Par Romain Thiesset, avocat associé, Capstan Avocats

Le droit à la protection sociale est un enjeu sociétal majeur, ce d’autant plus dans un environnement défavorable matérialisé par le recul de l’espérance de vie, par un recul plus inquiétant de l’espérance de vie en bonne santé, par une diminution du revenu disponible consacré aux dépenses de santé…

 

Les employeurs sont un acteur majeur du droit à la protection sociale, et l’ont toujours été : les premières régimes d’entreprise ont ainsi été mis en place avant même que la Sécurité Sociale ne soit instituée en 1945.

 

Depuis, ils n’ont jamais remis en cause ni contesté les obligations mises à leur charge en matière de protection sociale de leurs salariés, bien que celles-ci soient de plus en plus importantes et contraignantes, acceptant la compensation du désengagement de l’Etat que ce dernier leur impose. La mise en place, depuis le 1er janvier 2016, de la généralisation de la couverture santé en est l’exemple le plus récent, alors même que cette mesure est globalement dépourvue d’intérêt (au regard du nombre limité de salariés dépourvus de couverture médicale, du coût de cette mesure, et de son incidence sur le revenu net des salariés).

 

Pour autant, il faut, au mieux, créer et entretenir les incitations au financement par les employeurs de ces régimes de prévoyance ; au pire, il est nécessaire de ne pas entraver ni décourager les employeurs dans la réalisation de cet objectif.

 

Sur le premier point, si la loi prévoit effectivement une incitation, notamment au regard du régime social des contributions patronales au financement de ces régimes, l’incessante réforme des conditions de cette exonération sociale ainsi que les contradictions dans la création et l’interprétation de ces obligations nuisent à leur efficacité ; pire, elles exposent les employeurs à des risques de redressement Urssaf ou à des contestations prud’homales qui ne peuvent être tolérés.

 

Ces difficultés étant régulièrement décriées, une simplification et une clarification des obligations et conditions d’exonération sociale était attendue. Prenant le vent contraire, la loi de financement de la sécurité sociale (loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015) et les textes pris pour son application (décret n°2015-1883 du 30 décembre 2015) et (déjà !) son interprétation (circulaire  de la Direction de la sécurité sociale du 29 décembre 2015, et donc antérieure au décret, sic !), ont préféré créer de nouveaux obstacles.

 

Démonstration en sera faite avec la présentation, en 3 points, de ces textes.

En premier lieu, la loi prévoit désormais que tout régime « frais de santé » doit faire l’objet d’une participation financière, pour moitié de son coût, par l’employeur ; jusqu’alors, cette obligation ne concernait que le « panier de soins minimum » créé parallèlement à la généralisation de la couverture santé. Bien plus, l’administration a depuis indiqué que cette contribution patronale minimale s’applique également au coût d’un régime familial lorsque la couverture des ayants droit est obligatoire (la participation patronale minimale n’est donc pas limitée uniquement à la couverture médicale du salarié…). De même, l’administration est venue préciser que la contribution éventuelle du comité d’entreprise, pourtant assimilée techniquement à une contribution de l’employeur (pour l’appréciation des plafonds d’exonération), ne doit pas être prise en considération pour apprécier le niveau de participation de l’employeur.

Par ailleurs, les employeurs attendaient un éclaircissement concernant les dispenses d’adhésion aux régimes de prévoyance, pour lesquelles un dernier décret, après plusieurs modifications successives en moins de deux années, précise que ces dispenses ne peuvent être prévues que lors de la mise en place d’une couverture médicale dans l’entreprise (ce qui empêcherait d’ajouter ces dispenses en cas d’évolution ultérieure des régimes mis en place). A cette première difficulté s’ajoutaient les exigences de l’Urssaf en matière de justification des dispenses accordées aux salariés. Dans ces conditions, nombreuses sont les entreprises à avoir renoncé à toute dispense d’adhésion, sauf celle, d’ordre public, bénéficiant aux salariés présents dans l’entreprise au moment de la mise en place de la couverture (par décision unilatérale, exclusivement). Cette situation à peine digérée, le législateur vient de créer des dispenses d’adhésion dont peut se prévaloir tout salarié, même lorsqu’elles n’ont pas été prévues par l’employeur ; celles-ci profitent aux salariés bénéficiant de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, de la CMU complémentaire, d’une assurance individuelle (jusqu’à son échéance), d’une couverture médicale collective et obligatoire y compris en qualité d’ayant droit, et les salariés titulaires d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat de mission dont la durée de la couverture médicale est inférieure à 3 mois (le texte ne fait pas référence à la durée du contrat mais bien à la durée de la couverture…). Dispenses d’adhésion qui demeurent distinctes (certaines étant toutefois identiques…) des dispenses d’adhésion pouvant être prévues par le régime (les dispenses antérieurement prévues par la loi n’étant ni supprimées ni même modifiées)… Dispenses d’adhésion dont peuvent se prévaloir les salariés uniquement dans le cadre des régimes frais médicaux, et non dans le cadre des régimes de prévoyance lourde (incapacité, invalidité, décès)….

Enfin, le législateur a fait preuve (malheureusement) d’innovation en prévoyant que certains salariés ainsi dispensés d’adhésion devront bénéficier du versement par leur employeur d’une somme représentative du financement patronal du régime. Ou plus exactement d’un montant de référence fonction de la durée du travail du salarié, et auquel s’applique un coefficient de majoration ; le vœu d’une plus grande complexité n’aurait pas pu être exaucé… Bien plus, la loi prévoit qu’un accord de branche ou un accord d’entreprise pourra assurer le respect de la généralisation de la couverture santé, pour certains salariés (qui seront donc exclus du régime) par le versement, uniquement, de cette somme !!

 

Seule consolation : l’administration a indiqué que le non-respect des obligations particulières à la généralisation de la couverture santé (c’est-à-dire le niveau de contribution patronale, le niveau des garanties,…, ou même le maintien d’une condition d’ancienneté d’au plus 6 mois dont l’Acoss a considéré, à tort, qu’elle est incompatible avec la généralisation de la couverture santé) ne pourrait justifier un redressement Urssaf, mais pourrait uniquement être revendiqué par un salarié dans le cadre d’un litige prud’homal. Voilà qui, assurément, n’empêchera pas de conserver un souvenir amer de cette nouvelle réforme de la protection sociale complémentaire…

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