Bercy renforce le contrôle des IEF
Le contrôle des investissements étrangers est employé comme un instrument essentiel de la souveraineté économique. Afin d’assurer la prévisibilité et la sécurité juridique aux investisseurs, celui-ci repose sur une réglementation explicite et transparente avec une liste des secteurs et des opérations soumis au contrôle, identifiés et donnant une définition objective de la notion d’investisseur étranger.
Bien anticiper ces opérations
Si ces opérations contribuent au dynamisme du marché du M&A en France, elles ne doivent pourtant pas porter atteinte aux intérêts économiques fondamentaux de défense, de sécurité et d’ordre public. Sans oublier le contrôle de Bercy concernant les champions français qui intéressent les investisseurs étrangers. Pour cela, un mécanisme de déclaration préalable des investissements étrangers avec droit d’ajournement du ministre chargé de l’économie est mis en place. Victor Tissandier, adjoint au chef du bureau du contrôle des investissements étrangers en France est ainsi revenu sur l’importance de l’anticipation durant la période d’audit pour ce genre d’opération. "La raison de l’existence de ce régime est la protection de notre souveraineté nationale. Le tout est de trouver un équilibre avec la liberté des investisseurs étrangers", confie-t-il. Trois critères sont donc aujourd’hui retenus : il doit s’agir d’un investissement étranger; dans le cas d’une opération d’acquisition européenne d’une société cotée, il doit en outre préciser que celle-ci a 10 % du droit de vote (et non plus 25 %) et indiquer la nature de l’investissement.
Un champ de contrôle renforcé...
Les dernières évolutions réglementaires en vigueur au 1er janvier 2024 permettent d’étendre le champ d’application du contrôle des IEF afin de protéger les entreprises clefs pour la sécurité nationale. Dans un contexte de concurrence accrue, le but est aussi de préserver les intérêts technologiques et industriels nationaux. Pour y parvenir, Bercy a confirmé la pérennisation du contrôle des franchissements de seuils dès 10 % des droits de vote par un investisseur extra-européen. Par ailleurs, les prises de contrôle de succursales d’entités de droit étranger exerçant une activité sensible feront désormais l’objet d’une nouvelle vérification, afin de se prémunir d’éventuelles stratégies de contournement.
Sur 309 demandes, 135 ont été autorisées par Bercy dont 60 sous conditions
... et étendu
Sont désormais couvertes par la réglementation des IEF et soumises à contrôle les activités d’extraction, de transformation et de recyclage de matières premières critiques, qui sont essentielles pour la protection de nos intérêts nationaux ; les activités de recherche et développement dans la photonique et dans les technologies de production d’énergie bas carbone, lorsqu’elles sont destinées à être mises en œuvre dans l’un des secteurs de la réglementation. Enfin, les activités essentielles à la sécurité des établissements pénitentiaires sont également prises en compte. Pascal Bine, avocat associé et expert du contrôle des investissements étrangers chez Skadden commente : "Cette évolution traduit la montée en puissance des enjeux de sécurité économique: la protection des actifs stratégiques, des infrastructures critiques, des technologies clés et des données sensibles, ainsi que la préservation des approvisionnements essentiels et de l’accès aux ressources vitales. La guerre en Ukraine confirme ce que la crise sanitaire liée à la pandémie de covid avait déjà mis en évidence, à savoir le caractère stratégique des questions de sécurité et de souveraineté économiques."
Frein aux opérations cross-border ?
Cette évolution réglementaire contribue à la protection des intérêts nationaux. Le renforcement du contrôle des investissements étrangers rend les opérations de M&A internationales plus complexes. Ainsi, 309 demandes ont été adressées l’an dernier dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France. En tout, seules 135 opérations ont été autorisées dont 60 sous conditions, selon le rapport annuel d’activité relatif au contrôle des IEF de la direction générale du Trésor. "Bercy peut par exemple exiger qu’une technologie ou un brevet reste exploité en France", illustre Nicolas de Witt, avocat associé au sein de Taylor Wessing. Pascal Bine observe que "la structuration de certaines opérations peut être plus délicate et les négociations de certaines clauses des contrats d’acquisition plus difficiles. Nous assistons également, dans certains cas, à un allongement des délais de réalisation." Pourtant, cela ne devrait pas remettre en cause l’attractivité de certains marchés pour les investisseurs, notamment américains ou encore la consolidation dans certains secteurs, comme en témoigne le feuilleton Sanofi qui a annoncé dernièrement être entré en négociations exclusives avec CD&R, un fonds d’investissement américain, pour céder sa filiale de produits pharmaceutiques grand public en vente libre.
Laura Guetta Dray