Entretien avec le directeur administratif et financier du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
Christophe Gégout : « Notre principal objectif : transférer la recherche vers l’industrie »
Décideurs. Que représente le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) en chiffres ?
Christophe Gégout. Avant de donner les chiffres, je souhaiterais tenter de décrire ce qui fait la force du CEA. Notre spécificité, c’est d’être à la fois un organisme de recherche fondamentale et de recherche industrielle. C’est précisément cette double culture de nos chercheurs et de nos ingénieurs qui nous permet de comprendre puis de lever certains verrous d’innovation au bénéfice de nos clients et partenaires, dont le premier est bien évidemment l’Etat, notamment sa composante militaire. Le CEA sait ainsi mobiliser tout le continuum de compétences de la science à l’industrie, dans nos domaines de compétence, pour remplir les missions que nous donne l’Etat. Il s’agit donc d’un organisme original, dont la compétence particulière est d’opérer avec succès le transfert de la recherche jusqu’à l’industrie, dans notre périmètre de compétences. Pour cela, le CEA emploie 16 000 personnes en CDI, sur dix centres et quatre plates-formes régionales qui sont des implantations plus légères, destinées à multiplier les collaborations avec les PME et ETI des régions Lorraine, Aquitaine, Pays de la Loire et Midi-Pyrénées. Le CEA emploie aussi 1 600 doctorants et 300 post-doctorants.
En 2013, il a déposé 754 brevets ce qui nous place au troisième rang des entreprises innovantes en France. Nous avons directement contribué à la création de 106 entreprises depuis 2000, via un fonds de capital risque lié au CEA. Ce dernier travaille également naturellement avec des acteurs industriels existants, à travers 500 partenaires industriels. Nous sommes également liés à d’autres organismes de recherche publique européens, qui remplissent des missions similaires dans leur domaine de compétence, notamment au travers des alliances nationales coordonnant la recherche publique en France et de l’Espace européen de la recherche. Concrètement, pour les fonctions financières du CEA, cela signifie que notre activité traverse en permanence la frontière séparant le secteur public et le monde de l’entreprise, et qu’il faut donc parler à la fois le langage des deux univers. Par exemple, nous avons deux modalités de présentation de nos comptes et de nos budgets, afin de pouvoir opérer la certification de nos comptes en comptabilité générale tout en répondant aux impératifs de présentation d’un opérateur de l’Etat. Cette gymnastique stimulante nous oblige tous à une grande rigueur et à un effort de clarté dans la présentation de nos comptes.
Décideurs. Comment le budget se ventile-t-il entre vos différents pôles ?
C. G. Chaque pôle dispose d’un financement distinct. La répartition des budgets par thématique dépend des choix stratégiques de l’Etat, mais aussi des demandes de nos partenaires industriels et du rythme de nos investissements. Dans les grandes lignes, les quatre grands pôles d’activité que je viens de décrire représentent chacun environ un quart de nos effectifs. Ce qu’il faut bien voir, c’est que nos efforts nécessitent des arbitrages validés par l’État pour s’assurer que notre activité est bien en phase avec les priorités déterminées par le gouvernement. Nous tenons compte des priorités décidées par les ministres à l’issue d’un dialogue avec leurs services (avec les ministères chargés de l’industrie, de la recherche, de la défense, de l’énergie) : préserver la recherche fondamentale, développer la recherche scientifique et soutenir l’industrie, développer les thématiques en cohérence avec les demandes des ministres (recherche liée à la sûreté nucléaire et la transition énergétique, par exemple). La subvention de l’État représente environ la moitié du budget du comité de l’énergie atomique, soit 2,6 milliards d’euros, dont la majorité vient financer l’apport du CEA à la dissuasion. Nous disposons par ailleurs des recettes non étatiques apportées par les fonds européens et les partenaires industriels. Nous avons enfin un troisième poste de recettes, qui est celui des fonds dédiés avec des actifs financiers qui couvrent nos dépenses relatives à l’assainissement des sites nucléaires. Nos ressources les plus dynamiques sont celles qui viennent de nos partenaires industriels, ce qui est compréhensible dans un contexte difficile pour les finances publiques. Auparavant, EDF et Areva composaient l’essentiel de nos ressources venues du secteur marchand. Depuis cinq ans, les ventes au secteur privé en dehors du secteur nucléaire ont dépassé 10 % par an en moyenne et dépassent désormais le financement via des partenariats de R&D avec le secteur nucléaire. Une part croissante de l’activité du CEA est donc de répondre directement aux sollicitations des partenaires industriels.
Décideurs. Dans un contexte de tarissement des finances publiques, vous avez noué des partenariats de recherche avec les acteurs du privé. Qu’est-ce que cela a impliqué pour votre direction en termes d’outils de suivi, d’ingénierie… ?
C. G. Cette diversification vers le secteur privé existe depuis très longtemps car le CEA travaille avec la plupart des grands groupes industriels français. Mais il vrai que le contexte actuel nous a poussé à rechercher de nouveaux partenaires, notamment les PME, et même des start-up. Cela étant, le CEA a une capacité historique d’adaptation aux différentes contraintes qui se sont imposées à lui au fil des années. Aujourd’hui, l’un de nos principaux objectifs est de transférer la recherche vers l’industrie pour que les produits soient industrialisés et commercialisés. Ce service est désormais notre activité la plus dynamique. Il a fallu que la direction financière accompagne ce mouvement, par un suivi de notre trésorerie et du risque de contrepartie qui n’était pas, auparavant, un sujet aussi majeur qu’aujourd’hui. Je dois dire que dès mon arrivée, et par la suite, les contrôles de la Cour des comptes et nos Commissaires aux comptes, Mazars et KPMG, m’ont beaucoup aidé : nos axes d’amélioration ont été très précisément identifiés, et les recommandations précises des magistrats financiers nous ont permis d’identifier régulièrement les progrès à accomplir.
Décideurs. Quelle principale évolution a connu votre métier et quel rôle poursuit aujourd’hui la direction financière ?
C. G. Sous l’effet de contraintes budgétaires toujours plus importantes, notre métier a beaucoup évolué ces dernières années. Le pilotage quotidien des contraintes budgétaires nous a amené à partager plus régulièrement les problèmes, cela a beaucoup rapproché les équipes opérationnelles et la direction financière. Cette dernière est au service des pôles opérationnels bien plus que dans une logique de contrôle. Notre rôle est de faire en sorte que les contraintes extérieures soient correctement prises en compte et d’aider les managers à bien anticiper les difficultés potentielles, en leur montrant tout le bénéfice d’une collaboration étroite avec la fonction finances. Sur le volet « recettes », nous avons structuré notre offre en nous intéressant aux réalités du marché. Une équipe du CEA analyse les besoins des industriels, étudient les tendances et identifient les sujets les plus porteurs. L’idée étant d’anticiper les besoins de l’industrie pour mieux les servir. Nous avons également une autre approche, qui est celle d’étendre notre champ d’action sur les territoires où nous sommes peu présents. Sur ces nouveaux territoires, nous voulons aider davantage les PME à intégrer davantage d’innovation, en sous-traitant leur département de R&D. Cette croissance de notre activité n’est pas sans risque financier, qu’il nous faut maîtriser en mettant en place de nouveaux outils de suivi. Lorsque nous n’avons pas d’industriels existants désireux de reprendre nos innovations, il nous apparaît parfois utile de créer une entreprise pour industrialiser et commercialiser les produits qui sortent de nos laboratoires. La troisième approche consiste à créer un fonds : en 2013, nous avons lancé le fonds ATI (Amorçage Technologique Investissement) avec comme partenaires Bpifrance, Groupe EDF, Safran et Biomérieux. Ce fonds compte déjà plus de vingt sociétés en portefeuille et procure un taux de rendement de l’ordre de 15 % en moyenne au cours des dix dernières années. Enfin, nous continuons à travailler sur l’ouverture internationale du CEA, car de nombreux projets ne peuvent être réalisés qu’à cette échelle. Ainsi, le CEA tente, avec d’autres, de favoriser un acteur industriel innovant dans le domaine de l’énergie solaire. Là encore, cela nécessite une parfaite mobilisation de la direction financière, qui doit accompagner l’internationalisation croissante du CEA.
Christophe Gégout. Avant de donner les chiffres, je souhaiterais tenter de décrire ce qui fait la force du CEA. Notre spécificité, c’est d’être à la fois un organisme de recherche fondamentale et de recherche industrielle. C’est précisément cette double culture de nos chercheurs et de nos ingénieurs qui nous permet de comprendre puis de lever certains verrous d’innovation au bénéfice de nos clients et partenaires, dont le premier est bien évidemment l’Etat, notamment sa composante militaire. Le CEA sait ainsi mobiliser tout le continuum de compétences de la science à l’industrie, dans nos domaines de compétence, pour remplir les missions que nous donne l’Etat. Il s’agit donc d’un organisme original, dont la compétence particulière est d’opérer avec succès le transfert de la recherche jusqu’à l’industrie, dans notre périmètre de compétences. Pour cela, le CEA emploie 16 000 personnes en CDI, sur dix centres et quatre plates-formes régionales qui sont des implantations plus légères, destinées à multiplier les collaborations avec les PME et ETI des régions Lorraine, Aquitaine, Pays de la Loire et Midi-Pyrénées. Le CEA emploie aussi 1 600 doctorants et 300 post-doctorants.
En 2013, il a déposé 754 brevets ce qui nous place au troisième rang des entreprises innovantes en France. Nous avons directement contribué à la création de 106 entreprises depuis 2000, via un fonds de capital risque lié au CEA. Ce dernier travaille également naturellement avec des acteurs industriels existants, à travers 500 partenaires industriels. Nous sommes également liés à d’autres organismes de recherche publique européens, qui remplissent des missions similaires dans leur domaine de compétence, notamment au travers des alliances nationales coordonnant la recherche publique en France et de l’Espace européen de la recherche. Concrètement, pour les fonctions financières du CEA, cela signifie que notre activité traverse en permanence la frontière séparant le secteur public et le monde de l’entreprise, et qu’il faut donc parler à la fois le langage des deux univers. Par exemple, nous avons deux modalités de présentation de nos comptes et de nos budgets, afin de pouvoir opérer la certification de nos comptes en comptabilité générale tout en répondant aux impératifs de présentation d’un opérateur de l’Etat. Cette gymnastique stimulante nous oblige tous à une grande rigueur et à un effort de clarté dans la présentation de nos comptes.
Décideurs. Comment le budget se ventile-t-il entre vos différents pôles ?
C. G. Chaque pôle dispose d’un financement distinct. La répartition des budgets par thématique dépend des choix stratégiques de l’Etat, mais aussi des demandes de nos partenaires industriels et du rythme de nos investissements. Dans les grandes lignes, les quatre grands pôles d’activité que je viens de décrire représentent chacun environ un quart de nos effectifs. Ce qu’il faut bien voir, c’est que nos efforts nécessitent des arbitrages validés par l’État pour s’assurer que notre activité est bien en phase avec les priorités déterminées par le gouvernement. Nous tenons compte des priorités décidées par les ministres à l’issue d’un dialogue avec leurs services (avec les ministères chargés de l’industrie, de la recherche, de la défense, de l’énergie) : préserver la recherche fondamentale, développer la recherche scientifique et soutenir l’industrie, développer les thématiques en cohérence avec les demandes des ministres (recherche liée à la sûreté nucléaire et la transition énergétique, par exemple). La subvention de l’État représente environ la moitié du budget du comité de l’énergie atomique, soit 2,6 milliards d’euros, dont la majorité vient financer l’apport du CEA à la dissuasion. Nous disposons par ailleurs des recettes non étatiques apportées par les fonds européens et les partenaires industriels. Nous avons enfin un troisième poste de recettes, qui est celui des fonds dédiés avec des actifs financiers qui couvrent nos dépenses relatives à l’assainissement des sites nucléaires. Nos ressources les plus dynamiques sont celles qui viennent de nos partenaires industriels, ce qui est compréhensible dans un contexte difficile pour les finances publiques. Auparavant, EDF et Areva composaient l’essentiel de nos ressources venues du secteur marchand. Depuis cinq ans, les ventes au secteur privé en dehors du secteur nucléaire ont dépassé 10 % par an en moyenne et dépassent désormais le financement via des partenariats de R&D avec le secteur nucléaire. Une part croissante de l’activité du CEA est donc de répondre directement aux sollicitations des partenaires industriels.
Décideurs. Dans un contexte de tarissement des finances publiques, vous avez noué des partenariats de recherche avec les acteurs du privé. Qu’est-ce que cela a impliqué pour votre direction en termes d’outils de suivi, d’ingénierie… ?
C. G. Cette diversification vers le secteur privé existe depuis très longtemps car le CEA travaille avec la plupart des grands groupes industriels français. Mais il vrai que le contexte actuel nous a poussé à rechercher de nouveaux partenaires, notamment les PME, et même des start-up. Cela étant, le CEA a une capacité historique d’adaptation aux différentes contraintes qui se sont imposées à lui au fil des années. Aujourd’hui, l’un de nos principaux objectifs est de transférer la recherche vers l’industrie pour que les produits soient industrialisés et commercialisés. Ce service est désormais notre activité la plus dynamique. Il a fallu que la direction financière accompagne ce mouvement, par un suivi de notre trésorerie et du risque de contrepartie qui n’était pas, auparavant, un sujet aussi majeur qu’aujourd’hui. Je dois dire que dès mon arrivée, et par la suite, les contrôles de la Cour des comptes et nos Commissaires aux comptes, Mazars et KPMG, m’ont beaucoup aidé : nos axes d’amélioration ont été très précisément identifiés, et les recommandations précises des magistrats financiers nous ont permis d’identifier régulièrement les progrès à accomplir.
Décideurs. Quelle principale évolution a connu votre métier et quel rôle poursuit aujourd’hui la direction financière ?
C. G. Sous l’effet de contraintes budgétaires toujours plus importantes, notre métier a beaucoup évolué ces dernières années. Le pilotage quotidien des contraintes budgétaires nous a amené à partager plus régulièrement les problèmes, cela a beaucoup rapproché les équipes opérationnelles et la direction financière. Cette dernière est au service des pôles opérationnels bien plus que dans une logique de contrôle. Notre rôle est de faire en sorte que les contraintes extérieures soient correctement prises en compte et d’aider les managers à bien anticiper les difficultés potentielles, en leur montrant tout le bénéfice d’une collaboration étroite avec la fonction finances. Sur le volet « recettes », nous avons structuré notre offre en nous intéressant aux réalités du marché. Une équipe du CEA analyse les besoins des industriels, étudient les tendances et identifient les sujets les plus porteurs. L’idée étant d’anticiper les besoins de l’industrie pour mieux les servir. Nous avons également une autre approche, qui est celle d’étendre notre champ d’action sur les territoires où nous sommes peu présents. Sur ces nouveaux territoires, nous voulons aider davantage les PME à intégrer davantage d’innovation, en sous-traitant leur département de R&D. Cette croissance de notre activité n’est pas sans risque financier, qu’il nous faut maîtriser en mettant en place de nouveaux outils de suivi. Lorsque nous n’avons pas d’industriels existants désireux de reprendre nos innovations, il nous apparaît parfois utile de créer une entreprise pour industrialiser et commercialiser les produits qui sortent de nos laboratoires. La troisième approche consiste à créer un fonds : en 2013, nous avons lancé le fonds ATI (Amorçage Technologique Investissement) avec comme partenaires Bpifrance, Groupe EDF, Safran et Biomérieux. Ce fonds compte déjà plus de vingt sociétés en portefeuille et procure un taux de rendement de l’ordre de 15 % en moyenne au cours des dix dernières années. Enfin, nous continuons à travailler sur l’ouverture internationale du CEA, car de nombreux projets ne peuvent être réalisés qu’à cette échelle. Ainsi, le CEA tente, avec d’autres, de favoriser un acteur industriel innovant dans le domaine de l’énergie solaire. Là encore, cela nécessite une parfaite mobilisation de la direction financière, qui doit accompagner l’internationalisation croissante du CEA.