« Les jeunes avocats ont des aspirations qui diffèrent sensiblement de celles de leurs aînés »
Décideurs. Comment un cabinet d’avocats d’affaires peut-il s’adapter au mieux au contexte économique actuel ?

Jacques-Philippe Gunther. Je pense qu’il faut s’habituer à vivre avec une visibilité inférieure à trois mois. Le temps des business plans à long terme est révolu. Ce sont les incertitudes économiques et les difficultés rencontrées par nos clients qui doivent orienter nos choix. Dans ce contexte incertain, développer un panel d’activités plus diversifié me paraît indispensable. Les domaines de compétence respectifs des associés, ainsi que les synergies qui peuvent naître entre ces derniers, doivent permettre de constamment forger de nouvelles combinaisons d’activités. Autrement dit, nous raisonnons de plus en plus en termes de «?mix d’activités», en identifiant les combinaisons de pratiques rendues nécessaires par l’évolution du marché. Par exemple, le restructuring a besoin d’un corporate et d’une activité finance forts mais également d’une composante droit de la concurrence, comme nous l’avons vu récemment dans le dossier Eurotunnel où notre client nous a demandé de gérer l’ensemble de ces aspects. De même les entreprises publiques, notamment, auront besoin d’une combinaison de corporate, de droit public et de droit de la concurrence. Dans toutes ces combinaisons, la clé consiste à présenter des associés disposant chacun dans son domaine d’une expertise et d’une réputation incontestable.
Bien entendu, il ne s’agit pas non plus d’aligner toutes les spécialités dont une entreprise pourrait avoir besoin. Nous ne sommes pas un cabinet full service, et nous n’avons pas vocation à le devenir. Nous devons rester un cabinet «compact», très pointu sur les domaines à forte valeur ajoutée, un cabinet plutôt «commando»
qu’«armée mexicaine», si vous me permettez cette image !

Décideurs. Justement, le positionnement de Willkie Farr & Gallagher a sensiblement évolué au cours des dernières années : d’un cabinet particulièrement réputé sur le volet private equity, vous avez acquis une dimension corporate plus globale. Pouvez-vous revenir sur les étapes de cette transformation ?


J.-P.?G. En effet, il y a quelques années, nous étions très spécialisés sur le segment private equity. En 2008, en tant que spécialistes du LBO, nous étions donc parmi les mieux placés pour anticiper les difficultés que rencontrerait le monde du private equity. Cette analyse nous a alors conduits à développer notre pratique en restructuring grâce à l’arrivée de Maurice Lantourne. Nous avons suivi la même logique lors de la grande vague de partenariats public-privé et avons eu la chance d’être rejoints en 2010 par les équipes de Thierry Laloum et Amir Jahanguiri. Aujourd’hui, en pleine crise, nous voyons de nombreuses opérations de réorganisation et le retour de grandes manœuvres industrielles souvent défensives ; c’est cela qui nous a conduits à nous renforcer dans ce domaine et à nous rapprocher de Fabrice Cohen qui vient de nous rejoindre fort de son expérience du monde industriel et des sociétés cotées, notamment aux côtés du groupe EADS.

Décideurs. Développer de nouvelles activités implique généralement d’attirer les bons associés. Quelle est votre méthode ?


J.-P. G. Le modèle d’organisation du cabinet attire assez naturellement les avocats entrepreneurs. Nous leur offrons la garantie qu’ils jouiront d’une grande liberté d’action. En contrepartie, ils apportent leurs compétences et pourront proposer à leurs clients une plate-forme de spécialistes de tout premier rang. Et ils sont incités à présenter ces spécialistes à leurs clients puisque leur rémunération tient tout autant compte de leurs performances individuelles que de celles des autres associés. Notre modèle attire donc des profils de techniciens de haut vol, dotés de capacités commerciales et sachant jouer en équipe. Ce profil correspond à l’associé qui se sent à l’étroit dans un cabinet où le talent individuel et la capacité à développer une clientèle ne sont pas suffisamment valorisés.

Décideurs. Étant donné les fréquents mouvements d’associés entre les différents cabinets de la place parisienne, la question finit par se poser d’elle-même : entre la marque de la firme et la réputation personnelle d’un associé, qu’est-ce qui prime aux yeux du client ?


J.-P. G. Il est vrai que les clients se sont habitués à ces mouvements. Et je constate qu’ils sont de plus en plus attachés à un interlocuteur, qui sera le véritable référent du client. Souvent, cet avocat connaît le client de longue date, ainsi que son métier et son organisation. Les clients ne sont pas prêts à sacrifier cette relation personnelle et de confiance au profit d’une entreprise de services juridiques plus impersonnelle. Au-delà de la marque, le client s’intéresse surtout à la capacité du cabinet à proposer des associés qu’il connaît, au moins de réputation, dont la compétence, l’approche et l’éthique seront très homogènes.
Ce n’est donc pas seulement une question de marque ou d’associés stars, mais plutôt d’une alchimie entre les associés et les clients qui se crée au fil du temps et des dossiers.

Décideurs. Du côté des firmes globales, pensez-vous qu’un mouvement de concentration soit envisageable dans les années qui viennent ?


J.-P. G. Nous avons déjà assisté à quelques fusions, notamment entre acteurs britanniques, australiens, sud-africains, canadiens et asiatiques. Certains modèles économiques peuvent exiger ce type de rapprochement. Je pense évidemment aux cabinets full service présents sur quasiment tous les continents. Mais cela ne correspond pas nécessairement aux attentes des clients. Pensez aux évolutions comparables des marchés du conseil en stratégie ou de la banque d’affaires : malgré une dynamique de concentration, ce sont toujours les boutiques haut de gamme qui tiennent le haut du pavé. En réalité, je pense que les clients peuvent avoir besoin des deux types de structures. Un grand réseau pour conduire des analyses multi-juridiction mais aussi un cabinet de taille plus restreinte avec des spécialistes très pointus pour des dossiers où la recherche de spécialistes de très haut niveau sera un impératif. Le choix du client ne se fait d’ailleurs pas en fonction de la dimension internationale ou domestique du dossier ; des cabinets qui ne sont pas full service font quotidiennement appel à des cabinets de premier plan dans les pays où ils ne disposent pas de bureaux. Je dirais même qu’en tant que prescripteur ils reçoivent alors un accueil de tout premier ordre.
La concentration par voie de fusion spectaculaire n’est donc pas notre modèle. On a plusieurs exemples d’ailleurs où de grandes opérations ont engendré des effets humains catastrophiques ; souvent, l’entité fusionnée n’a plus d’âme du tout ! Mais la volonté de grandir, tant par voie organique que par recrutements externes très ciblés, est bien dans notre stratégie.

Décideurs. L’arrivée de nouvelles générations d’avocats dans les cabinets d’affaires impose-t-elle des méthodes de management différentes ?

J.-P. G. Certainement ! De bonnes relations entre les différents statuts ainsi qu’entre les générations sont un élément essentiel du fonctionnement harmonieux d’un cabinet. Les jeunes avocats ont des aspirations et des motivations qui diffèrent sensiblement de celles de leurs aînés. Peu après ma nomination au poste de managing partner, j’ai décidé de lancer plusieurs groupes de discussions afin d’identifier les pistes d’amélioration aussi bien du point de vue des collaborateurs que des associés. Par exemple, cela nous a permis de mieux appréhender le ressenti de ce que nous appelons communément «la génération Y». Pour ces jeunes avocats, la «valeur travail» n’est pas une fin en soi ; l’accomplissement personnel est essentiel. Et il est intéressant de voir qu’ils se sont habitués aux crises économiques. À vrai dire, ils n’ont rien connu d’autre depuis leur entrée dans la vie professionnelle. Ils sont d’une grande maturité et veulent être traités en adultes. Ils sont prêts à s’adapter à des variations d’activités mais ils veulent connaître les règles du jeu par avance. Je dirais donc que cette génération est plus responsable. Mais elle exige aussi davantage de transparence et a besoin de disposer d’évaluations régulières de ses compétences de la part des associés. Cela influence donc très directement le mode de communication interne
du cabinet.

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