Depuis sa restructuration en 2019, le géant pharmaceutique français Sanofi souhaite recentrer son activité. Cela passe, pour le groupe, par la séparation d’une centaine de marques de médicaments sans ordonnance. Retour sur les dates clés de ce feuilleton industriel.

9 décembre 2019, un nouveau shérif arrive en ville. À la suite de sa nomination le 2 septembre, le nouveau PDG de Sanofi, Paul Hudson annonce un grand plan de transformation de l’entreprise "pour financer la croissance et renforcer la marge opérationnelle des activités". L’accent est mis sur l’innovation et sur la création de nouveaux médicaments et vaccins. La société compte sur 9 d’entre eux pour lui garantir des rentrées d’argent suffisantes et continuer l’investissement dans ce type de produits.

24 février 2020, premières restructurations. Sanofi annonce la séparation de sa filiale Euroapi, spécialisée dans la fabrication de principes actifs pharmaceutiques. Dans sa volonté de recentrer les activités de l’entreprise vers la conception de médicaments brevetés et beaucoup plus rentables, la scission est entérinée le 06 mai 2022 avec l’introduction en Bourse de la nouvelle entité. L’État participe à hauteur de 12% par le biais de Bpifrance.

5 mai 2022, signes avant-coureurs du divorce. La direction de Sanofi annonce la création d’un siège social pour accueillir la holding Opella Healthcare qui détient toutes les activités "médicaments et produits de santé grand public". Il s’agit de tous les principes actifs regroupés sous l’appellation "VMS : vitamines, minéraux, suppléments alimentaires". Ces produits, qui peuvent être vendus sans ordonnance, comptent parmi eux les plus grands bestsellers de l’industrie pharmaceutique française. En tout, plus d’une centaine de marques sont concernées. On y compte le célèbre Doliprane, l'antalgique/antipyrétique le plus vendu en France. Mais également le Lysopaïne contre les maux de gorge, le Dulcolax, un laxatif, ou encore Novanuit, pour le sommeil.

Six mois plus tard, le 27 octobre 2023, Sanofi annonce la mise en vente de sa filiale de médicaments grand public. Plusieurs repreneurs sont sur le coup et un appel d’offre est lancé, les négociations doivent durer au minimum une année pour définir l’avenir d’Opella. L’objectif est alors de fonder une société "cotée en Bourse dont le siège sera en France".  Au troisième trimestre 2023, l’activité santé représente 1,245 milliard d’euros, soit un peu plus de 10 % du chiffre d’affaires.

Au début du mois de juin 2024, les premiers chiffres font état d’une valorisation à hauteur de 20 milliards de dollars, soit environ 18 milliards d’euros. Les offres affluent de toutes les parties du globe : France, États-Unis, Allemagne, Inde… Alors que l’année 2023 se termine avec un chiffre d’affaires de 5,2 milliards d’euros pour Opella.

Septembre 2024, dernière ligne droite. PAI Partners et Clayton Dubilier & Rice, derniers candidats au rachat d'Opella, sont reçus par Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée. Il les auditionne pour connaître la composition du conseil d’administration. Le fonds d’investissement américain Advent, qui avait participé au rachat de Zentiva, la branche générique de Sanofi en 2018, se retire de la course.

Jeudi 10 octobre, le conseil d’administration vote pour le repreneur américain CD&R. Dans un premier temps, le ministre de l’Industrie Marc Ferracci approuve à contrecœur cette nouvelle. Il l’accepte en posant de fortes exigences et grâce aux garanties affichées par l’acheteur. Le groupe ne doit pas toucher aux intérêts français. Bpifrance doit également participer au tour de table qui suivra.

Vendredi 11 octobre, le deal final se profile mais l’orage gronde. Celui-ci indique une vente à hauteur de 15 milliards d’euros et une conservation de 50% du capital pour Sanofi au préalable. Immédiatement, des députés de tous bords se prononcent contre cette vente. Ils dénoncent une perte de la souveraineté française dans le domaine de la santé 4 ans après le début de la crise du Covid-19. Le dossier concernant les récentes pénuries du fameux Doliprane a aussitôt été remis sur le devant de la scène.

14 octobre 2024 : branle-bas de combat. Les ministres de l'Économie et de l’Industrie, Antoine Armand et Marc Ferracci, se sont rendus à Lisieux (Calvados) sur le site de l’usine qui fabrique le Doliprane. Ils déclarent que le gouvernement travaille pour répondre aux craintes concernant l’emploi local. Ils annoncent également réfléchir à des sanctions contre le repreneur en cas de manquement, notamment en matière de maintien de l’emploi. Du côté de l’opposition, l’idée d’un blocage de la vente par décret commence à se frayer un chemin dans l’esprit des députés.

Mercredi 16 octobre 2024, un mouvement de grève est lancé par les syndicats à compter du lendemain. Il touche les usines de Lisieux (Calvados), Compiègne (Oise) et Mourenx (Pyrénées-Atlantiques). Les employés s’inquiètent des conditions de conservation de leurs emplois sur le territoire national. Ils demandent une annulation de la vente et un maintien du groupe par Sanofi.

Jeudi 17 octobre 2024, le consortium mené par le fonds français PAI Partners revient à la charge avec une nouvelle offre 200 millions d’euros plus élevée que la précédente. Ils avancent également des garanties plus solides sur l’évolution de la marque et sur le maintien de son activité sur le sol français. Le soir même, Sanofi balaie cette nouvelle offre en déclarant que les candidats à l’appel d’offre disposaient d’une année pour proposer cette surenchère et qu’il était trop tard pour se repositionner.

Samedi 19 octobre : le couperet tombe. Malgré cette nouvelle offre, Sanofi affirme continuer les négociations exclusives avec CD&R. Audrey Duval, présidente de Sanofi pour la France annonce que Sanofi finalise la vente de sa filiale.

Dimanche 20 octobre, des garanties à la clé. Sur X (ex-twitter), Antoine Armand, ministre de l’Économie, déclare que des garanties ont été obtenues et que Bpifrance participera à l’actionnariat. La banque publique d’investissement, qui cherche à augmenter son investissement dans le secteur de la santé, est déjà actionnaire de Seqens. Une société d’origine française détenue par un fonds d’investissement américain, productrice de matières premières pharmaceutiques, qui cherche à relocaliser sa production de paracétamol (le principe actif utilisé dans le Doliprane) en France.

Lundi 21 octobre 2024, l’État annonce que Bpifrance sera actionnaire à hauteur de 1 ou 2 %, soit environ 150 millions d’euros sur les 50 % qui doivent rester dans le giron de Sanofi. Selon Antoine Armand, le siège social ainsi que la production doivent rester en France. Des sanctions inédites, qui peuvent monter jusqu’à 100 millions d’euros, seront appliquées si les exigences françaises ne sont pas respectées.

Lucas Simonnet