Un site web peut faire payer le refus de cookies
Depuis plusieurs semaines, de nombreux internautes s’insurgent contre certains sites internet (allocine.fr, jeuxvideo.com, lemonde.fr, pour n’en citer que quelques-uns) leur proposant d’accepter des cookies publicitaires pour accéder à leur contenu ou bien de payer un abonnement mensuel (variant entre 2 et 9 euros) pour accéder à leurs pages tout en évitant ces cookies et donc la récolte de données personnelles. La question de la légalité de cette pratique, aussi appelée "cookie wall", est loin d’être résolue et pose par là même celle de la survie économique des sites internet.
Absence de prise de position par le Conseil d’État
Comme défini par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), le cookie est "une suite d’informations, généralement de petite taille et identifié par un nom, qui peut être transmis à votre navigateur par un site web sur lequel vous vous connectez. Votre navigateur web le conservera pendant une certaine durée, et le renverra au serveur web chaque fois que vous vous y reconnecterez." Le régulateur des données avait émis en 2019 de nouvelles recommandations encadrant l’utilisation de ces cookies publicitaires, afin de mieux protéger les données personnelles des internautes. "Dès lors que l’on évoque les cookies publicitaires, la question de la liberté du consentement se pose inévitablement", prévient d’emblée Ariane Mole, associée du cabinet Bird & Bird et spécialiste des données personnelles. Les choses se sont cependant corsées lorsque la pratique des "cookies wall", aussi appelés "mur de traceurs", est apparue.
Pour saisir les interrogations qui entourent encore les cookies wall, il faut remonter au mois de juillet 2019, lorsque la Cnil, au regard de l’article 84 de la loi informatique et libertés, publiait ses guidelines sur les cookies publicitaires. À l’époque, les recommandations du régulateur avaient été contestées par différents groupements des secteurs du e-commerce et de la vente à distance, de l’édition de contenus, du marketing digital ou encore l’Union des marques devant le Conseil d’État. Dans sa décision en date de juin 2020, la plus haute juridiction administrative annulait partiellement certaines guidelines : le juge administratif validait les lignes directrices relatives aux cookies et aux traceurs mais annulait la disposition des lignes directrices prohibant de façon générale et absolue la pratique des cookies wall, en jugeant qu’une telle interdiction ne pouvait figurer dans un acte de droit souple. Pour le Conseil d’État, la Cnil avait clairement excédé ses pouvoirs en considérant les cookies wall illégaux. "Pour la CNIL, l’internaute n’était pas en mesure de donner son consentement de façon libre, si lorsqu’il refusait les cookies, l’accès à un site web lui était refusé". Ce qui peut laisser à penser que la pratique des cookies wall, ajoutant cette possibilité de paiement pour éviter les cookies, n’est pas considérée comme illégale pour la juridiction administrative. Mais ce n’est pas si simple : "Le Conseil d’État a jugé que la Cnil ne pouvait pas légalement interdire les cookie walls. Il n’a pas indiqué spécifiquement s’il était légal de demander aux internautes de payer s’ils ne voulaient pas de cookies publicitaires, mais il s’agit en réalité d’une déclinaison de la même question de base : est-il légal de refuser l’accès à un contenu à un internaute s’il choisit de refuser les cookies ? Pour le Conseil d’Etat, la réponse est oui, analyse Ariane Mole. En effet, les cookies génèrent un revenu pour le site, et si l’internaute a le droit de refuser les cookies, le site n’a pas en principe d’obligation de lui fournir un contenu gratuit. Proposer à l’utilisateur de payer peut même s’appréhender comme une alternative supplémentaire au cas où l’utilisateur ne veut pas accepter les cookies mais veut quand même accéder au site", poursiut l'avocate.
L’attente d’une harmonisation européenne
À la suite de la décision du Conseil d’État, la Cnil a revu ses nouvelles lignes directrices, publiées le 17 septembre dernier, ainsi que sa position sur la pratique des cookies wall, qu’elle considère comme "susceptible de porter atteinte, dans certains cas, à la liberté du consentement". Le régulateur précise ensuite qu’"en cas de mise en place de cookies wall, et sous réserve de la licéité de cette pratique qui doit être appréciée au cas par cas, l’information fournie à l’utilisateur devrait clairement indiquer les conséquences de ses choix et notamment l’impossibilité d’accéder au contenu ou au service en l’absence de consentement". En prohibant la pratique des cookies wall dans ses recommandations initiales, la Cnil n’avait en réalité fait que rappeler l’interdiction prévue par le Comité européen de la protection des données (CEPD), lequel insiste sur la nécessité d’obtenir un consentement libre spécifique, éclairé et univoque des utilisateurs d’internet. À l’heure de la transposition en droit français de la directive e-privacy, le CEPD a exprimé son souhait de voir la pratique des cookies wall prohibée, tandis que "le cas par cas" subsiste aujourd’hui, comme en France. Une harmonisation européenne est attendue.
"Le sujet des cookies walls fait débat entre le Conseil d’État, la Cnil, et le CEPD : le sujet est difficile car le modèle économique des sites internet est au centre de ces discussions, relève Ariane Mole. Depuis de nombreuses années, le business model des sites consiste à recourir à des cookies ou autres formes de traçage pour monétiser l’audience auprès des annonceurs. C’est ce qui a permis la gratuité des contenus. Si ce n’est plus possible, certains sites passent à un modèle payant. C’est un enjeu de survie économique pour de nombreux sites".
La récente floraison des cookies wall a coïncidé avec la fin du délai de six mois accordé par la Cnil aux acteurs de la publicité et aux sites pour se conformer à ses dernières préconisations en matière de cookies et outils de traçage. Si la question n’est pas encore résolue, rappelons que la pratique des cookies wall reste encore très minoritaire sur le Web.