Pour le président de Latour Capital, croissance et fiscalité sont «indissociables».

Décideurs. Comment êtes-vous arrivé au capital-investissement ?
Alain Madelin. Il y a deux ans, nous avons créé Latour Capital avec Philippe Leoni, Cédric Bannel, qui sont des associés remarquables et expérimentés, avec un fort ADN entrepreneurial.
Nous visons moins les effets de levier financiers que la création de valeur. Pour cela, nous assurons un véritable partenariat de développement avec les équipes dirigeantes des entreprises. Nous créons de la valeur pour les entreprises et donc aussi, bien sûr, pour nos investisseurs. Nous revenons ainsi aux sources du private equity.

Décideurs. Pourquoi avoir choisi ce secteur ?
A.?M. Les responsabilités que j’ai pu exercer par le passé me donnent une vision assez large de l’industrie, de l’artisanat, des secteurs des NTIC ou encore de l’énergie. Dans ce cadre, j’ai côtoyé suffisamment de chefs d’entreprise pour en partager la vie et les préoccupations et pour avoir envie de me frotter aux développements de l’entreprise. Il n’y a de ce point de vue, à mon sens, rien de plus passionnant que le private equity, qui vous confronte à un grand nombre d’histoires d’entrepreneurs et d’entreprises.

Décideurs. Sur quel type d’entreprises êtes-vous positionnés ?
A.?M. De manière générale, nous n’investissons que dans les sociétés où, avec mes associés, nous pensons pouvoir apporter une valeur ajoutée à son développement et dans laquelle, bien sûr, l’équipe dirigeante nous inspire une totale confiance. Nous disposons d’une appétence particulière pour les belles filiales délaissées des grands groupes et pour les belles sociétés du Web. De fait, nous sommes investis assez fortement dans les secteurs de l’énergie et de la sécurité au sens large. Latour Capital a bouclé sa levée de fonds à 115?millions d’euros. Nous étions d’ailleurs très largement sursouscrits. Nous visons des participations majoritaires sur des entreprises valorisées à 50?millions d’euros au plus.

Décideurs. Quel regard portez-vous sur les actions de la Banque publique d’investissement (BPI) ?
A.?M. Fondamentalement, je souhaiterais que notre pays puisse se passer d’une telle institution. Quand j’entends un ministre dire être fier de voir la BPI faire une concurrence déloyale vis-à-vis des banques, on ne peut que s’interroger. Cela étant, les dirigeants successifs de la BPI ont réussi à professionnaliser leurs activités et à échapper au rôle d’ambulance d’État que certains auraient voulu lui faire jouer. Au-delà de la question du rôle de la BPI, le problème est que nous n’avons pas assez de capital-investissement en France. Avant même d’imaginer le développement de l’intervention publique, n’aurait-on pas dû se demander comment améliorer les mécanismes de marché pour faire en sorte de combler ce manque ? Le capital-investissement a besoin d’investisseurs institutionnels à long terme. À défaut des fonds de pension, ce sont les assureurs qui doivent être les principaux apporteurs de capitaux. Hélas, les dispositions prises dans le cadre de Solvency II ont freiné cette dynamique.

Décideurs. Comment pourrait-on faire pour valoriser l’image du capital-investissement ?
A.?M. Votre interrogation soulève plus généralement la question du rôle du capital dans notre société. Sur ce point il faut souligner que la droite a eu la très mauvaise idée de ressusciter une imbécillité économique résumée par un slogan : «?Le revenu du capital doit être taxé comme celui du travail?». Malheureusement, Il n’y a pas eu de sursaut pour expliquer le rôle du capital et contrer ces idées reçues. Le capital a un rôle essentiel en économie car c’est lui qui fait le niveau de revenu du travail. C’est le niveau du capital dans une entreprise qui fait la productivité, elle-même génératrice de bons salaires. C’est aussi le niveau de capital d’un pays qui établit également le niveau de salaire moyen. Mon coiffeur de Paris a la même productivité que mon coiffeur à Dakar. Et pourtant, mon coiffeur parisien gagne beaucoup plus, car sa rémunération est le reflet de la productivité moyenne française qui est elle-même dépendante du stock de capital. Pour appuyer ma thèse, je reprendrais les propos de George Kaldor, un économiste brillant, positionné à gauche sur l’échiquier politique et qui a conseillé un grand nombre de gouvernements travaillistes dans le monde. Ce dernier soulignait que, du point de vue du salarié, la meilleure fiscalité sur le capital était «?zéro?» puisque cela permet de maximiser alors le revenu du travail. Quant aux vertus spécifiques du capital-investissement, le soutien de l’innovation, de l’emploi, l’ouverture, la croissance et la création d’ETI, elles mériteraient sûrement d’être encore mieux connues des décideurs politiques.

Décideurs. Les dispositions prises par le gouvernement à la suite de l’affaire Alstom vous paraissent-elles justifiées ?
A.?M. Comme bien d’autres pays, la France possède un dispositif d’autorisation de certains investissements étrangers. Mais encore faut-il pour cela que la liste des investissements en question soit strictement limitée à ce qui peut être considéré pour l’État comme régalien et stratégique. Dans le cas d’Alstom, il est regrettable que cette grande entreprise ait été instrumentalisée pour mettre en scène un flamboyant retour de l’État. Lionel Jospin disait avec sagesse que l’État ne peut pas tout. Ce retour de l’État aujourd’hui orchestré par le gouvernement et hélas hier prôné par l’ancienne majorité constitue à mes yeux une régression intellectuelle. Notre pays a besoin que l’État laisse faire davantage les acteurs économiques. L’État a déjà beaucoup à faire pour mieux gérer ses propres affaires.

Décideurs. Croyez-vous à une reprise économique rapide ?
A.?M. En tant qu’investisseur, j’ai la conviction que nous sommes dans une crise européenne durable sur une toile de fond déflationniste localisée. L’absence de vraie réforme structurelle ne permettra pas une sortie rapide. La question de la reprise économique est indissociable de la question fiscale. La croissance, c’est le mélange intelligent du travail et du capital. Or, nous surtaxons le capital productif. Nous surtaxons aussi nos talents. Ce qui compte pour les talents qui fabriquent la croissance et l’emploi, c’est le prélèvement marginal, c’est-à-dire le total de la fiscalité marginale sur le revenu et des prélèvements sociaux qui, dans notre pays, sont très largement déplafonnés (tandis qu’en Allemagne, ils sont plafonnés autour de 50 000?euros). Cela change tout ! Quand en 2014 une personne a la perspective de gagner 20 000?euros de plus que l’année précédente, elle sera d’autant plus encline à travailler davantage si, au final, il lui reste 12 000?euros plutôt que s'il ne lui en restait que 5 000?euros. De fait, les prélèvements marginaux sur les hauts revenus atteignent et parfois dépassent les 75?% ! Les professionnels du capital-investissement dont le métier est d’apporter des capitaux et de stimuler les talents sont bien placés pour mesurer le rôle décourageant de cette surfiscalité. D’autant que l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail interdit des solutions d’optimisation.

Décideurs. La fiscalité est donc le principal levier du gouvernement ?
A.?M. La France est le pays qui taxe le plus les prises de risque et les talents. Avec l’ouverture à la concurrence et le droit du travail, l’action sur la fiscalité est le principal levier pour une vraie politique de croissance. D’autant que – c’est ce que montre la courbe de Laffer – la hausse de la pression fiscale tend à réduire les recettes de l’État. Je reste persuadé qu’une baisse bien ciblée de la pression fiscale augmenterait nos recettes. La France a besoin d’une fiscalité du capital et du travail normale, c’est-à-dire pour le moins dans la norme de la moyenne européenne.
 

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