Avocate au barreau de Paris, docteur en droit, enseignante et auteur de plusieurs livres dont un sur le Conseil d’Etat, Laure-Alice Bouvier suivie également par quelques dizaines de milliers de followers sur les réseaux sociaux, nous apporte son éclairage sur le marché des NFT.

Décideurs. Les NFT font l’actualité, pourriez-vous nous rappeler de quoi il s’agit ?

Laure-Alice Bouvier. Il est difficile de donner une définition précise tant on associe les NFT à l’art ou à du crypto art. En réalité, il s’agit de n’importe quel fichier numérique. Il peut aussi bien s’agir d’un livre, d’une musique que d’un film. Initialement, les NFT signifie en anglais non-fungible token, en français, des jetons non fongibles. Ils définissent donc des objets uniques, inestimables et, par conséquent, incessibles sur un marché d’actifs. Toutefois, la définition peut évoluer puisqu’on peut les acheter et les vendre malgré tout.

Quel est le rôle de la blockchain par rapport aux NFT ?

Les NFT sont rattachés et identifiés par une blockchain. Concrètement, un token est un jeton, un actif immatériel numérique qui est enregistré sur une blockchain. Celle-ci permet de retracer l’historique d’une transaction numérique en toute sécurité. L’acquéreur obtient ainsi un bien immatériel rare, unique, avec un certificat d’authenticité et de propriété. L’une des caractéristiques de la blockchain permet d’échanger les fichiers de manière sûre, sécurisée, en toute transparence tout en assurant l’authenticité du NFT. Cela permet de rassurer les investisseurs.

Comment expliquez-vous cet engouement pour les NFT ?

Les NFT sont devenus très populaires, et pourtant, ils ne sont pas encore vraiment accessibles au grand public. C’est certainement ce côté "buzz" qui a su séduire le plus grand nombre. Il faut aussi préciser que les NFT rassurent davantage que les cryptomonnaies, car ils sont moins volatiles.

Pourriez-vous citer des exemples concrets de NFT qui ont suscité un réel profit ?

En mars 2021, Christie's a vendu l'œuvre "Everydays" de l'artiste numérique américain Beeple pour un montant record de 69,3 millions de dollars. Il s'agit de l'œuvre numérique la plus chère vendue à ce jour, et la première à sensibiliser le public aux NFT. Citons également "Quantum", de l'artiste new-yorkais Kevin McCoy, une animation en forme d'octogone, devenue, en mai 2014, la première œuvre à se voir associer un certificat de propriété de type NFT, un terme qui n'a été inventé qu'en 2017. Il y a aussi la collection "Bored Ape Yacht Club", BAYC du groupe Yuga labs avec ces fameux tableaux de singes aux caractéristiques uniques et spécifiques, qui est sans aucun doute la plus rentable de l’espace NFT. Elle a attiré l’attention du grand public et généré plus de 2 milliards de dollars de volume de transactions.  Mais ce qui intéresse davantage les investisseurs, ce n’est pas seulement l’achat d’une œuvre numérique ; mais d’ouvrir des portes, et notamment l’accès à des conférences privées, à des clubs ou des avantages exclusivement réservés aux propriétaires de ces œuvres.

Comment expliquez-vous la complexité pour les NFT de trouver une qualification juridique adéquate ?

C’est effectivement très compliqué de trouver une qualification juridique, car nous sommes en dehors de tout cadre juridique. Toutefois, la loi Pacte est la seule à donner une définition légale et explicite des cryptomonnaies. Or les NFT ne sont pas des "cryptomonnaies". Nous sommes donc contraints de faire du "bricolage" et de piocher tantôt quelques règles dans le code général des impôts, tantôt dans celui de la propriété intellectuelle. Aucune loi, aucune régulation ne prévoit la question des NFT. A ce jour, nous n’avons toujours pas de qualification juridique précise. La question se pose réellement : les NFT sont-ils des actifs numériques ? Des œuvres d’art ? Un bien meuble incorporel ? Ce flou juridique peut freiner les investisseurs. Les NFT gagneraient en crédibilité et en force s’ils étaient vraiment définis par le législateur.

Les NFT semblent par ailleurs très bien protégés par la blockchain. Peut-on imaginer d’en voler ?

Les NFT n’échappent pas aux vols. Je rappellerai notamment l’affaire impliquant la plateforme Nifty Gateway où plusieurs utilisateurs ont été victimes d'un piratage. Des NFT d’une valeur de plusieurs milliers de dollars ont été volés. Certains usagers de la plateforme ont signalé que leurs identifiants et cartes de crédit avaient été détournés pour voler et acheter des NFT à leur insu. Plusieurs victimes de ce hack se sont rendues sur Twitter pour signaler la fraude auprès de Nifty Gateway. Concrètement, la Blockchain est surtout conçue pour éviter la contrefaçon des NFT, assurer l’authenticité mais pas le vol. Les marketplaces mais aussi les utilisateurs doivent redoubler de vigilance. Raison pour laquelle la double authentification, 2FA, pour éviter tout vol et renforcer la sécurité est préconisée.

Un dernier mot sur le métavers ?

Il ne faut pas considérer séparément les NFT et le métavers. Le métavers correspond à un monde parallèle au nôtre. Il aura forcément des répercussions dans les années à venir. Mais, c’est encore un peu trop nouveau. Dans le métavers, on peut d’ores et déjà utiliser les NFT dans les galeries d’art. Par exemple, récemment Nike a sorti des baskets numériques que l’on peut porter dans le métavers. Ou encore, Yuga Labs, a annoncé une nouvelle levée de fonds d’un montant de 450 millions de dollars pour exploiter et développer le métavers centré autour du Bored Ape Yacht club et des autres collections de NFT.

On a tendance à présenter le métavers comme une dystopie. Si le métavers est un moyen de favoriser la participation des citoyens à la vie démocratique, les régimes autoritaires pourraient aussi l'instrumentaliser à des fins de manipulation politique. Ainsi un régime totalitaire pourrait diffuser la peur avec une simulation de bombe nucléaire à travers le métavers. Sans compter les panels pédagogiques qui n’ont pas encore été exploités. Ceux qui porteront un casque pendant des heures, devront sans doute attendre un certain temps avant de se remettre de cette expérience immersive.  La séparation est si ténue entre la réalité et le virtuel qu’il sera nécessaire de mettre en place un accompagnement sur les usages du métavers. Au-delà du cadre juridique, il faut réfléchir à la proposition d’un encadrement pédagogique dans ces environnements virtuels.

Tout dépend de l'usage qui en sera fait. Cela peut être un outil formidable et incroyable par le biais de la formation, voire en faveur de l'écologie en limitant les émissions de CO2 et en évitant les déplacements à forte empreinte carbone, par le biais de réunions prévues dans le métavers. Enfin, l'enseignement prendra une tout autre ampleur notamment à travers des mises en situation virtuelles.

Propos recueillis par Laura Guetta

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