Thameur Hemdane est le fondateur d’Afrikwity, une plateforme de crowdfunding qui a vocation à faciliter et encourager l’investissement dans l’innovation africaine. Il décrit une Afrique dont ils pressent que les obstacles d’hier pourraient bien constituer les chances de demain. À condition que l’innovation se mette réellement au service du développement économique et social de tous les Africains. Entretien.

Décideurs. Comment est né Afrikwity ?

Thameur Hemdane. Je travaillais dans la banque d’investissement. Quand j’ai vu apparaître les premières plateformes de crowdfunding en 2008, j’ai d’abord eu, à l’image de l’ensemble du secteur, un regard plutôt sceptique sur ces nouveaux acteurs qui venaient sur nos platesbandes. Finalement, j’ai commencé à m’y intéresser de plus près… et je me suis pris au jeu ! Quand j’ai voulu me lancer, j’ai cherché un positionnement alternatif à ce qui se faisait déjà sur le marché, avant de réaliser que finalement la meilleure différenciation que je pouvais proposer, reposait sur ma propre différence : en tant que Franco- Tunisien, il était évident de me placer sur le marché africain. De plus, j’étais déjà impliqué depuis plusieurs années dans des initiatives visant l'essor du continent et je constatais que les investisseurs avaient souvent du mal à trouver la bonne porte d’entrée. C’est ainsi qu’en née Afrikwity : une plateforme de crowdfunding qui vise à connecter les investisseurs internationaux, et notamment ceux de la diaspora africaine, à des projets africains innovants. C’est également une vitrine présentant au monde une autre vision de l’Afrique de celle diffusée par les médias : innovante, dynamique, fabrique du monde de demain.

Quels types de projets financez-vous ?
Ceux qui ont trait à l’innovation au sens large, sur l’ensemble du continent. Nous opérons une sélection des projets qui nous semblent les plus prometteurs pour aider les investisseurs à orienter leurs investissements et oeuvrons pour faciliter leurs transactions, de bout en bout, pour que le process soit le plus fluide et le plus simple possible. À ce jour, nous avons mobilisé environ 10 millions d’euros sur une quinzaine de projets portant sur des sujets aussi vastes que le digital, la mobilité, l’économie circulaire… Notre objectif est d’accompagner les entrepreneurs africains dans leur développement pour qu’ils créent de la valeur, de la richesse et des emplois en Afrique, contribuant ainsi à l’essor économique et social du continent. Tout le monde y trouve un intérêt, y compris la France et l’Europe.

« Nous avons mobilisé environ 10 M€ sur une quinzaine de projets portant sur des sujets aussi vastes que le digital, la mobilité, l’économie circulaire »

Quels sont les freins qui demeurent à ce développement africain ?

J’en citerais trois principaux. Tout d’abord le déficit d’infrastructures qui empêche beaucoup de projets de passer à l’échelle supérieure tant cela vient complexifier l’intégration d’un marché africain, par ailleurs très disparate. Le second frein auquel je pense est financier et monétaire : le manque de financements pour les entreprises ainsi qu’un système de change entre les monnaies africaines trop souvent onéreux quand il n’est pas simplement ubuesque. Le dernier est lié à la structure largement informelle de l’économie du continent. Mais ces freins peuvent devenir des opportunités pour entreprendre et innover. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui en Afrique. Plusieurs jeunes se sont saisis de ces opportunités et du digital pour développer de nouvelles solutions pour répondre à ces besoins, en sautant même parfois les étapes par lesquelles sont passées les pays développés. L’Afrique est en passe de devenir le laboratoire des innovations de demain.

Quel est l’état du marché africain de l’innovation en termes d’écosystème de start-up, d’entreprises innovantes ?

Nous sommes clairement dans une phase d’accélération et les premières licornes africaines commencent à émerger. Quelques pays se détachent dans cette course à l’innovation, comme le Nigeria, l’Égypte ou l’Afrique du Sud qui, par la taille de leur population et de leur économie offrent des marchés à fort potentiel aux start-up. Mais nous observons aussi un autre groupe de pays de taille plus modeste qui tirent leur épingle du jeu, à l’image du Kenya, du Rwanda, de la Tunisie, du Sénégal ou du Maroc.

Vous avez récemment contribué au lancement d’une nouvelle monnaie numérique africaine, l’Afro. Pourquoi un tel projet ?

J’évoquais tout à l’heure les barrières liées au change entre les monnaies africaines et devises internationales : Il faut souvent faire du change en passant par l’euro ou le dollar lorsque l'on passe d’un pays africain à un autre, avec bien entendu des commissions à chaque fois. De plus, les transferts de fonds des diasporas africaines qui envoient chaque année plus de 70 milliards d’euros vers l’Afrique, l’équivalent de trois fois l’aide internationale au développement, sont taxés à hauteur de 9 % en moyenne. Face à cet état de fait, les cryptomonnaies peuvent être une chance pour l’Afrique, à condition qu’elles servent l’économie réelle et non la spéculation. L’Afro a vocation à être une stablecoin*, pensée pour répondre aux besoins du continent, pour l’usage quotidien des Africains et non Africains. Elle appartient d’ailleurs à une fondation, signe de sa vocation à servir l’utilité publique. Là encore : l’Afrique a toutes les cartes en mains pour inventer des nouveaux modèles.

* Cryptomonnaie non volatile, dont le prix est arrimé à une autre cryptomonnaie, à une monnaie fiduciaire ou à un produit négocié en bourse.

Propos recueillis par Antoine Morlighem

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