Ancien directeur général d'Hermès, Christian Blanckaert nous donne quelques clés de compréhension du business du luxe d'aujourd'hui.

Décideurs. Avant toute chose, comment définissez-vous le luxe contemporain ?

Christian Blanckaert. Le luxe est un monde assez particulier car il n’est pas objectif. L’idée que l’on se fait des produits chers et beaux au Japon est très éloignée de celle que l’on peut avoir en Chine. En ce sens, la culture est un élément fondamental de l’appréhension du luxe. En termes concrets, au Japon, le luxe est profondément enraciné dans l’histoire et traverse ses époques « samouraï » ou Edo par exemple. Il est hédonique, façonné par le plaisir, et rassurant ; ce plaisir doit être pour soi mais aussi pour autrui. La qualité est visuellement l’impératif du luxe japonais. Le pays du Soleil-Levant est la référence en matière de qualité et certains diraient même, sa « Terre promise ». Inversement, en Chine, le luxe, plus récent à sa décharge, est encore une matière très superficielle, tenant plus du paraître que de l’être. Par conséquent, il est ici très social.

 

Décideurs. En Occident, le luxe est-il le même partout et quelles sont ses perspectives de croissance ?

C. B. Aux États-Unis, ce que l’on appelle les personal luxury goods (PLG) ne cumule que 13 % à 15 % du marché des vêtements et des accessoires. C’est donc une part très faible qui présente l’avantage d’avoir un potentiel de croissance considérable. Encore une fois, c’est la culture qui détermine plutôt les Américains à acheter de belles voitures ou maisons plutôt que d’investir dans ce qu’ils portent sur eux. En Europe, les PLG sont présents à hauteur de 30 % voire 40 %. Le Vieux Continent est un vieux compagnon de la splendeur.

 

Décideurs. Le principal enjeu relatif au luxe n’est-il pas de le vendre par le biais de nouveaux canaux de distribution sans affaiblir l’expérience client ?

C. B. Bien sûr. Il ne faut pas sacrifier la forte expérience client d’une vente exceptionnelle sur l’autel des nouvelles technologies. L’e-commerce ne doit tuer ni le rêve ni l’impossible ! Pour autant, les nouvelles voies de commercialisation et de communication ne condamnent pas le luxe. Prenons par exemple l’Apple Watch d’Hermès. C’est tout de même un pas gigantesque fait par une illustre maison du luxe vers l’un des chantres de la technologie numérique. Du reste, il n’échappera à personne que cette montre est perçue comme l’Hermès Watch plutôt que l’Apple Watch.

 

Décideurs. À l’aune d’une urbanisation toujours plus forte, le prêt-à-porter ne serait-il pas une voix bien plus forte que celle de la haute couture ?

C. B. Pierre Bergé a tout résumé lorsqu’il a dit qu’Yves Saint Laurent avait mis un terme à la haute couture en s’installant rive gauche [en prêt-à-porter NDLR]. La haute couture, c’est très bien mais ce n’est pas le sujet d’un point de vue business. Elle correspond à une population extrêmement réduite qui n’est que la partie visible d’un iceberg très profond. Si elle existera toujours, les regards sont aujourd’hui largement tournés vers le prêt-à-porter, lui aussi magnifique. Akio Morita, cofondateur de Sony, a aussi dit : « Il faut bien des écrans que l’on ne vend pas pour vendre les autres. »

 

FS (Firmin Sylla)

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