre système de réservation en ligne. Pour les concurrents Karavel et Promovacances, les mesures prises par la SNCF ne sont pas suffisantes. Les sociétés interjettent appel et demandent aux juges de la cour d’appel de Paris d’imposer à la SNCF des engagements supplémentaires.


Statu quo en appel

Le 23 février 2010, soit un an après la décision du Conseil de la concurrence, la cour d’appel de Paris déclare irrecevables les requêtes des parties demanderesses et confirme la décision du 5 février 2009. Le montant des amendes demeure inchangé.

Dans son arrêt, les juges d’appel ajoutent que « le Conseil de la concurrence et la cour d’appel ne sont pas tenus d’exiger que les engagements souscrits pas la SNCF soient de nature à mettre un terme définitif aux pratiques illicites ». Il ne s’agit pas pour autant de faire perdurer une situation anticoncurrentielle. La politique d’engagements permet certes une résolution plus rapide des affaires et une réduction des sanctions pécuniaires pour la société mise en cause, mais elle ne saurait faire disparaître le rôle premier de l’Autorité de la concurrence qui est de contrôler les pratiques anticoncurrentielles. La SNCF fait donc indéniablement partie des dossiers à suivre par les services de l’Autorité présidée par Bruno Lasserre.


Un petit avant-goût d’ouverture du marché

Coïncidence ou pas, deux semaines après l’arrêt de la cour d’appel de Paris, le tour-opérateur français Selectour lançait son propre service de réservation de billets de train, et une offre de comparaison de prix avec les vols. D’autres acteurs du tourisme devraient rapidement le rejoindre, d’autant que l’ouverture du service de transport ferroviaire international de voyageurs est en route. La bataille des chemins de fer est lancée. 

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