"J’ai connu peu de décisions qui n’aient pas été prises de manière consensuelle"
Pour Michel Gauthier, directeur général du cabinet Ernst & Young France, une bonne décision est le fruit d’une analyse pertinente et partagée. C’est finalement dans de rares cas que le management aura à trancher ou choisir.
Décideurs. De par votre expérience, quel doit être le processus d’une bonne prise de décision ?
Michel Gauthier. Dans certains cas, les décisions ne sont en réalité que l’aboutissement quasi-naturel d’un processus logique. À son terme, il apparaît qu’il n’existe qu’une seule solution pour avancer. Dans d’autres cas, il existe de véritables opportunités entre plusieurs routes et s’il est nécessaire de choisir, l’analyse oriente très fortement le choix. Enfin, dans des circonstances plus rares où les routes possibles sont antinomiques et le consensus difficile, il est impératif de trancher : c’est ce qu’on attend du management.
C’est dans la qualité de la préparation que se trouve la clé des bonnes décisions, qui s’imposent et s’appliquent de la manière la plus consensuelle possible. Même s’il faut savoir éventuellement trancher à la fin, le plus important réside dans la phase de libre discussion et de présentation de la problématique et des arguments. Dans ma vie professionnelle, j’ai d’ailleurs connu peu de décisions qui n’aient pas été prises de manière consensuelle.
Décideurs. Quelles valeurs un bon leader doit-il défendre ?
M.?G. J’ai déjà évoqué la nécessité de susciter l’envie, de créer de l’affect et de s’appuyer sur la compétence. Au-delà, je pense qu’il faut créer de l’enthousiasme et développer ce que certains appellent l’«?empowerment?». Pour moi, c’est un peu l’art de conduire les gens à optimiser leurs capacités et à délivrer le meilleur d’eux-mêmes en testant leurs propres limites. Pour faire tout cela, les qualités d’un bon leader me semblent donc être l’écoute, le sens de la synthèse, la clarté, l’exemple, et bien entendu le courage et l’art de la décision.
Décideurs. L’émergence d’Internet, les progrès de la bureautique et l’arrivée des smartphones ont révolutionné votre métier ces dernières années. En quoi cela influence-t-il votre prise de décision ?
M.?G. Aujourd’hui, tout va plus vite et grâce ou à cause des évolutions technologiques, je considère qu’on travaille beaucoup plus qu’il y a vingt ans. Paradoxalement, il y a tellement d’informations qu’il n’est plus possible de les analyser toutes en profondeur. De plus en plus, il faut aller à l’essentiel et faire appel à son intuition et son expérience pour trancher.
Décideurs. Vous avez vécu plusieurs crises : économique, structurelle avec Arthur Andersen en 2002, ou suite au départ groupé de l’associé en charge du restructuring et d’une quinzaine de collaborateurs il y a un peu plus d’un an. Qu’en retenez-vous ?
M.?G. Tout d’abord, lorsqu’il y a une crise, il ne faut pas se voiler la face mais montrer qu’il y a un timonier, rassurer. Ensuite, Il faut aller à la rencontre des autres et communiquer car chacun a besoin de se sentir impliqué tant dans l’analyse des causes que dans le choix des solutions. C’est ce que j’ai essayé de faire en reprenant la direction du pôle transaction d’Ernst & Young à l’été 2009. Enfin, il faut se dire que la crise peut être salutaire, qu’elle permet de se régénérer car elle interpelle et se trouve être souvent génératrice d’innovation. C’est peut-être pour cela qu’Ernst & Young a pris de l’avance dans de nombreux domaines par rapport à ses concurrents suite à sa fusion avec Andersen. C’est peut-être aussi pour cela que nous sommes redevenus attractifs.
Décideurs. Si vous deviez n’en retenir qu’une, quelle décision vous a conduit à vos responsabilités actuelles ?
M.?G. J’aurais du mal à identifier une décision particulière car j’ai plutôt le sentiment d’avoir réagi aux événements et rarement réellement tranché en utilisant la théorie des choix. C’est la somme de nos actions qui nous conduit là où nous nous trouvons. Je dois avouer que c’est parce que je ne voulais pas faire de management que j’ai décidé de fusionner PGA avec Arthur Andersen en 1996. Si je devais néanmoins citer une décision structurante, je reviendrais au moment de l’éclatement d’Arthur Andersen. À la quasi-unanimité, nous avons pris la décision de nous rapprocher d’Ernst & Young, résolution dont chacun des mariés se félicite encore aujourd’hui.
Décideurs. Vous êtes à la tête de près de 4 500 collaborateurs pour Ernst & Young et près de 300 uniquement pour TAS (métiers du conseil). Ils ont la particularité d’être jeunes et très diplômés. Quelle est votre analyse d’une telle structure ?
M.?G. La particularité des collaborateurs d’une entreprise comme Ernst & Young, c’est leur rapidité d’évolution due à la qualité de notre recrutement, notamment dans les grandes écoles commerciales ou d’ingénieurs. Ces jeunes générations sont impatientes de gravir les échelons et de gagner en responsabilité, tout en étant à la fois plus pragmatiques et plus volages.
Au niveau des associés, la hiérarchie est moins visible mais il existe des attentes comparables. Pour avoir un fonctionnement harmonieux, il me semble qu’il faut, à chaque niveau, faire envie à la génération d’en dessous, créer de l’affect, et être reconnu pour sa compétence.
1. Le principal trait de mon caractère : l’émotivité.
2. La qualité que je préfère chez un individu : la synthèse.
3. Mon principal défaut : la timidité.
4. Mon idée du bonheur : la vie de famille.
5. Mon héros de fiction : Tintin
6. Mon héros dans la vie réelle : Einstein.
7. Ce que je déteste par-dessus tout : la mauvaise foi.
8. La réforme que j’estime le plus : 2010, la réforme des retraites.