Par Franck Soutoul et Jean-Philippe Bresson. Inlex IP Expertise
 Il y a dix ans, l’explosion d’Internet avait conduit à une adaptation des stratégies de marque. Une jurisprudence spécifique, des procédures dédiées (plaintes administratives) et des textes novateurs (loi pour la confiance dans l’économie numérique) étaient parallèlement apparus.
En 2012, la physionomie d’Internet impose désormais une stratégie nouvellement adaptée.

Pour un titulaire de marques, les noms de domaines et les pages Web restent des « couches » de l’Internet à intégrer en termes de présence, de vigilance et de défense. Doivent également être pris en compte les nouveaux outils, fonctions et lieux d’échanges d’Internet. Les moteurs de recherche proposent ainsi des fonctionnalités diversifiées. Des modèles économiques comme eBay sont également à intégrer. Les marques doivent également s’attacher à Facebook. Enfin, l’avènement des nouvelles extensions aboutit à redessiner l’environnement numérique à prendre en compte.

Google Suggest et Google AdWords
Google Suggest déclenche l’affichage d’associations de mots (pouvant être désobligeants voire dénigrants) aux termes recherchés (pouvant correspondre à une marque et/ou un nom de société) et ce à partir des interrogations déjà effectuées par d’autres internautes. Des associations avec des mots impactant négativement l’image d’une marque (« arnaque », « escroquerie » ou « escroc » par exemple) sont ainsi apparues. La jurisprudence a plutôt retenu l’existence d’une injure au profit du titulaire du droit. Le TGI de Paris a ainsi ordonné le 15 février 2012 à Google de supprimer « Kriss Laure secte » des suggestions sous astreinte de 2 500 euros par jour. Le système de mots-clés Google Adwords est certainement l’outil le plus connu. Il est aussi celui-ci qui a suscité le plus de difficultés. La CJCE a posé les 23 mars et 8 juillet 2010 que Google bénéficiait du régime de responsabilité limitée (hébergeur) s’il ne jouait pas de rôle actif lui donnant une connaissance ou un contrôle des données stockées. La jurisprudence française s’est alignée sur cette approche. La cour d’appel de Lyon a ainsi écarté le 22 mars 2012 la condamnation de Google à propos de la réservation de la marque Rentabiliweb comme mot-clé. Les annonceurs restent condamnables pour contrefaçon de marque. Contrairement à Google, ils utilisent les mots-clés. Cette responsabilité est cependant circonstanciée. Le lien commercial ne doit pas ou difficilement permettre à un internaute de savoir si les produits ou services de l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise liée, ou au contraire s’ils émanent d’un tiers. Les atteintes possibles aux marques sur Google imposent des démarches à plusieurs niveaux. La mise en place de
surveillances spécifiquement adaptées est le préalable nécessaire pour repérer efficacement et régulièrement les atteintes possibles. Une démarche amiable vis-à-vis de Google peut s’avérer efficace pour obtenir l’arrêt de la location du mot-clé correspondant à la marque. Bien entendu, les titulaires de marques restent libres d’agir judiciairement mais à condition que les circonstances en cause s’inscrivent dans les lignes directrices dégagées par la jurisprudence communautaire.

eBay
La plate-forme d’enchères constitue une autre source potentielle d’atteinte aux marques par l’offre de produits contrefaisant avec des annonces reproduisant ou imitant une marque ou portant atteinte à l’étanchéité de réseaux de distribution. Nos juridictions ont fait preuve d’une certaine divergence jusqu’à un arrêt du 3 mai 2012 où la Cour de cassation a retenu que la plateforme d’enchères n’exerçait pas une activité d’hébergement mais jouait un rôle actif dans le choix des options proposées aux vendeurs qui leur conférait une connaissance ou un contrôle des données ainsi stockées. Pour la Cour, ce rôle actif résultait notamment des moyens mis à disposition des vendeurs pour optimiser les transactions ou encore des invitations adressées aux enchérisseurs n’ayant pas remporté des enchères afin qu’ils se reportent sur d’autres objets similaires. Cette décision de la haute juridiction est dans la lignée de la position de la CJCE du 12 juillet 2011 qui avait retenu qu’un exploitant d’une place de marché qui prête assistance aux vendeurs afin de les aider à optimiser la présentation ou la promotion de leurs offres joue un rôle actif lui conférant une connaissance ou un contrôle des données relatives à ces offres et écartant le régime de responsabilité limitée des hébergeurs. Seule une surveillance du contenu des annonces eBay permet de décider l’engagement d’une démarche appropriée. Des outils informatisés/robotisés spéciaux existent pour déceler des annonces dont le contenu porterait atteinte à une marque sur les sites d’enchères. Le service VeRO d’eBay permet de signaler un objet mis en vente portant atteinte à une marque afin que l’annonce soit supprimée. Plusieurs motifs sont disponibles. Plusieurs objets peuvent être signalés en même temps même s’ils correspondent chacun à une atteinte différente. La demande de fermeture de comptes est également envisageable. La Cour de cassation en a validé le principe le 5 mai 2009 en condamnant une société ayant ouvert plusieurs comptes eBay et employant des moyens douteux afin de rendre son identification difficile et contrecarrer les évaluations négatives laissées par les utilisateurs.

Facebook
En termes de présence institutionnelle, l’existence d’une page Facebook semble aujourd’hui incontournable dès lors qu’elle est effectivement et régulièrement alimentée. Les pages des utilisateurs, leurs posts voire les noms d’utilisateur peuvent aboutir à des situations indésirables en termes d’image de marque. Il est donc recommandé de prendre les devants en réservant d’une part comme noms d’utilisateur ses marques. Une gestion centralisée des comptes utilisateurs par une personne dédiée doit être privilégiée en interne. D’autre part, une présence sous forme de « contre-courant » ou de « contre-buzz » à l’égard de propos critiques, hostiles ou tout simplement négatifs sur la marque est nécessaire afin que ceux-ci ne restent pas en ligne et ne se propagent pas auprès de consommateurs « acquis » ou potentiels et qui risqueraient de s’orienter vers des produits et/ou des services concurrents. Il reste possible de contacter via la messagerie de Facebook celui ayant posté ou créé sa page dans des termes pouvant porter atteinte à la marque pour faire rectifier, modifier ou corriger les éléments en cause. Facebook propose lui-même un système de signalisation d’atteinte à un droit antérieur permettant de retirer ou désactiver l’accès aux éléments concernés. Bien qu’aucun critère ne soit posé, l’intervention de Facebook se déclenche plutôt pour les cas patents ou évidents d’atteinte. Malheureusement, les décisions concernées ne sont pas publiques et aucun niveau de recours n’est prévu en cas de refus de Facebook de retirer ou de désactiver l’élément en cause. D’un point de vue judiciaire, une ordonnance de référé du 13 avril 2010 a posé que Facebook a la qualité d’hébergeur. Sa responsabilité n’est engagée que s’il n’a pas agi promptement pour faire retirer le contenu illicite qui lui est notifié. La cour d’appel de Pau a précisé le 23 mars 2012 que la clause des conditions générales d’utilisation de Facebook donnant compétence aux tribunaux de Californie est inapplicable, ce qui permet d’agir devant les juridictions françaises.

Les nouvelles extensions
Le chantier des nouvelles extensions démarré en décembre 2007 est maintenant dans sa phase de concrétisation ultime. Après un calendrier houleux, 2 000 dossiers de candidatures auraient d’ores et déjà été déposés. Au jour où nous écrivons ces lignes, le dernier délai pour le dépôt des dossiers a été fixé au 30 mai 2012. Si la plupart des demandes restent pour l’instant confidentielles, il semble que les extensions consistent en des noms de villes (.melbourne, .sydney, .london, .paris), des noms génériques (.wine, .music, .bike, .surf, .board et .skate) et bien entendu les marques. Outre le budget « d’entrée », la décision de présenter ou non un dossier aura été le fruit d’une véritable démarche de réflexion stratégique quant à la nécessité ou l’opportunité de ces nouvelles extensions en termes de positionnement commercial, financier voire juridique. En la matière, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision mais plutôt des décisions particulières et circonstanciées et ce d’autant qu’il s’agit d’une première dans l’histoire du nommage sur Internet. Quelle que soit la décision (dépôt ou non-dépôt d’une demande d’extension), toujours est-il que c’est « l’après » qu’il convient d’envisager. Or, du point de vue des titulaires de marques, il est désormais nécessaire, une fois clôturée la phase de dépôt des dossiers, de repérer par une surveillance appropriée les demandes d’extensions présentées afin de pouvoir utilement se manifester et faire valoir leurs droits par le biais des procédures adéquates.

Les modifications profondes d’Internet se poursuivent. Elles entraînent une nouvelle approche. La surveillance de la Toile constitue toutefois la clé d’entrée d’une stratégie globale et efficace de défense des droits de marque. Chaque situation rencontrée n’impose pas nécessairement d’opter pour une démarche judiciaire mais doit s’inscrire dans une approche mesurée au regard d’une jurisprudence en perpétuelle évolution, des circonstances concrètes et de l’objectif souhaité. Seul un équilibre entre tous ces paramètres permet aujourd’hui une stratégie de défense des marques dans un environnement numérique en pleine mutation et dont les nouvelles extensions sont probablement les prémisses à d’autres modifications.

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