Par Éric Métais, avocat associé. Altana
La mondialisation conduit certaines enseignes à s’implanter hors de l’Hexagone, notamment au Luxembourg. Les dispositions de droit luxembourgeois en matière de baux commerciaux sont à première vue très proches de celles de droit français mais laissent en réalité entrevoir de véritables différences.

Bien que sa superficie (2 586 km²) et son nombre d’habitants (environ 530 000) soient peu importants, le Grand-Duché du Luxembourg bénéficie d’une économie extrêmement dynamique qui en fait l’un des pays les plus prospères au monde et offre ainsi de réelles perspectives de développement. Les enseignes, désireuses de s’y implanter, ont recours aux baux commerciaux comme elles en ont l’habitude en France. Or, si le régime des baux commerciaux en droit luxembourgeois paraît à première vue peu éloigné du régime français, la protection du commerçant conférée en France est loin d’atteindre le même niveau au Luxembourg et la rédaction et la négociation des clauses du bail s’avéreront déterminantes.
Les dispositions applicables en France et au Luxembourg
En droit français, les baux commerciaux sont essentiellement régis par le statut des baux commerciaux issu du décret-loi n°53-960 du 30 septembre 1953, codifié aux articles L et R 145-1 et suivants du Code de commerce. Ils sont également soumis aux règles de droit commun du contrat de louage de choses contenues dans le Code civil (articles?1713 et suivants et le sacro-saint article?606), pour tout ce qui n’est pas prévu par ce statut.
En droit luxembourgeois, seules quelques dispositions particulières ont été introduites dans le Code civil (articles?1762-3 à 1762-8 (1)), et les baux commerciaux se voient donc essentiellement appliquer les règles de droit commun prévues aux articles?1713 et suivants du même code. Le mimétisme de numérotation des dispositions françaises et luxembourgeoises ne doit cependant pas induire en erreur. En effet, les deux régimes présentent des différences notoires auxquelles il conviendra d’être attentif lors de la négociation du bail.

La liberté contractuelle en droit luxembourgeois 
Durée
Tandis qu’en droit français, la durée du bail commercial ne peut être inférieure à neuf ans (2) (article L 145-4 du Code de commerce), le bail commercial luxembourgeois n’est soumis à aucune condition légale de durée minimale ou maximale. Néanmoins, si les parties n’ont fixé aucune durée dans le contrat, celle-ci n’en sera pas pour autant indéterminée puisque la jurisprudence, se référant à l’usage des lieux, considère que la durée d’un tel bail est alors de trois ans. En pratique, la majorité des baux commerciaux de droit luxembourgeois sont conclus pour une durée de neuf ans assortis d’une faculté de résiliation triennale, se rapprochant ainsi du régime français.

Sous-location et cession
Le régime luxembourgeois de la sous-location et de la cession est encore plus révélateur du principe de liberté. Ainsi, en droit luxembourgeois, la sous-location est par principe autorisée et par exception interdite (article?1717 du Code civil), alors que le droit français a une approche radicalement contraire (article L 145-31 du Code de commerce).
Il en est de même s’agissant de la cession du droit au bail. Toutefois, il existe un point commun entre ces deux régimes puisque toute interdiction de cession du droit au bail s’inscrivant dans le cadre d’une cession de fonds de commerce est proscrite (article L 145-16 du Code de commerce français et article?1762-3 du Code civil luxembourgeois). Ainsi, dans les deux cas, la cession du droit au bail est libre dès lors qu’elle est comprise dans la cession du fonds de commerce.
Loyer
Aucune règle de plafonnement n’existe en droit luxembourgeois et les parties sont là encore libres de fixer le loyer. Les parties peuvent prévoir une clause d’indexation (visant souvent l’indice des prix à la consommation publié par le Statec (3)) sans risquer de voir une telle clause invalidée par les juges (4). Elles peuvent même convenir, en lieu et place d’une clause indiciaire, que le loyer soit soumis à une augmentation automatique, d’un montant déterminé.
Le droit luxembourgeois privilégie donc la liberté contractuelle dans la mise au point des clauses du bail mais confère au preneur, en fin de bail, une protection moins étendue qu’en droit français.

La protection du preneur en fin de bail
En droit français, le preneur bénéficie d’un véritable droit au renouvellement de son bail. En cas de refus de renouvellement, le preneur pourra prétendre à une indemnité d’éviction et se maintenir dans les lieux jusqu’au paiement par le bailleur de cette indemnité. En droit luxembourgeois, le preneur ne dispose pas d’autant de privilèges et doit libérer les lieux sans le moindre dédommagement, sauf à démontrer une faute du bailleur dans le refus de renouvellement. Le «?droit?» au renouvellement préférentiel prévu par l’article 1762-4 du Code civil luxembourgeois constitue en effet une simple faculté pour le preneur d’exiger, avant la fin de la quinzième année de location, un nouveau bail. Mais le bailleur peut notamment y faire échec en invoquant une «?offre sincère et réelle supérieure?» émanant d’un nouveau locataire. Ainsi, le bailleur pourra substituer dans les locaux un nouveau locataire ayant proposé un loyer plus élevé que celui en vigueur, et qui aura été refusé par le locataire actuel. Notons toutefois ici que les parties peuvent conventionnellement prévoir une renonciation par le bailleur à un tel motif ou, encore, l’octroi d’une indemnité d’éviction. Enfin, contrairement au droit français, le preneur luxembourgeois, dépourvu de droit au maintien dans les lieux, a seulement la faculté de solliciter deux sursis successifs, de six mois chacun, avant d’être contraint de restituer les lieux en fin de bail (article?1762-8 du Code civil luxembourgeois) et le juge saisi à cette fin peut les refuser.

Conclusion
La liberté contractuelle en droit luxembourgeois laisse ainsi aux parties une marge importante de négociation dans la rédaction des clauses du bail commercial. Cette négociation constituera une étape importante, voire déterminante, dans la mise au point du bail puisqu’elle pourrait permettre au preneur de bénéficier d’une protection plus proche de celle qui existe en France.

1-Arrêté grand-ducal n°78 du 31?octobre 1936 concernant la protection du fonds de commerce en matière de bail et loi du 21?septembre 2006
2-Excepté le bail dérogatoire prévu à l’article L 145-5 du Code de commerce, qui ne deviendra commercial que sous certaines conditions
3-Statec (Institut national de la statistique et des études économiques du Luxembourg), équivalent de l’Insee en France.
4-En France, les juges sont particulièrement attentifs à l’intervalle de variation indiciaire et à la durée s’écoulant entre deux révisions




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