Eric Kopelman, Antoine Denis-Bertin et Patrice Montchaud, tous trois associés au sein du département M&A de Simon Associés, reviennent sur l’actualité des opérations de fusions-acquisitions bouleversées en 2024.

DÉCIDEURS. Quel regard portez-vous sur l’actualité des fusions-acquisitions ces derniers mois ?

Eric Kopelman. L’année 2024 se caractérise par un rebond timide à la suite d’une année 2023 au cours de laquelle les incertitudes géopolitiques et économiques ont freiné le rythme des opérations. En parallèle, la hausse des taux d’intérêt avait également grippé le financement des deals. Les facteurs internationaux tendent le marché de façon générale. Pourtant, nous avons tout de même assisté à de belles opérations, notamment celles à l’initiative de corporate qui ont les moyens de s’imposer sur un marché où les fonds de private equity ont réduit la voilure et se sont surtout concentrés sur les build-up de leurs participations. C’est ce que nous avons beaucoup vu cette année.

Antoine Denis-Bertin. Nous constatons aussi que certains secteurs restent très dynamiques. L’asset management, les conseils en gestion de patrimoine et les multi-family-offices, en particulier. Le mouvement de concentration qui s’opère dans le secteur a nourri de belles opérations avec le rapprochement de grands acteurs. Les sociétés de data marketing ont aussi le vent en poupe avec des changements de modèles économiques de certains grands groupes qui viennent sur ce secteur avec la fin annoncée par Google des cookies (sur laquelle le moteur de recherche est revenu partiellement depuis, d’ailleurs). Elles font l’objet d’acquisitions intéressantes de la part de protagonistes qui cherchent à nourrir leur collecte de données, et ce, dans tous les secteurs.

 

Le contexte de marché a-t-il eu des effets sur les pactes d’actionnaires ?

E. K. Nous n’avons pas noté d’impact particulier sur les pactes mais j’ai en tête un groupe qui présentait néanmoins de belles opportunités de cession, néanmoins avec le retournement du marché, la baisse des prix et l’arrivée à maturité des mécanismes de liquidité, le dossier s’est transformé par un rachat global des activités par les fondateurs. Les mécanismes prévus dans le pacte ont, de fait, dû faire l’objet de renégociations.

 

"Elles font l’objet d’acquisitions intéressantes de la part de protagonistes qui cherchent à nourrir leur collecte de données, et ce, dans tous les secteurs" : Antoine Denis-Bertin

 

Dans ce contexte, les critères ESG réussissent-ils à se faire une place dans les opérations ?

E. K. Les critères ESG prennent de plus en plus d’importance dans les deals de nos clients. Ces critères deviennent même, dans certains cas, des conditions sine qua non pour la validation de paliers de management packages. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune opération M&A dans laquelle les critères ESG ne sont pas pris en compte, que ce soit en amont des opérations ou dans le cadre d’engagements post-transaction. Le sujet est bien entendu davantage primordial du côté acquéreur, que du côté vendeur.

A. D-B. Dans le cas de build-up de participation de fonds, l’ESG est un indicateur proposé systématiquement au vendeur. Nous rencontrons aussi ces critères à l’occasion de sujets de complément de prix. L’importance croissante des critères ESG se voit ainsi sur les opérations M&A mais également en private equity. Les fonds, investisseurs en LBO, sont proactifs et poussent à intégrer ces critères dans les conditions d’achat. C’est aussi un moyen pour ces acheteurs d’avoir la main sur les questions RH, d’inclusion, et également sur les choix de marchés. J’ai eu récemment le cas d’une opération d’un courtier en assurance, spécialisé en transport maritime, au cours de laquelle il a expressément été demandé que les management packages intègrent un désengagement de la cible dans le transport d’activités issues du secteur Oil & Gaz, car les prêteurs, banques et fonds, doivent réduire leur empreinte carbone afin de répondre aux obligations réglementaires. Ces ambitions de décarbonation qui peuvent aussi donner lieu à des stratégies d’ESG washing.

 

Quelles formes prend le green washing dans le cadre d’opérations M&A ?

A. D-B. Nous le voyons notamment, lorsque des auditeurs techniques externes sont mandatés par exemple pour attribuer un label "ESG" ou "green". Ce fut le cas pour l’un de nos clients à qui l’on a exigé un label social alors que toutes les informations avaient été fournies. Cette certification, onéreuse et non indispensable, avait été demandée par le fonds acquéreur afin de répondre aux exigences de ses souscripteurs.

E. K. À ce titre, nous avons assisté à l’arrivée d’un certain nombre d’acteurs qui interviennent sur des audits techniques spécialisés. Des cabinets indépendants, qui sont mandatés pour des raisons de compliance, souvent pour répondre aux exigences des fonds acquéreurs.

 

Au-delà des critères ESG, avez-vous constaté d’autres changements dans la pratique des opérations M&A ?

E. K. Nous assistons à une digitalisation croissante du cadre des opérations M&A. Les outils, notamment les plateformes collaboratives, deviennent incontournables dans les deals, c’est le cas par exemple de Closd, une plateforme de gestion de projets juridiques et de signatures électroniques, que nous utilisons quasiment tous aujourd’hui. Pourtant, il y a quelques années, j’avais encore beaucoup de mal à faire accepter l’utilisation de tels outils dans le cadre du M&A. Ces dispositifs permettent souvent une meilleure visibilité pour les confrères et les clients, notamment de l’avancée des travaux, en plus d’un gain de temps considérable grâce à leurs nombreuses fonctionnalités.

 

Comment expliquez-vous ce revirement de la part de la profession ?

E. K. Le phénomène est arrivé par capillarité à travers le private equity. Les investisseurs ont été les premiers à s’en saisir et ont introduit ces outils auprès de leurs avocats. En parallèle, ils sont de plus en plus fonctionnels, ce qui facilite leur acceptation de la part de tout l’écosystème, aussi bien les cabinets d’avocats, que les banques d’affaires et les actionnaires, en France comme à l’étranger.

 

"Notre objectif était de pouvoir appréhender des opérations plus importantes" : Patrice Montchaud

 

Que vous a apporté le renforcement du cabinet en M&A avec l’arrivée récente d’Eric Kopelman et de Pascale Heller ?

Patrice Montchaud. Notre objectif était de pouvoir appréhender des opérations plus importantes et, dans ce domaine, la taille des équipes compte. On ne mène pas les mêmes opérations avec une petite équipe qu’avec une équipe telle que la nôtre qui compte aujourd’hui sept associés en M&A. À titre d’exemple, nous accompagnons actuellement un groupe de près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires et la taille de notre équipe M&A a incontestablement joué dans son choix de nous confier ses dossiers.

"Elles font l’objet d’acquisitions intéressantes de la part de protagonistes qui cherchent à nourrir leur collecte de données, et ce, dans tous les secteurs" : Antoine Denis-Bertin

E. K. En parallèle, nos clients historiques se développent et nous nous devons de suivre leur dynamique et de grandir en même temps qu’eux. La stratégie de croissance d’un cabinet repose sur sa capacité à se développer humainement et techniquement simultanément avec ses clients. Nos recrutements permettent aussi d’apporter un éclairage sectoriel, car nous avons tous des spécialisations techniques spécifiques dans nos pratiques, qu’il s’agisse de l’agroalimentaire, de la santé, de la tech ou de l’industrie.

Propos recueillis par Céline Toni