Cabinet d’affaires de premier plan, Cleach avocats est reconnu pour son expertise et son ouverture à l’international. L’équipe accompagne ses clients dans des opérations transfrontalières complexes. Cyrille Decavèle et Jean-Christophe Cleach, tous deux associés du département M&A, partagent leur analyse des grandes tendances du secteur pour 2024, notamment avec l’essor des assurances garanties d’actif et de passif (GAP), ainsi que l’impact naissant de l’intelligence artificielle dans les transactions.

DÉCIDEURS. Pouvez-vous dresser un état des lieux général du marché des fusions-acquisitions (M&A) en 2024?

Jean-Christophe Cleach. Actuellement, le marché des fusions-acquisitions favorise nettement les acquéreurs qui se montrent particulièrement actifs. Les fonds d’investissement, quant à eux, sont un peu plus prudents pour établir leurs prix. Enfin, les acteurs clés de cette année restent incontestablement les banques d’affaires, dont le rôle d’intermédiation s’avère plus pertinent et nécessaire que jamais. Les industriels, en revanche, se démarquent par leur liquidité. Ils disposent d’une marge de manœuvre intéressante pour les acquisitions, contrairement aux fonds d’investissement, qui adoptent une approche plus prudente.

Cyrille Decavèle. Je partage cette analyse. Le marché montre une nette orientation en faveur des acheteurs. Par ailleurs, l’endettement élevé des cibles, notamment du fait de la difficulté à rembourser les PGE, entraîne une augmentation de l’écart entre la valeur d’entreprise et la valeur des titres, ce qui est de nature à tendre les discussions. En revanche, la baisse récente des taux d’intérêt, désormais en général inférieurs à 4 %, apporte une fluidité supplémentaire aux transactions. Bien entendu, cette diminution a également une incidence sur les taux des obligations convertibles et des actions de préférence.

Quelles tendances majeures observez-vous sur le marché ?

C. D. Une tendance marquante tient à un recours plus important aux assurances garanties d’actif et de passif (GAP) maintenant bien connues par l’ensemble des acteurs du marché – qu’il s’agisse des banquiers d’affaires, des fonds d’investissement, ou encore, des avocats. Cette solution facilite et fluidifie les transactions tendues, notamment pour les raisons évoquées ci-dessus. À titre d’exemple, sur une opération de type small-cap, l’utilisation d’assurances GAP a permis de conclure une acquisition impliquant un investisseur étranger.

"L’un des acteurs majeurs de cette année est indéniablement constitu par les banques d’affaires" Jean-Christophe Cleach

J.-C. C. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI), en particulier industrielles, se montrent également très actives. Cependant, elles sont confrontées à des défis croissants liés aux nouvelles normes environnementales et à la pollution. Une collaboration avec l’administration serait souhaitable pour instaurer un plan de transition et permettre à ces entreprises de se conformer progressivement aux exigences réglementaires, tout en préservant la fluidité du marché.

Que dire de l’incertitude actuelle autour de la fiscalité et de ses conséquences ?

J.-C. C. L’incertitude entourant la fiscalité prévue pour 2025 pousse de nombreux vendeurs à accélérer leurs transactions, dans une logique d’anticipation. Ne sachant pas "à quelle sauce ils seront mangés", ils préfèrent conclure leurs opérations rapidement. Cela confère un avantage aux acheteurs, qui bénéficient d’un rapport de force favorable.

"Le marché s’oriente davantage en faveur des acquéreurs" Cyrille Decavele

Nous observons également une multiplication des interrogations parmi nos clients. Vendre la holding ou non ? Externaliser une partie du prix de vente ? À court terme, ces questionnements traduisent une opportunité stratégique pour les acquéreurs.

Quel est l’impact de l’intelligence artificielle sur les opérations de M&A?

J.-C. C. À ce jour, l’intelligence artificielle n’a pas eu d’impact significatif sur les transactions de M&A. Toutefois, son influence pourrait croître, notamment dans des domaines tels que la rédaction de documents préliminaires. Néanmoins, les relations en la matière demeurent avant tout marquées par leur caractère intuitu personae, ce qui limitera l’automatisation dans les prochaines années. À court terme, l’IA sera davantage perçue comme un outil d’assistance aux avocats plutôt qu’un substitut à leurs expertises.

C. D. Sur le plan technique, les avancées sont indéniables. L’IA permet aujourd’hui de classer, d’analyser et de produire des rapports préliminaires, notamment à partir de data rooms. Ce gain de temps libère les avocats pour des tâches à plus forte valeur ajoutée, comme la négociation ou la construction de la relation client. À terme, cette évolution pourrait transformer le secteur.

J.-C. C. Cela dit, l’expérience humaine reste indispensable. Quelle que soit la qualité du travail réalisé par l’IA, une relecture et des ajustements seront toujours nécessaires. Il faut également garder à l’esprit ses limites. Une mauvaise configuration des paramètres ou une question mal formulée peuvent conduire à des oublis ou des erreurs d’analyses.

Quelles perspectives envisagez-vous pour 2025? 

J.-C. C. Je prévois un marché des M&A globalement stable en début d’année 2025, notamment grâce à une fiscalité probablement figée à court terme. Cependant, l’évolution au second semestre dépendra de la stabilité gouvernementale. La perspective d’un changement de gouvernement en 2026 reste un facteur d’incertitude majeur, rendant toute projection délicate.

Propos recueillis par Laura Guetta Dray