Lancée depuis le 14 juin 2016, la mise en place du premier réseau de cinémas en Afrique, opération ambitieuse du groupe Vivendi, a mobilisé de nombreux acteurs. Parmi eux, Richard Mugni, partner chez Baker McKenzie. Ce spécialiste des grands projets d’infrastructures, en particulier dans le secteur des transports et de l’énergie, analyse les enjeux d’un tel déploiement.

Décideurs. Quels ont été les enjeux concernant ce déploiement de salles Vivendi en Afrique?

 

Richard Mugni. C’est une activité qui était nouvelle, et il n’y avait pas de cadre légal ou fiscal mis à jour pour cette activité. L’objectif était de déployer un réseau, et non pas des salles indépendantes installées dans divers pays. Par exemple, lorsque vous lancez un film, il doit être projeté dans plusieurs territoires en même temps, ou si vous réalisez une tournée d’un artiste, il est nécessaire d’avoir plusieurs salles à disposition. L’objectif pour le groupe Vivendi était de lever l’ensemble des obstacles de manière concomitante. Cela s'inscrit vraiment dans une logique de gestion coordonnée.

 

Quel cadre contractuel avez- vous mis en place entre Vivendi Village et Canal Olympia ?

 

Nous avons élaboré un ensemble de contrats qui sécurisent les différents aspects du projet, notamment concernant les droits d'auteur. Au travers des accords passés, il a fallu trouver un terrain d’entente pour la rémunération des ayants-droit et la manière dont celle-ci serait payée par les filiales. Il fallait également pouvoir offrir des films récents, et s’adapter au marché local en termes de prix du billet.

 

Les négociations au sein du groupe Vivendi ont eu lieu entre les différentes entités comme avec Canal +, qui était partie prenante pour tout ce qui concerne le catalogue de films. Par ailleurs, plusieurs sujets ont donné lieu à des négociations plus poussées. D’abord, la problématique foncière, puisqu’il a fallu trouver des terrains, avec la conclusion de baux de longue terme (baux emphytéotiques) qui permettent le remboursement des investissements : ce sont des salles climatisées et les sièges sont équivalents à ceux que vous trouvez dans les cinémas européens. Cela a entraîné un coût élevé.

 

Deuxième point, la nécessité de remettre à plat le système juridique concernant l’activité. Dans certains pays, on constatait l’existence de visas d’exploitations mais qui dans les faits étaient inutilisables en raison de l’absence de cinéma. Par conséquent, nous nous sommes rapprochés des ministères de la communication pour pouvoir ensuite reconstruire l’équivalent de commissions de visas de films et d’organes de contrôle. Pour finir, une fois ce cadre remis en place, il a fallu négocier des conventions fiscales car s’agissant d’une activité qui n’était pas précisément réglementée, il était nécessaire d’assurer l’équilibre économique au moyen de dispositions fiscales adaptées.

 

Avez-vous rencontré des blocages juridiques dans la réalisation de ces contrats de société ?

 

Je ne parlerais pas forcément de blocages, mais plutôt de vides juridiques qu’il était nécessaire de combler en partenariat avec les autorités locales. L’objectif était d’être le plus pédagogue possible afin de montrer de quels métiers il s’agissait.

 

Vous avez à la fois des distributeurs, des exploitants de salles (à l’instar de Canal Olympia) et également des droits qui reviennent aux ayants-droit de tous ces films. Dès lors, il existait plusieurs interrogations : s’agit-il d’une redevance ou est-ce assimilable fiscalement à une redevance de marque ?

 

À noter que les vides juridiques ont été communs à un certain nombre de pays. Mais je dois dire qu’en raison d’un accueil positif, cela nous a permis un déploiement rapide.

 

Êtes-vous de plus en plus sollicité de la part d’investisseurs pour ce type d’opérations ?

 

Oui, on observe le développement de toutes les activités B2C. Il s’agit d'un point positif pour l’Afrique car c’est une véritable tendance de fond. Désormais il y a des consommateurs africains qui ont les mêmes attentes que les consommateurs européens. On observe de plus de plus l’émergence de projets ambitieux, tels que la construction de supermarchés ou de galeries commerciales. Cette tendance se remarque aussi dans des secteurs majeurs comme la santé (assurance) ou l’éducation (universités privées).

 

« Désormais, il y a des consommateurs africains qui ont les mêmes attentes que les consommateurs européens. »

 

 

Quel est le potentiel du marché culturel en Afrique ?

 

Selon moi, celui-ci est très fort parce que vous avez en Afrique des pôles de création musicale et cinématographique importants. Ces activités vont continuer à se développer et cela Vivendi en est convaincu. Le lancement du tout premier réseau de salles de cinéma et de spectacles en Afrique est un projet entrepreneurial. 

 

Cela s’inscrit-il dans la stratégie de Vivendi ?

 

Clairement oui, mais Vivendi a identifié un potentiel de croissance et un intérêt des consommateurs pour ces produits. C’est un modèle qui a vocation à se développer. Est-ce qu’il est en mesure de s’étendre en dehors de l’Afrique immédiatement ? Je ne le sais pas. Par contre, la mobilisation des équipes autour de ces sujets-là est très forte. Je continue d’ailleurs à conseiller le groupe sur les problématiques juridiques car il s’agit d’un secteur où celles-ci sont permanentes. L’essentiel est d’assurer en premier lieu la bonne conduite et la consolidation de ce réseau pilote en Afrique.

 

 

Propos recueillis par Gatien Pierre-Charles

 

 

 

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