Au lendemain des législatives, nous avons eu plusieurs sollicitations quant à un potentiel départ à l’étranger
DÉCIDEURS. De quelle façon l’instabilité politique des derniers mois a-t-elle affecté les deals fiscaux ?
Arnaud Viard. En présence d’entreprises comportant beaucoup de salariés et donc une charge salariale élevée, les investisseurs font preuve de prudence. Au contraire, les deals portant sur des entreprises à rendement élevé et disposant de peu de personnel s’accélèrent avant la mise en place d’une potentielle nouvelle législation fiscale moins favorable.
Quelles sont les premières réactions de votre clientèle à la suite des élections législatives ?
Pauline Corouge. Compte tenu du climat tendu et du résultat des élections législatives, nous avons immédiatement remarqué une tendance chez nos clients à se renseigner sur les modalités d’expatriation à l’étranger. Certains jeunes retraités avaient déjà entamé cette dé- marche et l’instabilité gouvernementale a accéléré ce processus. S’agissant des nouvelles demandes qui nous sont formulées, il est important de leur préciser que ces projets prennent du temps et les avertir des éventuelles incidences fiscales. Bien que certains envisagent sérieusement le départ, beaucoup font marche arrière lorsqu’ils réalisent ce que cela implique. La difficulté d’un départ s’accroît notamment en présence d’un patrimoine immobilier. Pour la résidence principale, nos clients y sont souvent attachés sentimentalement et envisagent difficilement de la vendre ou de la louer, avec les risques que cela engendre au regard des critères de résidence fiscale.
A. V. En matière d’appréciation de la résidence fiscale, le fait pour les chefs d’entreprise de conserver le centre de leurs intérêts économiques en France crée une réelle difficulté notamment lorsqu’ils s’expatrient sans cellule familiale. Le départ à l’étranger entraîne également des questionnements d’une autre nature, notamment en termes de gestion et de direction de l’entreprise.
"Il faut rester à l’affût du projet de loi de Finances pour 2025" Arnaud Viard
Comment vous adaptez-vous à cette situation ? Que proposez-vous à vos clients ?
A. V. Nous restons à l’affût des changements gouvernementaux, comme l’augmentation ou la suppression du PFU ou la réinstauration de l’ISF. Nous n’avons pas de certitudes sur les prochains mois, mais nous essayons de guider nos clients au mieux. La loi de Finances peut être rétroactive, dans une certaine mesure, et une augmentation significative des impôts sur les revenus 2024 ne peut être exclue. Pour les successions, nous recommandons de procéder à des donations maintenant, avant la prochaine loi de finances, afin d’éviter les potentiels changements fiscaux. Aussi, il vaut mieux profiter du pacte Dutreil aujourd’hui que de risquer de voir l’abattement supprimé dans le futur.
Pensez-vous que la loi de finances pour 2025 pourra être votée dans les temps impartis ?
P. C. Les semaines passent et aucun nouveau gouvernement ne semble se dessiner pour le moment, celui-ci devrait pourtant, en principe, présenter le projet de loi de finances pour 2025 début octobre. Il y a de grandes incertitudes sur la possibilité de maintenir l’agenda et le risque de non-adoption de la loi de finances par le Parlement d’ici fin décembre 2024 compte tenu de l’absence de majorité.
A. V. Si la loi de finances pour 2025 n’était pas adoptée avant la fin du mois de décembre, les dispositions budgétaires et fiscales de la loi de finances pour 2024 seraient en principe reconduites de manière provisoire. Aucune nouvelle mesure fiscale ne pourrait donc être appliquée, cela risquerait de paralyser pour quelques mois certaines opérations capitalistiques ou des arbitrages patrimoniaux tant pour les entreprises que pour les particuliers.
Comment voyez-vous les prochains mois ? Une nouvelle tendance se dessine-t-elle ?
P. C. Une nouvelle tendance se dessine. Après un moratoire post-Covid sur les contrôles de l’administration, nous observons une reprise intense de ces procédures, tant auprès des entreprises que des particuliers. Cela répond à un besoin budgétaire et à des objectifs politiques. Les contrôles ciblés sur les managements packages sont en forte augmentation, et toutes les opérations réalisées antérieurement à 2021 pourront se voir remises en cause. Quelles seraient vos préconisations, face à ce constat, auprès de vos clients ?
P. C. Rappelons que les dirigeants salariés qui se seraient vus attribuer ou qui auraient cédé des titres porteurs d'un intéressement dans des conditions préférentielles octroyées eu égard à leur qualité de salarié ou de mandataire social peuvent prendre contact spontanément avec l'administration fiscale pour mettre en conformité leur situation en se rapprochant de la Direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF). Pour autant, à notre connaissance, peu de volontaires se sont manifestés et ceci même après les arrêts de juillet 2021.
"Après un moratoire post-Covid sur les contrôles de l’administration, nous observons une reprise intense de ces procédures, tant auprès des entreprises que des particuliers" Pauline Corouge
A. V. Fort de cette récente jurisprudence, il ressort clairement de nos récents échanges avec la DNVSF que leur objectif est de sanctionner systématiquement l’ensemble des opérations significatives d’intéressement des managers qu’ils pourront contrôler. Bien entendu, la brigade ne pourra pas contrôler toutes les opérations de LBO passées… Il s’agit donc d’une loterie délétère qui va mécaniquement inciter les personnes concernées à faire un choix entre régularisation spontanée et imposition certaine ou contrôle fiscal et imposition potentielle mais avec pénalités plus lourdes.
Quels sont les messages clés à retenir dans ce contexte ?
P. C. et A. V. Nous retiendrions trois messages clés. En premier lieu, il est crucial que tout l’écosystème financier reste vigilant face aux risques d’aggravation fiscale. Deuxièmement, le projet de loi de Finances pour 2025 risque d’être déterminant, et nous devrons ajuster nos stratégies en conséquence. Enfin, nous devons nous attendre à une recrudescence des contrôles de l’administration fiscale, notamment concernant les managements packages. La tendance est déjà bien engagée et la possibilité d’opérer des régularisations spontanées reprend du sens.