Par Avi Amsellem et Michaël Lévy, avocats associés. Lawington
En cas de modification notable, en cours de bail, des obligations des parties ou des caractéristiques essentielles du bail, le loyer du bail renouvelé peut être déplafonné et porté à la valeur locative. Aussi, dans le contexte économique actuel, les bailleurs pourraient-ils oser le pari de consentir, en cours de bail, des avantages à leurs locataires ou de modifier les conditions du bail pour bénéficier du déplafonnement à son renouvellement.

Rappelons le principe selon lequel le loyer d’un bail commercial renouvelé doit correspondre à la valeur locative (1) et son exception, qui est la règle en pratique, le plafonnement (2), selon laquelle le loyer de renouvellement ne peut excéder la variation de l’indice applicable intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré.
La règle du plafonnement subit elle-même des exceptions en présence de cas de déplafonnement qui permettent alors de revenir à une fixation du loyer à la valeur locative. Parmi les cas de déplafonnement, figurent notamment la durée du bail (tel est le cas du bail expiré ayant une durée initiale supérieure à neuf ans ou du bail expiré d’une durée initiale de neuf ans qui s’est poursuivi par tacite prorogation au-delà d’une période de douze ans), ou la nature des locaux loués : les locaux à usage exclusif de bureaux, les terrains loués nus et les locaux monovalents. Le plafonnement ayant pour vocation de régir les situations stables, la loi prévoit par ailleurs que si l’un des éléments constitutifs de la valeur locative a subi «?une modification notable?» au cours du bail expiré, le loyer du bail renouvelé peut être fixé à la valeur locative. Parmi ces éléments constitutifs de la valeur locative, figurent les modifications des caractéristiques du local, de la destination des lieux, des facteurs locaux de commercialité, ainsi que la modification des obligations respectives des parties, qu’elles soient légales (durcissement de la fiscalité notamment) ou contractuelles, dès lors que l’économie du bail a été modifiée.
Les modifications notables, en cours de bail, des obligations contractuelles des parties ou de l’assiette des locaux, dépendent quant à elles de la seule volonté des parties. Elles doivent donc être appréciées au regard de leurs conséquences sur le déplafonnement du loyer du bail renouvelé. A noter que le projet de Loi Pinel en cours de discussion qui vise à modifier plusieurs dispositions du statut des baux commerciaux, ne se focalise pas sur les motifs du déplafonnement mais sur la limitation des effets du déplafonnement.

Aménagements conventionnels du bail, sources de déplafonnement
Par application de l’article R.145-8 alinéa 1 du Code de commerce, le locataire qui, au cours du bail initial, s’est vu imposer par le bailleur des restrictions à la jouissance des locaux ou des charges allant au-delà de la loi ou des usages, pourra invoquer une diminution de la valeur locative et obtenir une baisse du loyer du bail renouvelé. Ainsi en est-il d’un bail contenant une clause mettant à la charge du locataire le remboursement de l’impôt foncier ou les grosses réparations de l’article 606 du Code civil, qui sont considérés comme des charges anormales devant normalement peser sur le bailleur.
Réciproquement, il a été jugé que la diminution significative des charges locatives mises contractuellement à la charge du preneur constitue une modification notable des obligations des parties en cours de bail permettant au bailleur d’obtenir le déplafonnement du loyer. Constituent également de telles modifications notables ouvrant droit au déplafonnement, les dérogations au bail consenties par le bailleur aux fins d’autorisation de sous-louer ou d’autorisation de donner le fonds en location-gérance (3) dès lors qu’elles ont constitué un bouleversement substantiel de l’économie du bail.

Quelles modifications notables pour le déplafonnement ?
La modification conventionnelle du loyer au cours du bail expiré et qui ne correspond ni à l’application d’une loi nouvelle, ni à l’exécution des stipulations du bail initial, à condition qu’elle soit notable, constitue un motif de déplafonnement. L’augmentation conventionnelle du loyer (en dehors de l’application de la clause d’indexation ou de la révision triennale) ou encore le fait pour un bailleur d’avoir consenti une réduction conventionnelle de loyer pour tenir compte, par exemple, du contexte économique général (4) s’analysent en des modifications notables des obligations des parties justifiant l’exclusion de la règle du plafonnement. À titre d’illustration, l’augmentation de 66?% du loyer a été jugée comme suffisante, au contraire de diminutions de 8?% ou 16?% du loyer qui n’ont pas permis de déplafonner le loyer. Par ailleurs, la modification notable, en cours de bail, de la destination des lieux (qu’il s’agisse de l’adjonction ou de la substitution d’activités nouvelles) ou la modification notable de l’assiette du bail (5) (restitution de locaux ou adjonction de locaux supplémentaires) (6), même accompagnée d’une modification corrélative de loyer, peut conduire au déplafonnement du loyer en fin de bail.
Le fait d’octroyer, en cours de bail, une réduction exceptionnelle du loyer, d’autoriser le preneur à exploiter des activités supplémentaires dans les lieux loués, de même que permettre des changements dans la consistance des lieux loués, autorisent le bailleur, à condition que ces modifications soient notables, à revendiquer le déplafonnement du loyer lors du renouvellement du bail. Ces différentes modifications interviennent fréquemment en cours de bail et leurs conséquences sont telles en matière de déplafonnement du loyer que l’incitation est grande pour les bailleurs d’organiser en amont des aménagements conventionnels (sous couvert d’une faveur consentie au locataire) afin de préparer, à l’occasion du renouvellement du bail, les conditions du déplafonnement et voir fixer le nouveau loyer à sa valeur locative.

1 Article L.145-33 du Code de commerce
2 Article L.145-34 du Code de commerce
3 CA Paris, pôle 5, 3e Ch. 17 avril 2013
4 Civ. 3e, 24 mars 2004 Juris-Data n° 2004-023346
5 En vertu des dispositions de l’article R.145-3 du Code de commerce
6 CA Paris, 17 janvier 2007 et CA Paris, 25 mars 1998



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